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Syrie: Daech ou les derniers souffles d'un animal blessé

L'organisation État islamique parvient toujours à resurgir et mener des offensives meurtrières.

Les partisans du gouvernement syrien assistent à une cérémonie de lever de drapeau à l'entrée du quartier Hajar al-Aswad à Damas, le 24 mai 2018, après que le régime a retiré le camp palestinien de Yarmouk et les quartiers adjacents de Tadamun et Al-Hajar al-Aswad au groupe État islamique (EI). | Louai Beshara / AFP
Les partisans du gouvernement syrien assistent à une cérémonie de lever de drapeau à l'entrée du quartier Hajar al-Aswad à Damas, le 24 mai 2018, après que le régime a retiré le camp palestinien de Yarmouk et les quartiers adjacents de Tadamun et Al-Hajar al-Aswad au groupe État islamique (EI). | Louai Beshara / AFP

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Chassé de pans entiers du territoire syrien sous le coup de multiples offensives distinctes et complémentaires menées par la coalition occidentale et ses alliés kurdes d’une part, et le triptyque Russie-Iran-régime syrien d'autre part, le groupe État islamique (EI) tente, en dépit de l’effondrement de son califat auto-proclamé à l’été dernier, de résister dans ses derniers retranchements. Et continue de faire mal.

Tel un animal blessé, l'EI, qui contrôle désormais un peu plus de 2% du territoire syrien –contre un pic à 50% au sommet de sa fulgurante ascension– selon l'Observatoire syrien des droits de l'Homme (OSDH), intensifie depuis plusieurs semaines ses attaques surprise contre les forces du régime syrien, non sans réussite. Quelque 260 soldats syriens et combattants pro-régime –dont neuf russes– ont été tués en près d'un mois tandis que la ville stratégique d'Al-Boukamal, récupérée par le régime et ses alliés en novembre dernier, a fait l’objet d’un assaut inédit le 8 juin qui a permis aux djihadistes, à l’issue de dix attaques-suicides, d’investir des pans de la ville –avant d'en être chassés. 

Autre assaut inattendu: dans la province méridionale de Soueida (sud de la Syrie), où aucune présence du groupe djihadiste n'était soupconnée depuis son éviction de cette zone il y a deux ans, au moins vingt-deux combattants pro-régime –dont onze soldats de l'armée syrienne parmi lesquels deux officiers– ont été tués il y a dix jours.

Le double objectif de Damas

Dispatchée à travers la vaste «badia» syrienne, une zone désertique qui s’étend de l’est de Damas jusqu’à la frontière irakienne, l'organisation terroriste désormais moins facilement «repérable» prend souvent de court ses ennemis. 

«Sa stratégie est de s'adapter aux nouvelles conditions, c'est-à-dire de tirer avantage de la clandestinité pour revenir en force», décrypte Julien Théron, spécialiste des conflits dans la région. «La clandestinité est une chose bien connue de l'EI, le groupe l'ayant déjà expérimentée à son profit [...] avant d'apparaître au grand jour à l'occasion des persécutions de Bachar el-Assad en Syrie et des répressions de Nouri al-Maliki en Irak» dans les années 2000 et 2010, ajoute l'analyste. 

Quant au régime de Damas, il investit toutes ses forces depuis quelques semaines contre le groupe terroriste, au prix de grandes pertes parmi ses combattants, suivant deux objectifs: d'abord, celui de «se présenter comme un partenaire à part entière dans la lutte contre le terrorisme, au même titre que son partenaire russe» et les autres puissances –notamment occidentales– impliquées dans la lutte anti-EI, explique Emmanuel Dupuy, président de l'Institut prospective et sécurité en Europe (IPSE). Ensuite, «Damas cherche en vue des négociations tant à Astana qu'à Genève de gagner un maximum de territoires, afin d’arriver en position de force à la table des négociations», poursuit-il. 

Terrain inter-djihadiste

L'EI, qui a été chassé le 21 mai de son utlime fief dans la capitale syrienne –au terme d'une offensive d'envergure menée par le régime et son allié russe– tente de compliquer cette tâche pendant qu'il cherche, en parallèle, à gagner du terrain dans les zones encore sous contrôle rebelle.

