Égalités / Société

Pourquoi une fois ado, votre fils ne lit plus de livres (et pourquoi ça fait peur)

Si les élèves de primaire manifestent quasi unanimement un intérêt pour la lecture, les garçons ont dès le collège tendance à lâcher leurs livres pour d'autres loisirs.

<a>Dans dix ans, il sera bien moins enthousiaste.</a> | Ben White via Unsplash <a href="https://unsplash.com/photos/4K2lIP0zc_k">License by</a>
Dans dix ans, il sera bien moins enthousiaste. | Ben White via Unsplash License by

Temps de lecture: 4 minutes

La semaine dernière, je parlais du succès de J’aime Lire, certains et certaines m’ont alors demandé ce qui se passait pour que les enfants arrêtent de lire par la suite.

Précision méthodologique: nous allons partir du principe que lire des livres, c’est bien, et que ne pas en lire, c’est se priver d’une richesse et d’un plaisir (ce qui ne signifie pas que je mésestime les qualités des jeux vidéo, des films ou des séries). 

Le collège, porte de l'enfer

Effectivement, d’après les sondages, les élèves de primaire aiment plutôt lire (les sondages et études n'abordent jamais la question des difficultés d'apprentissage de la lecture, je dois donc aussi faire l'impasse dessus. Mais l'une des études faisait le point avec les mêmes enfants tous les deux ans et clairement, à partir de 13 ans, ils abandonnaient de plus en plus les livres). C’est à partir de cette porte de l’enfer qu’est le collège que tout s’écroule vraiment.

Si vous avez déjà fréquenté un individu de maternelle, vous aurez noté son impatience à apprendre à lire. Les petits sont attirés par les lettres parce qu’ils ont soif de connaissances. À l’approche du CP, ils en font un enjeu d’émancipation. Devenir grand, c’est acquérir le pouvoir de la lecture et l'indépendance qui va avec. On s’affranchit un peu des parents, et les mots qui vous entourent –vous noterez qu’il y a de l’écrit partout dans nos environnements quotidiens– prennent sens.

Pourtant, arrivé en 6ème, la lecture perd ce pouvoir. On n’a plus sept ans, on ne s’émerveille plus de savoir lire. Et la lecture arrive alors en 7e position dans les loisirs, après internet, les amis, la musique, les vidéos, la télé et le sport.

Vous allez me dire que le secteur de la littérature young adult cartonne. C’est vrai, mais primo, il y a aussi pas mal d’adultes qui achètent ces livres donc ça fausse les chiffres, et deuxio, même sans littérature spéciale ado, les générations précédentes lisaient visiblement davantage (de mon temps, certes antédiluvien, il n'y avait pas vraiment de littérature ado, mais au collège, je lisais Agatha Christie, Tolkien et Alexandre Dumas).

Alors est-ce que tout ça, c’est la faute des écrans? En partie, mais si ce n’était que cela, tous les ados seraient touchés de la même manière. Or il se passe autre chose à partir du collège: la lecture, ça devient un truc de fille.

La fabrique des garçons

L’un des chiffres qui m’avaient frappée au sujet du magazine J’aime Lire, c’est qu’il y avait une quasi-parité entre lecteurs et lectrices. À partir du collège, c’est fini et enterré. Livre = utérus. Il faut dire que la lecture allie les qualités attendues chez les filles: immobilité, calme, silence et enrichissement de la vie intérieure.

Le désintérêt des adolescents pour les livres correspond exactement à ce qu’on appelle «la fabrique des garçons», un ensemble de stéréotypes qui encouragent les garçons à se détourner de la lecture. Les garçons, c’est l’agitation, l’interaction physique, le désordre (en gros, ce sont des chiots totalement soumis à leurs pulsions).

Ces préjugés sont éminemment performatifs, notamment dans le milieu scolaire. On ne dira jamais suffisamment combien la fabrique de stéréotypes de genre est néfaste pour les filles et les garçons. On s’intéresse généralement plus aux filles parce qu’elles subissent des discriminations évidentes, mais la masculinité hégémonique est aussi un problème pour les hommes.

Le manque de lecture des garçons est lié à leurs résultats de moins en moins bons à l’école –au point qu’aux États-Unis, c’est devenu une véritable peur pour les parents de garçons (un biais de genre qui se cumule évidemment avec les autres: origine sociale, racisme, etc.). 
 

 
Je vous conseille au passage cet article du Telegraph, où un père raconte qu'en visitant des écoles pour son fils, tous les directeurs lui vantaient leurs programmes d'aide à la lecture pour garçons, comme s'ils partaient du principe que le petit aurait forcément un problème. 

Et c'est encore pire que ce que l'on pouvait imaginer. D'après une importante recherche en Angleterre, publiée en 2016, non seulement les garçons lisent beaucoup moins que les filles, mais en prime, ils sautent des pages et ils comprennent moins bien le peu qu'ils ont lu (la phrase exacte du Guardian est terrible: «Les jeunes hommes choisissent des livres faciles et ne parviennent même pas à les lire correctement»).  

L'hypothèse de la flemme

Autant vous dire qu'en tant qu'autrice, je suis déjà passablement stressée par la possible disparition de mon travail, mais en plus, en tant que mère de deux garçons, je frôle la crise d'angoisse.

Comment les encourager à devenir des lecteurs hommes adultes, cette espèce si rare? Parce qu’on se plaint sans cesse de nos jeunes qui ne lisent plus, mais franchement, chez les adultes, ce n’est pas tellement mieux. Les hommes lisent nettement moins que les femmes.

Quand on cherche à savoir pourquoi, la première réponse, c’est «j’ai pas le temps». Les hommes auraient donc moins de temps que les femmes. Or pour avoir étudié les emplois du temps des Françaises et des Français pour mon dernier livre, je sais que c’est faux. Les hommes français ont en moyenne 3h30 de temps de loisir de plus que les femmes par semaine.

Les hommes adultes privilégient eux aussi les écrans. Pourquoi? Je pose une hypothèse, qui peut se combiner avec d'autres, celle de la flemme. Parce que soyons honnête: lire, ça demande une forme de discipline, surtout à une époque qui propose autant d'autres divertissements. Avant le plaisir que l'on en retire, il y a un effort à faire; il faut se plonger dans une page qui n’est pas immédiatement attractive, qui n’envoie pas tout de suite au cerveau une récompense, qui ne capture pas votre attention en un quart de seconde, mais qui va vous demander, à vous, d’aller vers elle.

Or les femmes sont souvent entrainées à la contrainte et à l’autodiscipline, dès leur plus jeune âge. Quand on est capable de limiter son alimentation et de s'arracher des poils, l’effort d’ouvrir un livre ne paraît franchement pas insurmontable –fin de l'hypothèse.

En tout cas, nous sommes face à un cercle vicieux, parce que d’après toutes les études, ce qui encourage le plus efficacement les garçons à lire, c’est de voir leur propre père lire, de l’entendre parler de littérature, que ce père leur lise lui-même des histoires, leur conseille des livres. Le rôle de modèle joue là aussi, dans l’association d’une figure masculine à la lecture.

Sauf qu'à l’heure actuelle, ce sont principalement les mères qui font le lien entre les enfants et la lecture, et les enseignantes. Et à l’âge où il faut se positionner dans une répartition sociale sexuée, le garçon qui lit devient un «intello» dénué de virilité. Dans un monde fou, lire devient un signe de faiblesse.

Ce texte est paru dans la newsletter hebdomadaire de Titiou Lecoq.

 
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