Politique

Les députées et députés se plaignent d’être fatigués… Et ils ont raison

La complainte sur le «burn-out» n’est pas un caprice. C’est une question démocratique. 

La députée LREM Barbara Pompili  dans l'Hémicycle le 22 mai 2018 | Gérard Julien / AFP
La députée LREM Barbara Pompili dans l'Hémicycle le 22 mai 2018 | Gérard Julien / AFP

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Usés, crevés, cramés. Nos députés sont-ils en burn-out? Arrivés il y a un an avec la fraîcheur du «nouveau monde», ils se disent désormais épuisés. Ensevelis sous l’avalanche de projets de lois imposée par le gouvernement. 

Cette semaine, même le président de l’Assemblée nationale, le très loyal François de Rugy, a imploré une accalmie. «Au bout d'un moment, ce n'est plus possible. Ce n'est pas le fonctionnement normal d'une assemblée.»

L’association des collaborateurs parlementaires a pour sa part protesté contre les semaines à rallonge: «Si la souplesse des horaires est une particularité de notre métier, le travail du week-end ne saurait devenir une habitude».

«Ce n’est pas audible par les gens»

Dès le début du quinquennat, Jean-Luc Mélenchon avait protesté contre le rythme imposé aux législateurs par l’exécutif. Le député de Marseille, sans doute lessivé par ses douze mois de campagnes (présidentielle et législatives), n’avait alors suscité que quelques soupirs dans l’Assemblée et quelques moqueries sur les réseaux sociaux. 

Désormais, même les membres de la majorité admettent le coup de pompe. «Ca tire un peu», euphémise une députée La République en marche. Dans le parti fondé par l’homme qui dort quatre heures par nuit, hors de question de paraître renâcler. «D’autant que ce n’est pas audible par les gens, ajoute-t-elle. Il faut veiller à ne pas alimenter l’anti-parlementarisme. On est élu pour travailler, on n’a pas le droit de se plaindre.». Des marcheurs somnambules?

La question du repos des élus a toujours été sensible. En 2012, Nadine Morano avait commis ce DM fail:  

Elle avait immédiatement corrigé par «je suis au bureau». Une ministre n’a pas le droit de dire publiquement qu’elle se repose, fût-ce un week-end. 

Certains visuels très viraux montrent le reproche régulièrement adressé aux responsables politiques: 

 

 

Record de jours siégés

Pourtant ce reproche n’a peut-être jamais été aussi injuste. Le quinquennat en cours ressemble à un marathon couru à la vitesse d’un sprint. Rien que ces six dernières semaines, les députés et députées ont dû se pencher sur trois textes de loi aux implications majeures: asile, logement, alimentation. 

Sans parler du travail des commissions, des missions parlementaires. Et accessoirement, de la rencontre avec les électeurs et électrices (oui, dans «représentants du peuple», il y a «représentants» et… «peuple»). 

En seulement un an, la république macronienne a déjà battu deux records à l’Assemblée nationale: le nombre de jours de week-end siégés par les députés et députées (sept). Et surtout le nombre de jours consécutifs, week-end compris: dix-huit jours. (Record précédent, onze jours, sous François Hollande). 

Bien sûr, tous les députés et députées ne siègent pas ensemble en permanence. Il n’empêche: les séances s’enchaînent, au point que l’opposition parle de robotisation: «Je ne crois pas qu’il soit bon de réserver la députation à des androïdes capables de lever la main du lundi au lundi, matin, midi et soir en cadence», explique Adrien Quatennens (député La France insoumise). «Je ne suis pas en burn-out (…) mais c’est vrai que le rythme imposé est extra-ordinaire (…) ça transforme les députés en fonctionnaires», regrette Marine Le Pen.

En marche, au pas de charge? 

Cette pression ravive la crainte d’un travail législatif bâclé. Lors de la loi sur l’alimentation, une vingtaine de députés et députées de tous bords ont déposé le même amendement… avec la même faute d’orthographe! Comme un petit goût d’amendement remis clé-en-main par un lobby… La pratique n’est pas nouvelle, mais le rythme soutenu favorise cette «sous-traitance». Il conduit aussi les députés et députées à moins retoucher les projets de loi gouvernementaux, faute de temps. Ce qui revient à ce que les cabinets ministériels se muent en quasi-législateurs. Bien loin, dans les faits, de la séparation des pouvoirs.
 
La cadence infernale empêche aussi l’opposition de se concentrer: elle est sur tous les fronts, et donc… nulle part. Évidemment, elle-même n’est pas exempte de tous reproches. L’obstruction parlementaire, volontiers pratiquée, allonge d’autant la durée des débats. 
De même pour la presse, condamnée à regarder passer les balles, à un rythme toujours plus rapide. Pour les journalistes, il est compliqué d’expliquer en profondeur les effets d’une loi, quand l’Assemblée examine déjà la suivante. 

Voilà pourquoi la complainte du député sur son «burn-out» n’est pas un caprice. C’est une question démocratique. 

Cela dit, dans la dénonciation de ce «rythme dingue», chacun et chacune trouve son intérêt. L’opposition s’en sert pour justifier son incapacité à ralentir le bulldozer En Marche. 
Le gouvernement n’est pas mécontent non plus qu’il fait trimer dur les parlementaires: «Les Français attendent des résultats», a commenté, tranchant, le Premier ministre Édouard Philippe. 

Les macronistes veulent aussi se servir de cet épuisement pour justifier la future réforme des institutions. Promise par Emmanuel Macron, elle prévoit notamment d’amaigrir la procédure parlementaire. Par exemple en adoptant des amendements dès le stade de la commission parlementaire… et non plus dans l’hémicycle, comme actuellement. Les parlementaires se laisseront-ils endormir? 
 

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