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Le Venezuela n’est pas aussi isolé qu’on le pense

La réélection du président Nicolas Maduro est fortement contestée à l’international. Mais il peut encore compter sur des soutiens de poids, comme la Russie, la Chine ou l’Iran.

Un enfant de la communauté vénézuélienne au Pérou lors d'une manifestation contre l'organisation de l'élection présidentielle le 20 mai 2018 organisée à Lima. | Luka Gonzales / AFP
Un enfant de la communauté vénézuélienne au Pérou lors d'une manifestation contre l'organisation de l'élection présidentielle le 20 mai 2018 organisée à Lima. | Luka Gonzales / AFP

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Dès le soir du scrutin, le 20 mai dernier, la réélection de Nicolas Maduro à la tête du Venezuela avec 68% des voix, a été contestée. Par ses deux adversaires Henri Falcón (21,2%), chaviste dissident, et Javier Bertucci (10%), évangéliste, qui ont exigé la tenue d'un nouveau scrutin avant la fin de l'année. Par la coalition de l'opposition (MUD) qui a appelé au boycott de l’élection. Mais aussi par une bonne partie des pays de la région, dont le Groupe de Lima, une alliance de quatorze pays, dont le Brésil, l'Argentine, le Mexique, la Colombie, le Pérou... Tous ont refusé de reconnaître la validité de l’élection et ont rappelé leurs ambassadeurs dès le 21 mai, annonçant vouloir «coordonner des actions pour que les organismes financiers internationaux et régionaux n’octroient plus de prêts au gouvernement du Venezuela».

Durcissement des sanctions internationales

Les États-Unis ont, eux, immédiatement durci leurs sanctions pour interdire aux citoyens et entreprises américaines toute action sur la dette vénézuélienne, et empêcher Caracas de vendre des actifs (notamment la filiale américaine Citgo de la compagnie pétrolière vénézuélienne PDVSA). Le 28 mai, l'Union européenne a déclaré que l'élection n’était «ni libre, ni juste, ni transparente», et annoncé de nouvelles mesures «restrictives, ciblées et réversibles, conçues de manière à ne pas nuire à la population vénézuélienne». L’idée serait d’élargir la liste des hiérarques du régime chaviste visés par des sanctions financières.

L’honnêteté et la validité du scrutin sont mises en cause pour plusieurs raisons. Officiellement de 52%, l’abstention serait en fait de 70%, même si ce chiffre officieux est invérifiable. Tous les témoins ont néanmoins constaté le calme inhabituel des bureaux de votes. Quant aux 13.000 tentes rouges sous lesquelles les électeurs pouvaient venir toucher des aides sociales à condition d'avoir voté, elles ont été dénoncées par l’opposition comme un instrument de clientélisme et de contrôle social. Au-delà, le fait d’avoir avancé à mai une élection prévue en décembre, prenant de court une opposition divisée, dont la plupart des leaders –inéligibles, emprisonnés ou exilés– avaient été mis hors course par le pouvoir, apparait comme un signe de plus d’une dérive autoritaire, voire totalitaire.

Le candidat d'oppostion Henri Falcon (chaviste dissident) lors de son dernier meeting de campagne à Barquisimeto, Lara state, Venezuela, le 17 mai 2018. | Federico Parra / AFP

Une crise sans précédent

Cette dérive s'est accélérée après la victoire de la MUD aux législatives de 2015. Le régime de Maduro a alors retiré tout pouvoir au Parlement et fait élire une Assemblée constituante à sa main, provoquant l’été dernier une véritable flambée de violence qui a causé plus de 120 morts. Déjà difficile, la situation des Vénézuéliens et Vénézuéliennes a pris un tour dramatique et le pays s'est enfoncé dans la crise. Fin 2017, il a été déclaré en défaut partiel par les agences de notation Fitch et Standard & Poors (de même que la compagnie pétrolière PDVSA). Une aberration pour un pays doté des premières réserves mondiales de pétrole (entre autres richesses). Selon le FMI, le PIB a fondu de 45% en 5 ans et devrait encore reculer de 15% cette année, alors que l’hyperinflation atteint désormais 14.000%. Pour la chercheuse Paula Vasquez Lezama, cette crise ne peut être attribuée à la seule chute des cours du brut: «La politique d'expropriation, le contrôle des prix, la mise en place d'un contrôle des changes ont transformé l'État vénézuélien en une sorte de grande entreprise importatrice développant des mécanismes de corruption très sophistiqués qui ont annihilé la production nationale», écrit-elle en introduction d'un récent numéro des Temps Modernes consacré au pays.

