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En 2015, Benjamin Netanyahou a été élu pour un quatrième mandat de Premier ministre de l’État d’Israël. Au bout de quelques mois, des éditorialistes se demandaient quand son gouvernement allait tomber. Trois ans plus tard, la réponse semble être: «jamais».
Depuis l'élection de 2015, Netanyahou a dû faire face à de nombreux problèmes, comme des démissions fracassantes de ministres et des enquêtes policières. Depuis un an, les arguments en faveur de son possible renvoi se sont accumulés.
Au mois de février 2018, la police recommandait que le procureur général le mette en examen pour des faits de corruption, suite à quatre enquêtes différentes.
La situation dans la bande de Gaza empirait, le mont du Temple était une cocotte-minute et les nouvelles alertaient chaque jour sur la probabilité d'une guerre avec le Hezbollah au Liban. Aucun progrès n’était à noter sur le front du processus de paix entre Israël et la Palestine depuis la fin des négociations en 2014.
Sur le plan intérieur, une vague de protestation contre l’immense inégalité sociale et les difficultés économiques avait éclaté en 2011, alors que Netanyahou était déjà Premier ministre. Et rien n’a amélioré le coût exorbitant de la vie en Israël en sept ans.
Un soutien fondé sur la question sécuritaire
Comment expliquer alors la popularité sans faille de «Bibi»? En 2016, le parti de Netanyahou, le Likoud, obtenait dans les sondages un taux lui permettant de briguer 25,7% des sièges à la Knesset, le parlement israélien –un score certes moins important que les trente sièges qu'il avait remportés en 2015, mais qui faisait toujours de lui le premier parti à l’Assemblée.
Depuis, les intentions de vote en faveur du Likoud n'ont cessé de grimper. Quand la police a recommandé la mise en examen de Netanyahou, les adhésions au parti ont augmenté. Le 8 mai dernier, lorsque le président américain Donald Trump s'est retiré de l'accord nucléaire iranien, les sondages donnaient à Netanyahou les résultats les plus élevés en dix ans, soit trente-cinq ou trente-six sièges; l'un d'entre eux allait même jusqu’à quarante-deux sièges.
Comme tant de choses en Israël, le solide soutien à Netanyahou est fondé sur la question de la sécurité. Dans le discours politique israélien, le terme de «sécurité» désigne l’ensemble des menaces de violences palestiniennes, qu'il s'agisse de tirs de roquettes, de manifestations, de tentatives de franchir la frontière de Gaza ou de gamines agitant des paires de ciseaux.
Quand la violence augmente, Israël vote à droite.
Sous Netanyahou, Israël a mené deux guerres contre le Hamas et a dû faire face à une vague d'attaques au couteau ainsi qu'à une crise sur le mont du Temple. Le pays connaît maintenant une escalade meurtrière –pour les Palestiniens– à Gaza.
Quand la violence augmente, Israël vote à droite: c’est la grande leçon de la seconde intifada, qui a ramené un chef du Likoud au pouvoir en 2001, après un bref épisode travailliste. La gauche n’a plus jamais remporté une élection depuis.
Netanyahou est passé maître dans l’exploitation de crises pour récupérer des soutiens. Les escalades régulières rappellent à près de la moitié de l'électorat israélien qu'elle a bien fait de maintenir la droite au pouvoir. Un quart seulement de la population croit que la paix est possible, et à l'heure actuelle, moins de la moitié des juifs israéliens soutiennent la solution à deux États.
À leurs yeux, la question est davantage de savoir qui sait gérer un problème de sécurité que de savoir qui peut apporter une paix très hypothétique. Une électrice israélienne m'a récemment déclaré que ce qu’elle apprécie chez Netanyahou, c’est sa capacité à savoir mettre fin aux escalades militaires. En d'autres termes, non seulement nombre d’électeurs et électrices de droite et du centre ne lui reprochent pas sa politique guerrière, mais le louent pour la retenue dont il fait preuve.
