Culture

Twin Peaks, le retour: la plus grande série du monde, du cosmos et de l'univers tout entier

[BLOG You Will Never Hate Alone] Je n'attendais rien des nouveaux épisodes de la série culte et j'étais un âne de penser de la sorte.

<a href="https://www.flickr.com/photos/aloha75/7259384286">L'emblématique chambre rouge comme si vous y étiez.</a> | Sam Howzit viaFlickr CC <a href="https://creativecommons.org/licenses/by/2.0/">License by</a>
L'emblématique chambre rouge comme si vous y étiez. | Sam Howzit viaFlickr CC License by

Temps de lecture: 3 minutes

Je l'avoue, j'étais plus que sceptique à cette idée de revisiter Twin Peaks, vingt-cinq ans après le dernier épisode. Je n'en voyais pas vraiment l’intérêt si ce n'est d'abîmer la nostalgie de cette série qui, à l'époque de sa diffusion, m'avait tant marqué et avait continué de me hanter longtemps après qu'elle se fut terminée. Je crois que j'avais peur aussi. Peur d'être déçu. Peur de découvrir que les nouveaux chapitres n'apportaient rien de nouveau et se perdaient dans des élucubrations narratives qui auraient porté ombrage au récit fondateur.

De son premier passage à la télévision française, je me souviens comme si c'était hier: comme le grand raté que j'étais déjà –j'habitais encore chez mes parents avec ma grand-mère– j'avais dit «ce soir je vous préviens tous, on regarde Twin Peaks». «On regarde quoi?» avait dit ma mère, «on regarde qui?» avait dit ma grand-mère, «on ne regarde rien avais-je répondu, on s'assoit et on se tait, Monsieur David Lynch nous fait l'honneur de sa présence, je ne veux pas entendre une mouche voler, la première qui l'ouvre, je la renvoie en Tunisie direct.»

Ma grand-mère avait abandonné au bout de dix minutes, ma mère l'avait suivie un quart d'heure après, j'étais resté seul face au téléviseur et au moment de la pause publicitaire, je me souviens avoir été pisser et là, tandis que ma vessie se vidait, avec un grand sourire qui devait me déformer le visage, je m'étais exclamé «putain, c'est génial, cette série, c'est tout simplement génial».

Et c'est précisément parce qu'elle était géniale que je redoutais qu'en tournant la suite, Lynch n'en vienne à ébrécher le souvenir de cette série miraculeuse qui d'épisode en épisode, de loufoqueries en loufoqueries, d'énigmes en énigmes, avait su si bien plonger le jeune homme que j'étais dans une sorte de transe, de ferveur exaltée où j'avais cru percer les mystères d'un monde aussi étrange que déconcertant, un monde crépusculaire hanté par l'idée du mal et l'odeur de café.

Dire que je me trompais serait un mensonge éhonté car non seulement les nouveaux épisodes de la série me semblent dépasser de mille coudées leurs lointains cousins, mais ils vont si loin dans l'exploration de la psyché, ils tissent des liens si étroits avec les questions qui peuvent nous hanter, avec les mystères de ce monde et celui d'à-venir, avec l'intimité de nos êtres, qu'il est permis de dire que non seulement Lynch a réussi son pari haut la main mais qu'il est allé bien au-delà de nos attentes.

Je ne saurais dire quelles étaient les intentions de Lynch, et peut-être lui-même ne le sait-il pas vraiment, tant les grandes œuvres ne sont jamais l'expression d'une idée bien précise mais la retranscription d'états d'âme aussi troublés que confus, mais il existe dans la présentation de ces épisodes comme quelque chose d’éminemment douloureux, une introspection en profondeur sur la migration des âmes et de leur devenir quand elles quittent leur écorce terrestre pour vagabonder dans des territoires qui ne seraient ni la mort ni la vie mais encore autre chose, un univers nouveau, évanescent, trouble, complexe, insolite, déroutant au possible et que Lynch dépeint avec une telle force, une telle capacité d'envoûtement, une telle inventivité qu'il est comme impossible de lui résister.

Il faut vraiment considérer Twin Peaks comme une œuvre d'art à part entière qui tiendrait debout autant par sa beauté formelle, où chaque plan se laisse découvrir comme le tableau d'un grand maître, une beauté macabre parfois insoutenable au regard, que par son exploration des limites, des mondes infinis et tourmentés qui peuplent nos rêves et nos cauchemars, visions traumatiques hantées d'âmes captives revenues de leurs murmures d'outre-tombe pour mieux ensorceler le réel sans qu'on soit capable de dire avec certitude dans quel monde évolue toute la série: serait-ce ce monde-ci ou serait-ce le prochain, serait-ce un monde parallèle, serait-ce le monde d'avant le monde ou bien alors serait-ce le rêve d'un monde occupé à rêver son rêve d'un autre monde?

Et comme Lynch est un vieux roublard au sommet de son art, qu'il a le souci permanent d'égarer son spectateur tout en lui offrant assez d’éléments narratifs pour lui donner envie de poursuivre plus loin l'exploration de la série, qu'il saupoudre son récit d'une drôlerie et d'une cocasserie parfois irrésistibles, que le plaisir de revoir les anciens personnages de la série ne se dément jamais, on en vient à penser que jamais la télévision ne nous a donné à voir quelque chose d'aussi profond, d'aussi évocateur, d'aussi nouveau, d'aussi beau, d'aussi... génial!

Je ne saurais la conseiller à tout le monde mais je puis assurer que ceux qui s'y risqueront ne sortiront pas indemnes de ce si étrange voyage.

Et en redemanderont encore.

Et encore.

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