Enfermé dans son économie de rente pétrolière (96% de ses revenus) qu’il a certes en partie redistribuée aux plus pauvres pendant les années fastes, le Venezuela chaviste est aujourd'hui plombé par une dette de l’ordre de 150 milliards de dollars et ne disposait plus, fin 2017, que de 9,7 milliards de réserves. En manque de dollars, les entreprises ne peuvent plus importer ni produits finis, ni pièces détachées. L’appareil de production est à terre, les pénuries de nourriture, de produits de base, de médicaments, de matériel médical, mais aussi d'eau courante et d'électricité deviennent critiques. Le nombre de cas de paludisme explose, la diphtérie a réapparu, les hôpitaux manquent de tout. La ministre de la Santé Antonieta Caporales a été destituée l’an dernier pour avoir divulgué un rapport faisant état d’une hausse de 30% de la mortalité infantile entre 2015 et 2016.

Face à cette débâcle économique et humanitaire, les Vénézuéliens et Vénézuéliennes fuient en masse, souvent pour les pays voisins, la Colombie essentiellement, mais aussi le Brésil, l’Équateur, l’Argentine, le Chili, le Pérou. Plus d’un million aurait quitté le pays depuis deux ans et certaines estimations chiffrent à quatre millions l’ampleur de la diaspora vénézuélienne. Et cet exode va se poursuivre. Selon le HCR, près de 5% de la population, soit 1,8 million de personnes, choisiront l’exil en 2018. Dramatique pour le pays, cette vague migratoire est aussi un facteur d’inquiétude et de déstabilisation pour toute la région, à commencer par la Colombie, qui peine à faire face.

Vers une possible accusation de crimes contre l’humanité

D’autre part, l'Organisation des États américains (OEA) vient de porter un nouveau coup au clan Maduro en rendant public un rapport d’experts évoquant «des crimes contre l'humanité commis au Venezuela depuis au moins le 12 février 2014», et appelant le secrétaire général de l'organisation, Luis Almagro –adversaire farouche de Maduro– à saisir la Cour pénale internationale. Le rapport cite 131 victimes de meurtre pendant les manifestations de 2014 et 2017, «où l'auteur a été identifié comme membre des forces de sécurité de l'État et/ou des colectivos» (groupes armés progouvernementaux), parle de «8.292 exécutions extrajudiciaires depuis 2015 » et de 12.000 Vénézuéliens détenus arbitrairement depuis 2013.

Une mère et sa fille malade lors d'une manifestation des personnels soignants et de leurs patients contre le manque de médicaments et les conditions d'hospitalisation à Caracas le 17 avril 2018. | Luis Robayo / AFP

Difficile, à ce stade, de mesurer la portée du rapport de l’OEA, organisation dont les États-Unis sont membres et dont Caracas a claqué la porte l'an dernier. Difficile, aussi, d’évaluer l’impact des sanctions internationales, visant à geler les avoirs à l’étranger de nombreux proches du pouvoir, mais aussi à couper l’accès du Venezuela aux financements internationaux (rendant encore plus cornélien le remboursement de ses échéances). Il n’est pas sûr que cela suffise à infléchir durablement la politique de répression de Nicolas Maduro, même s’il a envoyé un fort signal d’apaisement en faisant libérer, vendredi et samedi, quelque 80 prisonniers politiques. Cela lui permet en revanche d’accréditer sa rhétorique favorite: celle que l’effondrement du pays est lié, non pas à l’incurie du gouvernement et à la corruption de la «bolibourgeoisie», mais aux sanctions «impérialistes» de Trump et à la «guerre économique» que les entreprises privées, à la solde de Washington, livrent à la révolution bolivarienne.

