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Pourquoi Nadal est imbattable en terre battue

Sauf tremblement de terre (battue), Rafael Nadal se dirige vers un onzième titre à Roland-Garros. L’occasion d’observer une technique et un mental (presque) sans faille.

Rafael Nadal savoure sa victoire contre Alexander Zverev au tournoi de Rome, le 20 mai 2018. | Filippo Monteforte / AFP
Rafael Nadal savoure sa victoire contre Alexander Zverev au tournoi de Rome, le 20 mai 2018. | Filippo Monteforte / AFP

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Rafael Nadal, 32 ans dans quelques jours, peut-il passer à côté d’un 11e sacre, le 10 juin, à Roland-Garros? Alors que commencent les Internationaux de France, les doutes sont peu nombreux en la matière. Même s’il faut rester prudent –une blessure est notamment toujours possible, l’issue du tournoi paraît écrite d’avance. Oh, certes, l’Espagnol a été battu en quarts de finale à Madrid par l’Autrichien Dominic Thiem, puis inquiété en finale des Internationaux d’Italie par l’Allemand Alexander Zverev, mais le Majorquin, vainqueur à Monte-Carlo, à Barcelone et donc à Rome entre avril et mai, semble encore intouchable dans la perspective des matchs au meilleur des cinq manches, format des rencontres sur les courts de la Porte d’Auteuil. À voir donc. En espérant que cette édition ne ressemble pas à une sorte de long interlude sur le son d’une marche trop triomphale –l’an dernier, Nadal s’était imposé sans lâcher le moindre set, comme en 2008 et 2010.

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Depuis sa première participation au tournoi de Roland-Garros en 2005, le numéro un mondial n’y a connu que deux fois la défaite: contre le Suédois Robin Soderling en 2009 et le Serbe Novak Djokovic en 2015 –blessé au poignet, il a été contraint au forfait en 2016 avant son match du troisième tour. Les années passent et Nadal ne cède pas un pouce de terrain dans son antre, si bien qu’il n’est pas irrationnel de penser, à ce stade, qu’il pourrait brandir quinze fois la Coupe des Mousquetaires. Qu’est-ce qui fait sa force, sur terre battue et sur une autre surface? Loin des spécialistes, la question est posée par les non-initiés, en France, pour qui le tennis est essentiellement l’affaire de ces deux semaines en terre parisienne. Georges Deniau, peut-être le meilleur technicien de l’histoire moderne du tennis français, ancien entraîneur des équipes de France et de Suisse de Coupe Davis, et qui a également collaboré avec Roger Federer dans ses jeunes années, décrypte le jeu de ce gaucher impérial selon huit coups ou critères en attribuant des notes sur 10. L’occasion de «réviser son Nadal», qu’on le connaisse par cœur ou plus approximativement.

Service: 8/10

«C’est l’un des coups qu’il a fait le plus évoluer et le plus progresser ces dernières années. Il en a probablement éprouvé la nécessité pour écourter les échanges et économiser ainsi de l’énergie. Sa première balle a gagné en vitesse et en explosivité. Elle est très peu lisible par l’adversaire dans la mesure où son lancer de balle est le même, pour ainsi dire en permanence, quelles que soient les options qu’il prend. Sa deuxième balle reste perfectible même s’il est en mesure, aujourd’hui, de prendre davantage de risques avec elle. En général, ses effets sont bons qu’ils soient slicés ou liftés, mais ils pourraient être encore plus accentués. En revanche, ses choix sont toujours excellents et bien variés. Il atteint les zones qu’il vise.»

Retour de service: 9/10

«Il en rate très peu. Il retourne de très loin derrière sa ligne de fond de court, ce qui lui fait perdre un peu de temps alors qu’il en laisse donc un peu plus à son adversaire pour s’organiser. Comme il se déplace très vite et très bien, il peut frapper très fort en coup droit, long la plupart du temps, très lifté. En revers, il arrive à obtenir pratiquement la même efficacité. S’il est face à une deuxième balle adverse, il s’avance davantage dans le terrain. Mais ce qui compte avec lui, aussi bien en première qu’en deuxième balles, c’est la vitesse avec laquelle il rentre dans le court après avoir frappé son coup.»

Coup droit: 10/10

«Son coup fondamental depuis l’origine, mais qui a aussi beaucoup évolué. Pendant longtemps, il s’est agi de son arme numéro un, et de très loin. Lourd, lifté, profond, ce coup repoussait l’adversaire même lorsqu’il était joué trop court en raison des effets engendrés par la balle de Nadal qui a toujours tourné à une vitesse exceptionnelle. Pour ses concurrents, il a toujours été impossible de jouer ces balles de près à cause du poids de celles-ci. Au fil du temps, Nadal a élargi sa palette en frappant ce coup dans toutes les directions et en variant avec beaucoup plus de précision ses longueurs, ses hauteurs et sa puissance. Qu’il s’agisse du long croisé classique du gaucher, du court croisé classique du gaucher, du long de ligne ou du décroisé. Sa plus récente nouveauté est liée au fait qu’il joue davantage dans son terrain. Il peut rendre ce coup décisif très tôt dans l’échange, plus précocement qu’avant, en emportant littéralement la balle avec lui. C’est un coup droit extraordinaire en défense et en passing-shot. Avec ce coup, sa défense se transforme souvent en attaque.»