Celles-ci se sont désormais réduites à deux provinces à la faveur des victoires successives du régime syrien, qui contrôle désormais 65% du territoire: Daraa dans le sud-ouest, encore à 70% sous l'emprise des rebelles, et Idleb dans le nord-ouest, la seule à échapper quasi entièrement à Damas. 

Dans cette dernière province, l'EI tente notamment de concurrencer un autre groupe djihadiste: Hayat Tahrir al-Cham (HTS), dominé par les combattants de l'ex-front al-Nosra, branche syrienne d'al-Qaida en Syrie. Celui-ci contrôle 60% de la province d'Idleb. 

L'EI tente d'y opérer une percée, en menant depuis plusieurs mois une série d'attaques-suicides et des exécutions sommaires contre des combattants de HTS. 

Phase «finale» de l'offensive kurdo-occidentale  

Mais ce changement de stratégie, après avoir tenté en vain –pour la première fois dans l'histoire du terrorisme islamique– d'imposer une dimension territoriale au projet djihadiste, risque de ne pas porter ses fruits. Du moins pas totalement. 

Car l'EI ne fait pas uniquement face au régime syrien et à ses alliés. 

Les forces démocratiques syriennes (FDS), une coalition de combattants arabes et kurdes soutenue par la coalition internationale dirigée par les États-Unis, ont lancé début mai la phase «finale» de leur offensive anti-EI pour déloger l'organisation ultraradicale de ses derniers fiefs dans les provinces de Deir Ezzor et de Hassakeh, non loin de la frontière irakienne. 

Stationnées à l'est du fleuve de l'Euphrate qui coupe Deir Ezzor en deux parties –la rive ouest est sous le contrôle des forces loyalistes et de leurs alliés–, les FDS qui avaient libéré Raqqa, ex-capitale de l'EI l'été dernier, ont déjà asséné plusieurs revers au groupe djihadiste en six semaines de combats.

Les troupes au sol, soutenues par des soldats américains et d'élite français et appuyés par des tirs d'artillerie des raids aériens de la coalition, ont déjà reconquis plusieurs localités, dont Tel al-Chayer, à quelques kilomètres de l'Irak.

«De nouveaux théâtres d’opérations s’ouvrent à Daech»

Malgré ces revers, la fin de Daech (acronyme en arabe de l’EI) n’est pas pour demain, estime Julien Théron. «Au travers de sa propagande envers les populations sunnites, l'EI pourra capitaliser sur la restauration du régime syrien, soutenue par de nombreux groupes armés chiites allogènes», analyse-t-il.

Anciennement connue sous le label «État islamique d'Irak», l'organisation avait déjà «profité» de la double marginalisation politique et économique des sunnites d'Irak depuis l'intronisation par les Américains du chiite Nouri al-Maliki en 2006. Le début de son expansion s’est d’ailleurs construit sur une insurrection sunnite dans la province d’Al-Anbar.

Mais pour Emmanuel Dupuy, l'EI semblerait avoir détourné, pour l'instant, ses regards de sa région «natale» à cheval entre la Syrie et l’Irak. «L’EI semble bel et bien défait militairement tant en Syrie qu'en Irak, où il a perdu 95% des territoires qu’il avait conquis au printemps 2014. C’est donc hors de Syrie et d’Irak qu’il porte son action militaire. C’est le cas à Derna et Benghazi en Libye, ou encore dans le Sinaï égyptien, à travers le renforcement du mouvement Ansar Beït al-Maqdess», souligne-t-il.

«Par ailleurs, de nouveaux théâtres d’opérations s’ouvrent à Daech, à l’aune du retour dans leurs pays des survivants parmi les combattants étrangers ayant rejoint le groupe, précise le chercheur. C’est le cas, entre autres, en Asie du Sud-Est: dans les Philippines sur l’île de Mindanao, plus récemment en Indonésie où sont ciblées les églises catholiques, et en Malaisie, comme le confirme l’affiliation de la Katiba Nusantara à l’EI.»

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