Une aubaine pour l'héritier de Hugo Chavez, de plus en plus contesté dans son propre camp, et qui doit impérativement resserrer les rangs face aux risques de scission, notamment chez les militaires. Deux généraux ont d'ailleurs été arrêtés pour conspiration contre Maduro juste avant le scrutin du 20 mai, alimentant les rumeurs récurrentes de rébellion de l'armée.

Chine et Russie, alliées et principales créancières

S’il a été mis au ban de la communauté occidentale, le Venezuela chaviste n’est pas aussi isolé qu’on le dit souvent. Il peut encore compter sur le soutien de quelques puissances de taille, telles que la Russie et la Chine, qui sont aussi ses deux principaux créanciers (avec respectivement neuf et vingt-huit milliards de dollars d’échéances fin 2017). L’appui de Vladimir Poutine est sans ambiguité. En novembre dernier, il a évité à Caracas le défaut total en renégociant une partie de sa dette (trois milliards de dollars d’achats militaires). Il a aussi franchement félicité Maduro pour sa victoire. Les liens entre les deux pays, qui s'échangent surtout des armes contre du pétrole, sont anciens et solides. En 2010, Chavez et Medvedev signaient même en grande pompe un accord pour la construction d’une centrale nucléaire vénézuélienne .

La Chine est un allié plus volontariste encore et, de loin, le premier créancier du Venezuela auquel, selon The NewYork Times, elle aurait prêté soixante milliards de dollars depuis 2014. On le sait, Pékin a fait de l’Amérique latine l’un de ses terrains de jeux stratégiques en devenant en quelques années un partenaire commercial majeur de la région. Ses projets au Venezuela se sont multipliés au début des années 2010, qu’il s’agisse d’exploration d’hydrocarbures dans la ceinture de l’Orénoque, de mines ou d’infrastructures. Sans forcément, d'ailleurs, que tous ces projets pharaoniques, russes ou chinois, se concrétisent.

Malgré ses ambitions d’ogre, la Chine semble s’inquiéter de la fuite en avant du régime Maduro. Elle a sobrement pris acte de sa réélection tout en appelant au dialogue et a décidé actuellement de stopper ses prêts, mais sans intention, a priori, de lâcher Caracas.

L’ami iranien, la Turquie, l’Inde…

Plusieurs pays de l’OPEP, dont Caracas est membre, font par ailleurs partie des alliés de longue date du Venezuela, tel le Qatar, les Émirats Arabes Unis et, bien sûr, I’Iran, qui a également identifié depuis longtemps l’Amérique latine comme une zone d'influence. Le président Hugo Chavez a rencontré une bonne vingtaine de fois son «frère» et homologue iranien Ahmadinejad et multiplié les projets avec lui. Ligués contre l’Arabie Saoudite, «les deux pays, cofondateurs de l’OPEP, ont toujours conservé la même stratégie de prix hauts», nous expliquait en 2015 le chercheur Clément Therme.

Ces dernières années, l’étroitesse de ces relations a pu se mesurer, selon plusieurs observateurs, par le nombre significatif d’Iraniens (dotés de passeports vénézuéliens) présents dans la hiérarchie de certains ministères, ou d’entreprises comme PDVSA. Leur implication dans les sphères étatiques a contribué à nourrir la rumeur de la présence sur le sol vénézuélien d’unités de l’organisation terroriste chiite Hezbollah. Craintes ravivées par ailleurs en janvier 2017 avec la nomination de Tareck El Aissami comme vice-président. Ce Vénézuélien d’origine libano-syrienne, fidèle de la première heure du chavisme et homme de confiance de Maduro, a été blacklisté par Washington qui l’accuse d’avoir facilité, voire coordonné d’importants trafics de drogue avec la Colombie et le Mexique. Accusations qui provoquent évidemment la fureur du gouvernement vénézuélien. Mais il est aussi soupçonné par différentes sources étrangères d’entretenir des liens avec le Hezbollah.