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Revers: 9,5/10

«Ce coup est devenu ex-tra-or-di-naire au cours des quatre ou cinq dernières années. Le public ne prend peut-être pas la mesure de la qualité de cette arme. Au début, ses adversaires jugeaient ce revers comme l’une de ses faiblesses, relatives, et ils ont beaucoup insisté de ce côté-là, si bien que Nadal a fini par le rendre meilleur. Avant, il pouvait “refuser” son revers pour opter pour un coup droit en décalage, mais ce temps-là est révolu. Grâce à cette amélioration, il se replace plus souvent vers le centre du terrain entre deux coups. Il excelle avec son revers coupé à une main avec beaucoup de variations en longueurs quand il ne tente pas une amortie souvent gagnante. Son revers à deux mains croisé court ou croisé long sont deux coups fantastiques. Il peut attaquer le long de la ligne, mais c’est moins fréquent et, dans cette hypothèse, c’est généralement suivi au filet.»

 

Volée: 8,5/10

«Là encore, un secteur où il a beaucoup progressé. Ses volées en contrôle, particulièrement quand elles sont coupées, sont très efficaces parce qu’elles sont sobres techniquement et parce qu’il est capable de masquer ou de marier directions, longueurs, vitesses, angles et effets. Généralement, le rebond est très bas pour l’adversaire qui a beaucoup de mal à la relever s’il atteint la balle. C’est un volleyeur technique, rigoureux, simple et appliqué. Il commet très peu d’erreurs au filet. Son smash est impitoyable que ce soit avec le léger slice du gaucher ou avec le coup du poignet extérieur. Au cours des dernières semaines, il a même innové avec un smash frappé derrière la tête qu’il réussit alors qu’il paraît débordé ou à la renverse. Une sorte de compromis entre le bras roulé de Jimmy Connors et le coup au-dessus de l’épaule d’Ilie Nastase. Son coup de poignet est alors remarquable.»

Physique: 9,5/10

«Une force de la nature depuis ses débuts professionnels avec des qualités exceptionnelles d’endurance et de résistance qui n’ont cessé de se développer. Sa puissance et son explosivité sont phénoménales, fruits d’un très long travail sur le court, mais aussi probablement en salle. Sa coordination est excellente, ce qui lui permet de frapper des coups même dans des positions inconfortables. Il est rapide et souple, loin de toute caricature de lourdeur physique, avec un jeu de jambes idéal pour la terre battue où il maîtrise l’art de la glissade à la perfection. Pierre Paganini, l’entraîneur physique de Federer, avec qui j’ai travaillé pendant quatre ans, pense que le tennis est le sport qui réclame le plus de diversité physique. Comme Federer, Nadal a cette diversité. Hélas pour lui, contrairement à son rival suisse, il a payé davantage le prix en termes de blessures.»

Mental: 9,5/10

«Il est impossible d’avoir été aussi fort aussi jeune sans avoir des qualités mentales hors du commun. Il est évidemment encore plus inimaginable de durer aussi longtemps au plus haut niveau si, mentalement, nous n’avons pas affaire à un homme d’exception. Son mental ne se limite pas à sa volonté de gagner, affichée par son poing brandi, mais s’élargit à son comportement qui est celui d’un joueur qui a visiblement reçu une éducation et des valeurs de premier plan. Il est aussi noble dans la victoire que dans la défaite. Et il est très rare de le voir abandonner. S’il doit le faire, c’est parce qu’il n’a tout simplement pas d’autre solution. Il est revenu de tant de blessures. C’est un battant comme le tennis en a peu connu.»

Tactique: 9,5/10

«Elle s’est transformée en fonction de l’évolution et de l’utilisation de sa technique. Que ce soit sur surface lente ou rapide, il parcourt moins de terrain en se replaçant plus près de sa ligne de fond de court et en se recentrant davantage. Désormais, dès qu’il a une balle courte, il n’hésite pas à avancer dans le terrain pour aller éventuellement conclure le point au filet. Son jeu de défense reste aussi costaud que dans le passé avec, dans l’échange, de fréquents changements de rythme, de vitesse et de hauteur de balle. Il s’offre désormais plus d’échappatoires pour se ménager physiquement en écourtant l’échange à la première occasion. Il gère mieux sa “batterie”, en tout cas avec plus de parcimonie, avec ce souci du pourcentage le plus élevé au niveau du rapport dépense d’énergie/efficacité. Lors de longs échanges, sa cadence de coups est plus élevée et plus rapide que dans le passé.»

Alors, comment l’inquiéter et éventuellement le battre à Roland-Garros? «Lorsque Nadal délivre une balle moyenne, il ne faut pas s’attendre à ce que la suivante soit aussi moyenne, sourit Georges Deniau. Donc, il est essentiel d’attaquer dès la première ouverture, il n’y a pas à réfléchir. Prendre des risques, faire des attaques en force et en débordement.» Face à lui, oser est impératif. Plus facile à dire qu’à faire. Novak Djokovic a été capable de ce tour de force dans le passé, mais le Serbe a perdu de sa superbe.

Sur la longueur d’un match en cinq manches, le défi semble relever, actuellement, de la mission impossible.

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