Une stratégie internationale payante
Les menaces régionales telles que l'Iran, le Hezbollah et Daech font également partie intégrante de la question de la sécurité, mais à dire vrai, elles demeurent plus théoriques qu’autre chose: Israël n'a jamais fait la guerre à l'Iran, la dernière avec le Hezbollah remonte à douze ans, et il n'y a pas d'organisation État islamique en Israël.
Mais dans l'esprit du public, ces menaces sont sérieuses. Et elles le sont d’autant plus que Netanyahou martèle le risque existentiel que fait peser l'Iran sur Israël à toutes les occasions –quand il ne diffuse pas un spot de campagne disant que la gauche israélienne amènera Daech à Jérusalem.
Pour Netanyahou, le retrait de Trump de l'accord avec l'Iran est la cerise sur le gâteau. Que cet accord survive et que cette décision entrave ou, au contraire, aide la recherche présumée de l’arme nucléaire par l’Iran n’a fondamentalement guère d’importance. Netanyahou a parlé, et quelques jours plus tard, l'homme le plus puissant du monde l’a écouté. Le pouvoir, c’est ça.
Mais il s'agit aussi d'un retour en grâce. Durant huit années, Netanyahou s’est opposé au président Barack Obama. Les Israéliens et Israéliennes savent que les États-Unis sont le meilleur allié d’Israël; l’attitude de défi de Netanyahou était risquée, non seulement pour les relations américano-israéliennes, mais aussi sur le plan de la politique intérieure.
Après les élections de 2015, seulement un quart de la population estimait que les relations américano-israéliennes étaient bonnes, les trois quarts jugeant les relations mauvaises ou neutres. Les juifs israéliens étaient divisés sur le point de savoir si la responsabilité en était imputable à Obama ou à Netanyahou.
La victoire électorale de Trump a remis les relations entre les dirigeants sur de bons rails; des réussites politiques colossales –comme le retrait américain de l'accord avec l'Iran et le déplacement de l'ambassade des États-Unis à Jérusalem– ont semblé démontrer aux électeurs et électrices que Netanyahou avait raison depuis le début. Il avait tout compris avant tout le monde.
Et il existe une autre facette de cette stratégie internationale: au cours de son quatrième mandat, Netanyahou s’est livré sur le plan diplomatique à de la politique spectacle, en cultivant d'autres amitiés au-delà des États-Unis ou de l'Europe –notamment avec l'Inde et avec l'Azerbaïdjan– afin d'établir des liens économiques et de renforcer les intérêts du pays en matière de sécurité régionale.
Benjamin Netanyahu, sa femme Sara et le Premier ministre indien Narendra Modi à Ahmedabad, le 17 janvier 2018 | Sam Panthaky / AFP
La relation la plus importante, bien que nimbée de mystère, est celle avec la Russie de Vladimir Poutine. Ce n'est pas un hasard si Netanyahou a rencontré Poutine la semaine dernière, entre les deux frappes contre des cibles iraniennes en Syrie, ou à de nombreuses autres reprises au cours des deux dernières années, quand Israël a effectué des attaques de même nature.
La stabilité politique au prix de l'autoritarisme
Il serait trop simpliste de dire que le terrorisme et l'escalade militaire servent à détourner l’attention des affaires de corruption dans lesquelles baigne Netanyahou. C’est encore pire: les victoires militaires et diplomatiques de Netanyahou contribuent à policer son image sur le plan intérieur. Les Israéliens et Israéliennes disent régulièrement, non sans soupirer, «qu’il n'y a personne d'autre» –et en disant cela, ils pensent autant à la scène nationale qu’internationale.
Rares sont les gouvernements israéliens de coalition à avoir survécu un mandat complet: la plupart s'effondrent, ce qui conduit à des élections anticipées. En soixante-dix ans d’existence, Israël a connu trente-quatre coalitions de gouvernement.
Avec près de treize années combinées au pouvoir, il est le deuxième Premier ministre ayant occupé le plus longtemps cette fonction.