D’autres pays conservent leur appui à Maduro, telle la Turquie d’Erdogan (ce qui n’est guère surprenant) qui a salué son élection «en espérant qu’elle renforce la paix et la stabilité au Venezuela» mais aussi l’Inde, qui a précisé qu’en dépit des sanctions américaines, elle continuerait de commercer avec l’Iran et le Venezuela. Ces deux pays sont, il est vrai, deux de ses principaux fournisseurs en pétrole .

Le parrain cubain, toujours omniprésent

En Amérique latine, le Nicaragua et la Bolivie, membres de l’Alba (Alliance bolivarienne) restent aussi aux côtés du pouvoir chaviste, sans lui être franchement utiles (le Nicaragua se débattant lui-même dans une crise politique très grave). Quant au régime cubain, il continue apparemment de tirer les ficelles de sa marionnette Maduro. Le successeur fraichement nommé de Raul Castro, Miguel Diaz-Canel, vient d’ailleurs de lui rendre visite, comme pour montrer que la fin de l’ère castriste ne remettait pas en cause les liens scellés par l’amitié entre Fidel Castro et Hugo Chavez et par une idéologie commune.

Le Venezuela a longtemps été une béquille essentielle pour Cuba après l'effondrement de l’URSS, lui fournissant du pétrole à prix cassés, en échange de plusieurs dizaines de milliers de coopérants cubains, dont beaucoup de médecins, mais aussi beaucoup de militaires chargés de conseiller, voire d’encadrer fermement les gradés de l‘armée bolivarienne.

Le président cubain Miguel Diaz-Canel et son homologue vénézuélien Nicolas Maduro au palais présidentiel de Caracas, le 30 mai 2018. | Juan Barreto / AFP

Mais si le Venezuela n’est plus en capacité de lui fournir les hydrocarbures, la position de Cuba pourrait évoluer. Or, on n’en est pas loin: Caracas a dû récemment acheter du brut sur le marché pour honorer ses engagements avec l’île communiste! En dix ans, sa production a été divisée par deux à 1,5 million de barils par jour. Les raisons sont limpides: du forage au raffinage, les outils de PDVSA sont obsolètes et décrépits pour cause de sous-investissement et d’impossibilité d’importer des pièces de rechange, faute de dollars. D’autre part, les compétences ont fui peu à peu la compagnie pétrolière (Chavez avait déjà viré la moitié du personnel après la grève de 2002), le pouvoir préférant les hommes de confiance aux experts. En novembre dernier, Maduro a même nommé à la tête de PDVSA un général de l’armée de terre qui ne connait rien au pétrole. Tout ceci fait que le pays ne pourra pas profiter à court terme de la remontée des cours.

Or, le pétrole est sa seule monnaie d’échange. Selon une étude de la Banque du Canada, 40% de sa production ont servi l’an dernier à rembourser ses prêts à la Chine et à la Russie (outre les livraisons à prix bradés à Cuba et à ses petits alliés des Caraibes). S’il n’y parvient plus, ces puissants amis pourraient bien prendre leurs distances. Au final, le principal acheteur de brut du Vénézuéla reste... l'ennemi américain (autour de 550.000 barils par jour, soit le tiers de sa production actuelle), qui est en outre un des seuls à payer au prix du marché, lui apportant donc l'essentiel de ses liquidités. Conclusion: si Donald Trump veut vraiment porter le coup de grâce au Venezuela, il décrétera un embargo pétrolier, ce qui aura des conséquences réellement tragiques sur une population déjà épuisée. La menace a déjà été brandie à plusieurs reprises. Mais la Maison-Blanche, soucieuse de ne pas frapper directement le peuple vénézuélien (et peut-être, surtout, de ne pas pénaliser ses propres raffineries) a, heureusement, exclu cette option. Pour le moment.

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