Politique / Santé

La «PMA pour toutes» ou les limites de l'exercice présidentiel

Contrairement à ce qu’attendait le président de la République, aucun espoir, ici, de «débat apaisé».

Quand il était candidat, Macron n’avait pas fait mystère de son opinion personnelle sur le sujet. | Philippe Wojazer / POOL / AFP
Quand il était candidat, Macron n’avait pas fait mystère de son opinion personnelle sur le sujet. | Philippe Wojazer / POOL / AFP

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Beaucoup d’énergie dépensée et, à l’arrivée, aucune surprise. Le Comité consultatif national d’éthique (CCNE) a rendu public mardi 5 juin le rapport sur les États généraux de la bioéthique qu’il vient d’organiser durant quatre mois sur le thème «Quel monde voulons-nous pour demain?». 200 pages cherchant à faire la synthèse de 271 débats «en région», de 154 auditions d'associations, sociétés savantes et courants de pensée et de 65.000 contributions sur le site internet.

Avec, finalement, la confirmation des limites d’un tel dispositif –une entreprise qui a par ailleurs fait l’objet de vives critiques par le biologiste Jacques Testart et Marie-Angèle Hermitte dans les colonnes du Figaro. «Ce n'est pas une vision de l'opinion française que nous transmettons; c'est une vision des gens qui ont participé à ces États généraux», a pour sa part reconnu le Pr Jean-François Delfraissy, président du CCNE. Ainsi, aucun écho de «la France profonde et la banlieue», et «présence d'un certain nombre de militants qui ont pu monopoliser la parole sur certains sujets», à commencer par la procréation médicalement assistée (PMA) et les modalités de la fin de vie.

Deux visions incompatibles

Parmi les innombrables sujets abordés, le plus observé, le plus politique et le plus d’actualité était celui de l’ouverture à «toutes les femmes» des techniques de la PMA –soit en pratique l’insémination artificielle avec sperme de donneur pratiquée dans des centres médicaux spécialisés. Extraits du rapport de synthèse:

«Parmi les arguments développés par les personnes favorables à l’ouverture de la PMA à toutes les femmes, la demande d’égalité est prépondérante sachant qu’il n’existe pas de critères légitimes pour juger ou disqualifier le désir d’enfant des femmes célibataires et des couples homosexuels. “Égalité” qui se décline en:

  • Une égalité de situation –couple de femmes mariées– qui justifie une égalité de traitement légitimant l’accès aux techniques de la PMA. Le fait que certains actes médicaux soient réservés à des individus selon leur orientation sexuelle est vécu comme une discrimination.
  • Une égalité par rapport à la possibilité qu’ont les femmes seules ou en couple d’adopter un enfant.
  • La suppression d’une inégalité financière entre celles qui peuvent aller à l’étranger réaliser cette PMA, et celles qui ne le peuvent pas [...] même si les coûts afférents aux grossesses et aux traitements hormonaux sont déjà pris en charge en France.

Le droit des femmes de disposer de leur corps est également énoncé.»

«Chez les personnes défavorables à l’ouverture de la PMA, la notion de nature et les droits des enfants sont fortement mobilisés. La crainte que la logique technique n’altère les “lois naturelles” qui veulent que la procréation soit indissociable de la sexualité et que “une femme ne peut naturellement et biologiquement pas faire un enfant seule” s’exprime fréquemment. Les droits des enfants doivent être prioritaires sur ce qui est considéré comme l’expression d’un désir de la part des femmes, que certains jugent égoïste. L’enfant deviendrait alors «une chose, objet de désir, de technique et de marchandisation». Un désir –même compréhensible– peut-il aboutir à un droit? Beaucoup d’arguments se concentrent par ailleurs sur les angoisses, critiques et dangers d’une procréation sans père mettant en avant le besoin, le droit pour l’enfant d’avoir un père. L’ouverture de la PMA créerait ainsi des inégalités entre les enfants selon qu’ils auront ou non un père.»

Pour le Pr Delfraissy, la «PMA pour toutes» est dans une impasse. «Non, il n’y a pas consensus, a-t-il déclaré au Monde. Des opinions divergentes se sont exprimées. Mais, sur la question de la procréation, d’autres thématiques ont émergé, comme l’accès aux origines des enfants conçus par procréation médicalement assistée avec don de gamètes. Face au dogme de l’anonymat des donneurs, une revendication forte en faveur de l’autonomie de l’individu et de l’accès au père biologique se fait entendre. De plus, des innovations technologiques, comme les grandes bases de données génomiques qui permettent de retrouver des parents biologiques, rendent ce dogme obsolète. L’autre sujet est celui de l’autoconservation des ovocytes, pour laquelle il y a également une demande et qui doit susciter la réflexion.»

Un président mi-figue mi-raisin

Et maintenant? Ce rapport va être transmis à l’Office parlementaire d’évaluation des choix scientifiques et technologiques. Puis le CCNE va, en septembre, rendre un avis spécifique sur la révision de la loi de bioéthique de 2011 en proposant (ou pas) des modifications. Le Parlement devrait être saisi de la question au début de 2019. Avec en toile de fond, parallèlement à cette dynamique officielle, les convictions du président de la République.

Candidat, Emmanuel Macron n’avait pas fait mystère de son opinion personnelle en faveur d’un droit des femmes seules et des couples de femmes homosexuelles à l’insémination artificielle, et ce au même titre que les couples hétérosexuels infertiles. Mais depuis son élection, il fait preuve d’une très grande prudence. Interrogé sur le sujet en octobre dernier, il n’avait pas répondu directement. «Le politique ne doit pas imposer un choix en brutalisant les consciences», avait-il déclaré.