Malgré cette histoire troublée, le deuxième gouvernement de Netanyahou, de 2009 à 2013, a presque terminé son mandat, et rien n’indique que le gouvernement actuel tombera avant 2019 –ce qui constituerait un second mandat complet. Si l’on y ajoute l’incroyable capacité de résistance de Netanyahou –avec près de treize années combinées au pouvoir, il est le deuxième Premier ministre ayant occupé le plus longtemps cette fonction, il convient de reconnaître qu’il a apporté une certaine stabilité politique à Israël.
Mais cette stabilité a un prix. Depuis le début de son quatrième mandat, Netanyahou semble avoir décidé de laisser libre cours à sa vraie personnalité: un goût prononcé pour le culte de la personnalité et pour une forme de gouvernance de plus en plus autoritaire et verrouillée.
Des institutions cadenassées
Pendant un temps, au début de l’année 2016, Netanyahou ne détenait pas moins de cinq portefeuilles ministériels en plus de celui de Premier ministre, avant de les redistribuer au compte-gouttes; il continue de détenir celui de ministre des Affaires étrangères.
Son gouvernement a purement et simplement mis fin à l’équivalent de la radiotélévision publique d’État, et a très sévèrement encadré –politiquement et juridiquement– un nouveau pôle d’information financé par les deniers publics. Parallèlement, Netanyahou continue de bénéficier d’un soutien sans faille du plus grand journal du pays, financé par son mécène Sheldon Adelson.
Son gouvernement est en guerre contre la Cour suprême et débat actuellement d'un projet de loi qui permettrait à la Knesset d'outrepasser son droit de contrôle judiciaire, ce qui laisserait les mains libres au Premier ministre.
Quand Netanyahou a promu un projet de grand accord sur l’extraction de gaz naturel, le directeur de l’Autorité de la concurrence et le ministre de l’Économie ont démissionné en signe de protestation –ils considéraient que l’accord proposé empêchait toute compétition et faisait les affaires d’un cartel– et ont dénoncé les interférences du Premier ministre dans cette affaire.
Netanyahou a alors décidé de reprendre le portefeuille de ministre de l’Économie, ce qui lui a permis d’activer une clause spéciale pour contourner les réglementations antitrust. Mais pour ce faire, il était légalement tenu de consulter une commission spéciale de la Knesset. Les membres de cette commission se sont prononcés contre cette clause; il les a ignorés.
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Désintérêt pour les valeurs démocratiques
Le résultat de cette politique de l’homme fort est désastreux: les Israéliens et Israéliennes se désintéressent de plus en plus des valeurs de la démocratie et leur préfèrent les coups d’éclat du Premier ministre et les controverses qu’ils engendrent. Toute l’ironie de cette consolidation du pouvoir, c’est qu’elle nuit à la démocratie tout en générant simultanément un environnement dans lequel une seule personne se voit créditée de tout le mérite de ce qui va bien, renforçant encore son pouvoir.
Un tel dirigeant pourrait aussi se voir reprocher tout ce qui va mal. Mais nombre d’Israéliens et Israéliennes préfèrent manifestement oublier leurs difficultés économiques au profit d’une réjouissance occasionnelle, qu’il s’agisse de la victoire d’Israël à l’Eurovision ou du déplacement de l’ambassade des États-Unis à Jérusalem.
Les électeurs et électrices semblent avoir diminué leurs exigences en matière de morale personnelle en échange d’une certaine sécurité, occasionnellement troublée par une guerre dont la plupart pensent qu’elle ne pouvait de toute façon pas être évitée. Et suivant la même logique, mieux vaut que ce soit «Bibi» qui mène cette guerre –ou qui tue à Gaza les manifestants osant chercher à passer une frontière fermée depuis onze ans– plutôt qu’un gauchiste honni.
Tôt ou tard, Netanyahou devrait quitter la scène politique. Mais à en juger la manière dont chaque crise semble renforcer son pouvoir, et au vu de ce que ses années au pouvoir ont fait à Israël, il semble peu probable que le cours de la politique israélienne s’infléchisse fortement dans les années à venir.