Médias / Monde

Les Windsor et les médias, une longue histoire d'amour

Le mariage ce samedi du Prince Harry et de Meghan Markle est suivi par des télés du monde entier. Preuve que la famille royale britannique a su soigner au fil du temps son aura médiatique.

Just married  | Daniel Leal-Olivas / AFP
Just married | Daniel Leal-Olivas / AFP

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De 1953 à aujourd’hui, la famille royale britannique a entretenu une étroite relation avec les médias. Radio, télévision, réseaux sociaux, à chaque époque, sa communication, propulsant les Windsor au rang de stars des têtes couronnées européennes.

La BBC, arme de communication massive

Immortalisé par le réalisateur Tom Hooper dans Le Discours d’un roi (2010), l’allocution radiophonique du roi George VI annonçant l’entrée en guerre du pays le 3 septembre 1939 marque le début d’une étroite relation entre la British Broadcasting Corporation (BBC), fondée à peine dix-sept ans plus tôt, et la couronne. Alors même que George VI n’était pas destiné à régner (il accède au trône suite à l’abdication de son frère aîné en 1936) et qu’il souffre de sévères problèmes d’élocution, le jeune roi, conscient de l’importance de communiquer la grave nouvelle de l’entrée en guerre à ses sujets, fait un choix audacieux pour lui. En optant pour un discours radiophonique, il établit subtilement un lien direct avec ses sujets. L’émotion dans sa voix, la solennité et les hésitations l’humanisent, le font descendre quelques instants de son piédestal royal pour mieux convaincre le Royaume-Uni du bien-fondé de sa décision belligérante.

Le discours de George VI du 3 septembre 1939.

Naturellement, c’est aussi sur les ondes de la BBC que George VI annonce la victoire des Alliés le 6 juin 1944. Son discours y est alors écouté par près de 80% de la population britannique, un record absolu.

Le discours George VI du 6 juin 1944.

La proximité que le père d’Elizabeth a su créer avec son peuple n’a pas échappé à la sagacité de sa fille. Âgée de vingt-six ans à la mort du roi, Elizabeth II a retenu les leçons de communication qu’elle a observées enfant. Mais les temps ont changé et la télévision semble une excellente alternative à la radio pour frapper les esprits par une mise en scène majestueuse (la grandeur de la monarchie) et sobre (la retenue anglicane). Pour son couronnement, en 1953 en l’abbaye de Westminster, la BBC diligente ainsi des dizaines de caméras, habilement disposées pour capter aussi bien les visages des quelques sept mille invités que les rituels du couronnement. Mais cette décision iconoclaste, inviter indirectement tous les Britanniques (plus de vingt millions étaient devant leur poste pour environ quarante six millions d’habitants) à cet événement, ne fut pas chose facile. En effet, seule une partie de la cérémonie devait être retransmise en direct tandis que les moments plus solennels, dont le couronnement, devaient être enregistrés, montés puis diffusés plus tard, pour gommer les éventuelles maladresses. Le Parlement britannique lui-même statua sur la médiatisation de cet événement sacré.

Cérémonie de couronnement d'Elizabeth II le 2 juin 1953.

Comme le montre la première saison de la série The Crown (mariage, maternité et accession au pouvoir d’Elizabeth), la reine a largement piloté les opérations, pesé de tout son poids face aux réticences des élus et des représentants religieux. Pour elle, médiatiser son couronnement revenait à le légitimer, à affermir sa place dans une monarchie constitutionnelle où la personnalité seule du régnant lui donne une importance politique. Pas élevée comme une souveraine potentielle (son père n’aurait jamais dû accéder au trône), jeune femme d’à peine vingt-six ans, Elizabeth désire avoir un impact politique et non seulement symbolique sur son pays et elle a parfaitement saisi l’importance d’exister médiatiquement pour mener à bien cette tâche. Pour régner, il faut un peuple et rien de tel que lui donner à voir les arcanes de la monarchie dont il a toujours été exclu, de l’intégrer dans le processus royal pour obtenir son soutien.

Le tournant des années 1980

Après trente ans de règne, sans événement majeur pour faire communier le peuple anglais autour de sa famille royale, et avec l’apparition simultanée des tabloïds avides des frasques du fils ainé de la reine, il est temps pour les Windsor de relancer leur communication médiatique. Ce sera le mariage du Prince Charles et de Diana Spencer. Le 29 juillet 1981 à la Cathédrale St Paul de Londres se déroule l’un des événements médiatiques les plus suivis de par le monde. Près de 750 millions de téléspectateurs suivent l’arrivée du carrosse transparent amenant la mariée, tandis que deux millions de badauds s’agglutinent sur son passage. En monopolisant l’attention des médias internationaux pendant une journée, les Windsor réaffirment leur statut de stars, mais à la différence des autres mises en scène radiophoniques ou télévisuelles, ce mariage amorce un storytelling de conte de fées dont Diana sera l’héroïne jusqu’à sa fin tragique en 1997.

Le mariage du Prince Charles et de Diana, le 29 juillet 1981. | Pool / AFP

Avec l’émergence de la presse à scandales et des paparazzi, l’instrumentalisation des médias par la famille royale atteint un point de bascule et se retourne progressivement contre ceux-là même qui s’y sont adonnés. Ainsi, la pression perpétuelle subie par la princesse Diana est-elle devenue un cas d’école des méthodes obscènes des tabloïds, dont l’appétit dévorant pour les images volées est né de cette ultra-médiatisation voulue par Buckingham. Dans ce jeu de dupes, Diana Spencer, d’abord victime tétanisée par les flashs des photographes, a appris elle aussi à manipuler les médias. Quand en 1995, elle accepte de répondre à Martin Bashir, journaliste à la BBC, elle sait quel impact ses paroles auront sur les téléspectateurs et par ricochet sur sa belle-famille. Dans cette interview exclusive, où elle livre ses angoisses, assume ses relations adultères et accuse son mari de ne pas être taillé pour devenir le prochain souverain britannique, la princesse brise une règle d’airain de la monarchie: le secret.

 

L'interview Lady Di par Martin Bashir en 1995.

Comme Elizabeth II, à une autre époque et pour d’autres motivations, Diana utilise les médias pour susciter l’empathie, pour que le peuple prenne son parti dans le divorce compliqué qui s’annonce. Une fois encore, la télévision est un levier; ici pour orienter les sympathies, comme en 1953 pour servir les desseins politiques d’une reine en quête de légitimité.

Alors que la nouvelle génération prend le relais, de nouveaux moyens de communication s’imposent. La radio de George VI a laissé place à la télévision d’Elizabeth II, elle-même mise en danger aujourd’hui par les réseaux sociaux. William et Kate et ce samedi Harry et Meghan héritent d’une notoriété médiatique instaurée par leurs aînés. Mais l’usage politique des médias de George VI et de sa fille a laissé à la place à une pure com’ qui vise à consolider et surtout à valoriser la marque Windsor (produits dérivés, tourisme). Les décennies ont passé, le mercantilisme a balayé la politique, la communication a pulvérisé la médiatisation, mais malgré les changements, les Windsor, eux, sont encore là.

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