Le président de la République avait alors insisté sur le caractère «complexe» d’un sujet qui «heurte les convictions philosophiques et religieuses». Soucieux de ne pas «réitérer les erreurs du passé», il disait attendre les résultats des États généraux de la bioéthique. Ces derniers étant ce que l’on sait, Emmanuel Macron ne peut que prendre acte de l’impossible consensus dans l’opinion française.

Dans ce contexte, plusieurs observateurs perçoivent aujourd'hui des symptômes laissant penser à une possible évolution des convictions présidentielles sur le sujet. La Croix rapportait ainsi il y a quelques jours la tenue d’«un dîner sur la PMA discrètement organisé à l’Élysée en présence d’Emmanuel Macron». C’était le 23 mai et la soirée avait duré plus de trois heures. Chaque invité et invitée a eu une dizaine de minutes pour s’exprimer, au cours d’un premier tour de table, avant d’engager une discussion. Favorables à la «PMA pour toutes»: des médecins comme François Olivennes et Israël Nisand, le président de l’association des familles homoparentales, Alexandre Urwicz, et une adhérente d’«IciMamaSolo». Face à eux, Tugdual Derville, délégué général d’Alliance Vita et le père Brice de Malherbe, docteur en théologie, spécialiste de bioéthique.

«De son côté, Emmanuel Macron a, semble-t-il, peu parlé, se contentant d’introduire les débats et de les clore, un peu après minuit, résume La Croix. “Il a dit que nous étions désormais au carrefour des possibles, ouvert par la technologie, et que nous pouvions désormais introduire dans la loi quelques-uns de ces possibles”, rapporte un participant. Selon plusieurs invités, le président ne s’est pas clairement exprimé en faveur de la PMA, restant dans une forme de neutralité. Une attitude très différente de celle tenue lors d’un autre dîner à l’Élysée, mi-février, cette fois sur la fin de vie. Emmanuel Macron avait alors expressément fait part de ses réserves sur le suicide assisté. “Le suicide est toujours un acte violent”, qu’il soit aidé ou non, avait ainsi déclaré le chef de l’État, ajoutant, soucieux de clarifier les définitions, que les mots “suicide’”et “assisté” relevaient à son sens “d’un oxymore”.»

Fabien Joly, avocat et porte-parole de l’association des familles homoparentales (ADFH), lui aussi présent au dîner de l’Élysée a, sur France Inter, complété la lecture de La Croix.

«Après avoir, pendant trois heures, écouté chacun et pris des notes sans prendre position, Emmanuel Macron a fait une conclusion dans laquelle il a constaté l’existence d’oppositions dans la société mais en ajoutant que son rôle était de donner une dignité aux couples de même sexe et notamment aux couples de femmes qui souhaitent créer des familles. Cela passe évidemment par la PMA, reste à voir les modalités.» Pour Fabien Joly, il ne fait aucun doute que le président de la République «ira au bout» de son engagement.

Trancher sans «heurter les consciences»

Reste à savoir quand. Début mai, Libération faisait état de doutes croissants quant à la volonté d’Emmanuel Macron de concrétiser sa promesse de la «PMA pour toutes». Puis, le 29 mai, le quotidien publiait une tribune de quarante-sept parlementaires de la majorité présidentielle «rappelant leur attachement à l’extension de la procréation médicale assistée à toutes les femmes, célibataires, en couple hétérosexuel ou en couple lesbien». Interrogé peu après par les Inrocks, le Pr Jean-Louis Touraine, l’un des députés signataires de cette tribune, a peut-être donné la solution:

«Le président a pris l’engagement d’instaurer la PMA pour toutes. Il aura à cœur de respecter cette parole, dans les cinq ans de son mandat –et pas forcément immédiatement. Il choisira le meilleur calendrier, le moment qui lui paraîtra le plus opportun. Le désir d’Emmanuel Macron, comme celui des députés en faveur de la PMA pour toutes, c’est que le débat parlementaire se passe dans la plus grande des sérénités. Nous souhaitons qu’il n’y ait pas les manifestations hystériques qui avaient accompagné le vote du mariage pour tous.»

Ainsi la question n’est peut-être pas tant de savoir si le président Emmanuel Macron a évolué dans ses opinions mais celle de savoir quand il jugera le plus utile d’agir. En n’oubliant pas, en même temps, les termes de son discours d’une heure prononcé le 9 avril au Collège des Bernardins lors d’une soirée organisée par la Conférence des évêques de France.

«Sur la bioéthique, on nous soupçonne de jouer parfois un agenda caché. De connaître d’avance les résultats d’un débat qui ouvrira de nouvelles possibilités dans la procréation assistée, ouvrant la porte à des pratiques qui irrésistiblement s’imposeront ensuite, comme la gestation pour autrui. Et certains se disent que l’introduction dans ces débats de représentants de l’Église catholique, comme de l’ensemble des représentants des cultes, comme je m’y suis engagé dès le début de mon mandat est un leurre, destiné à diluer la parole de l’Église ou à la prendre en otage. […]

C'est parce que je suis convaincu que nous ne sommes pas là face à un problème simple qui pourrait se trancher par une loi seule, mais que nous sommes parfois face à des débats moraux, éthiques, profonds qui touchent au plus intime de chacun d'entre nous. J'entends l’Église lorsqu'elle se montre rigoureuse sur les fondations humaines de toute évolution technique; j'entends votre voix lorsqu'elle nous invite à ne rien réduire à cet agir technique dont vous avez parfaitement montré les limites; j'entends la place essentielle que vous donnez dans notre société, à la famille –aux familles, oserais-je dire–, j'entends aussi ce souci de savoir conjuguer la filiation avec les projets que des parents peuvent avoir pour leurs enfants.»

Où l'on arrive aux limites de l'exercice présidentiel: comment entendre, ne pas se contredire et, in fine, trancher sans «heurter les consciences»?

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