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Le travail de sape d'Orbán pour pousser Soros hors de Hongrie

Les fondations du milliardaire-philanthrope américano-magyar quittent Budapest où elles travaillaient depuis 1984. Un départ accéléré par vingt-quatre mois d’intense campagne gouvernementale anti-Open Society.

Georges Soros, le 24 septembre 2011 à Washington.| Brendan Smialowski / AFP
Georges Soros, le 24 septembre 2011 à Washington.| Brendan Smialowski / AFP

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Voulez-vous qu’un spécultateur machiavélique avide de profit importe des milliers de migrants illégaux qui voleront votre travail, vandaliseront vos boutiques et violeront vos femmes? Souhaitez-vous que des organisations à la solde de cet individu pétri de mauvaises intentions et les partis libéraux soumis à ses désirs précipitent notre pacifique Hongrie dans la spirale du terrorisme? Voici, en substance, ce que Viktor Orbán et ses proches professaient meeting après meeting durant la campagne législative devant des foules souvent provinciales, âgées et dopées à la crainte du vil George Soros, milliardaire américain d'origine hongroise.

«Stop Soros»

Largement réélu le 8 avril dernier sur fond de discours anti-réfugiés et anti-ONG face à une opposition fragmentée, l’homme fort de Budapest n’a pas lésiné sur les affiches et les spots diabolisant Soros son bienfaiteur d’antan arrosant d’argent son parti Fidesz naissant, aujourd’hui poussé à jeter l’éponge. Consultation nationale sur le «plan Soros», panneaux quatre par trois appelant les Magyars à «ne pas laisser lui le dernier mot», messages radiotélévisés «Stop Soros» et menaces sur l’Université d’Europe centrale ont conforté les envies d’ailleurs de sa fondation Open Society, qui a finalement quitté la Hongrie. Désormais, c'est à Berlin que seront installés ses bureaux. Une décisions prise «en raison du contexte politique et législatif de plus en plus répressif en Hongrie», selon le porte-parole de l'organisation.

«Consultation national à propos du Plan Soros - Ne le laissez pas faire sans rien dire». Affiche anti-Soros, Budapest, le 16 octobre 2017. | Attila Kisbenedek / AFP

«Les attaques du gouvernement Orbán contre la société civile ont débuté en 2014 avec la perquisition sur ordre du Premier ministre des bureaux du Norway Fund et de la fondation Ökotárs, accusés comme Soros d’être à la solde d’intérêts étrangers. Il est alors clairement apparu à partir de ce moment-là que l’administration Orbán allait utiliser tous les outils en sa possession lui permettant de se débarrasser des ONG critiques. Pour l’Open Society devenue cible du gouvernement Orbán, la campagne “Stop Soros” fut la dernière goutte faisant déborder le vase», analyse le portail d’information de référence Index.hu.

Pourtant, en octobre 2010, Orbán recevait Soros en grande pompe sous les ors du Parlement après que le milliardaire a signé un chèque d’un million de dollars destiné aux victimes de la catastrophe des boues rouges d’Ajka survenue après l’explosion d’une usine d’aluminium, non loin du lac Balaton. Le richissime philanthrope et l’ancien boursier d'Open Society envoyé à Oxford grâce aux deniers de Soros firent alors front commun face au Tchernobyl hongrois ayant tué une dizaine de personnes, blessé près de cent-cinquante autres et gravement pollué les rivières environnantes jusqu’au Danube.

Porc et paranoïa

Les relations furent longtemps idylliques entre Orbán l’ex-dissident anticommuniste et le financier ayant encouragé l’émergence de la société civile en Hongrie sous le «socialisme du goulash» finissant. Depuis la crise des migrants, l’entente volontiers cordiale s’est métamorphosée en mitraillage haineux à sens unique visant la figure honnie de Soros le juif budapestois. Mention spéciale au député Fidesz posant fièrement devant un cochon grillé sur lequel on pouvait lire «Ö volt a Soros» (C’était son tour) sans qu’Orbán lui-même ou l’un des membres du gouvernement ne condamne ce happening pitoyable.

«Aujourd’hui, quiconque ayant reçu des subsides de l’Open Society ou figurant sur une photo avec quelqu’un ayant une fois dans sa vie serré la main d’un ancien de l’Université d’Europe centrale est catalogué agent de Soros. La logique paranoïaque de la campagne anti-Soros proposant une narration alternative sur le personnage acte le triomphe d’une post-vérité à l’occidentale tout en suivant le modèle de la propagande classique relayée au maximum. En moins d’un an, le gouvernement a su transformer un homme quasi-inconnu ici en ennemi à abattre», développe le politologue Péter Krekó.

Instrument-clé de la récente victoire d’Orbán, le Soros-bashing alimente les rodomontades de Kaczynski en Pologne, de Babiš en Tchéquie et de l’ex-dirigeant ultranationaliste macédonien Gruevski initiateur du «Stop Operation Soros Movement». La vulgate anti-Soros s’éveilla au début des années 1990 après que l’épouvantail des démocratures a empoché près d'un milliard de dollars en une journée en spéculant contre la livre sterling. Orbán ne fait qu’imiter l’ex-président croate Tudjman qui traitait ses opposants de vendus à Juda, en l’occurrence Soros finançant selon lui la subversion dans les Balkans.

Délocalisation

«Pas besoin d’aimer Soros pour reconnaître son attachement à la diversité des opinions et au respect des valeurs démocratiques, largement piétinées en Hongrie et dans la région depuis plusieurs années. Le départ de l’Open Society prouve tristement et concrètement que l’Europe centrale n’a toujours pas rejoint le camp de l’Ouest près de trente ans après la chute du mur de Berlin. Orbán et son parti ont pratiquement domestiqué la société magyare. L’opposition politique est en lambeaux et les principaux médias critiques se meurent les uns après les autres», souligne une plume du Mediapart local, Átlatszó.

En trente-quatre années de présence hongroise, Soros et sa fondation ont notamment mis en place un programme de distribution quotidienne de lait dans les écoles, offert des équipements médicaux de pointe à des hôpitaux en déshérence, prodigué une aide considérable aux plus démunis, appuyé l’éducation des Roms, émancipé la cause LGBT et facilité l’éclosion d’une sphère associative engagée. Des chantiers que l’Open Society entend poursuivre malgré son déménagement et les rumeurs insistantes de délocalisation de l’Université d’Europe centrale à Vienne. Quoi qu’en dise Viktor Orbán.

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