Monde / Économie

La Chine parie sur la fonte des glaces arctiques pour ouvrir de nouvelles routes commerciales

Loin des conséquences écologiques est en train de se jouer une redistribution générale des cartes dans laquelle Pékin entend bien jouer un rôle de premier plan.

Vue de l'Océan Arctique, le 30 mars 2017. | Mario Tama / Getty Images North America / AFP
Vue de l'Océan Arctique, le 30 mars 2017. | Mario Tama / Getty Images North America / AFP

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 «Tout a fondu», comme l’a récemment expliqué le Secrétaire de la marine Richard Spencer, en parlant de la fonte des glaces dans l’Arctique, un secrétaire qui préside à l’élaboration d’une nouvelle stratégie navale américaine qui doit être dévoilée cet été. Ce que la marine américaine avait en effet présenté il y a quatre ans comme sa feuille de route pour les 16 prochaines années doit donc être révisée, partiellement en raison du recul de la calotte glaciaire, qui «ouvre de nouvelles routes commerciales, donne accès à de nouvelles ressources et redessine les cartes continentales», mais aussi parce que la Chine «se positionne dans l’Arctique» et joue un rôle de plus en plus important dans la région.

Le nouveau plan arctique chinois, publié trois mois avant la décision de la marine américaine de réajuster sa stratégie dans la région, imagine la création d’une «route polaire de la soie», pour reprendre les mots du président chinois Xi Jinpingquand il évoque «l’initiative de la ceinture et la route» (plus connue sous le nom de «Nouvelle route de la soie») au cœur de sa politique étrangère. Il s’agit de tracer une nouvelle route dans la mer Arctique non gelée, qui serait dominée par le commerce chinois, liée aux ambitions globales de Pékin.

Ambitions croissantes

La Chine est déjà puissance observatrice au sein du Conseil de l'Arctique et ses ambitions dans la région ne font que croître. Un politique qui vise à faire passer le pays du statut d’observateur à celui de puissance arctique à part entière –un titre qu’elle s’est déjà attribuée– avec des droits et des responsabilités accrues, un changement avec des conséquences sur la future stratégie américaine.

La Chine a de grands plans pour la région, avec la création de routes commerciales via la route polaire de la soie, une expansion de ses investissements directs dans les États bordant l’Arctique, et un déploiement stratégique de sa puissance scientifique. Pékin a pris conscience que les effets des changements climatiques vont être source de problèmes intérieurs dans un proche avenir. Comme le remarque un chercheur, «au cours du siècle prochain, l’érosion des côtes chinoises en raison de la fonte des glaces va forcer le déplacement de 20 millions de personnes, sans parler de la réduction de la production agricole». Ce fait joue un rôle dans le désir de se positionner comme une puissance mondiale responsable, en assumant un rôle de chef de file en matière de climat que l'administration américaine actuelle a clairement abandonné.

«Qui contrôle la route arctique contrôle le futur de l’économie mondiale et des stratégies internationales.»

Li Zhenfu, directeur du centre de recherche de l’Université Maritime de Dalian pour les études polaires

La route polaire de la soie telle qu’imaginée par le gouvernement chinois empruntera pour commencer la route du Nord, longeant la côte russe, une route que la Russie envisage comme une autoroute vers l’Arctique -une autoroute à péages, de préférence. Le transport maritime le long de cette route, qui, avec la fonte des glaces, serait sans doute libre plusieurs mois par an, pourrait réduire de 15 jours la durée actuelle du transport maritime par le détroit de Malacca et le canal de Suez –tout en échappant au contrôle exercé par les États-Unis le long de cet itinéraire.

Route maritime du Nord. Mohonu sur Wikipedia anglaisTransféré de en.wikipedia à Commons

Sur le long terme, la Chine envisage également d’utiliser la route maritime transpolaire, encore plus courte, qui passera par le pôle d’ici plusieurs décennies, lorsque la glace aura fondu. Cette route, qui une fois encore pourrait être libre plusieurs mois chaque année ne fera pas seulement économiser du carburant et des jours de voyage, mais lui permettra aussi de ne pas avoir à emprunter les eaux territoriales russes. Comme l’explique Li Zhenfu, directeur du centre de recherche de l’Université Maritime de Dalian pour les études polaires: «Qui contrôle la route arctique contrôle le futur de l’économie mondiale et des stratégies internationales».

Investir pour contrôler la région

Pékin se positionnant comme une nouvelle puissance économique dans la région –par le biais d’une présence directe et de l’influence indirecte qu’elle exerce sur d’autres acteurs de la région de l’Arctique chez qui elle investit– les États-Unis vont nécessairement devoir accroitre leur présence s’ils ne veulent pas perdre la main sur ces nouvelles routes.

Ainsi, la Chine renforce sa présence dans l’Arctique par le biais d’investissements dans les ressources et le développement d’infrastructures portuaires. À l’heure actuelle, elle est très dépendante d’importations de pétrole et de gaz en provenance du Golfe persique et de l’Afrique qui transite par des goulots d’étranglements contrôlés par la marine américaine. Mais elle est en train de diversifier ses ressources d’énergie en investissant dans le complexe de gaz naturel russe de Yamal, ainsi que dans des champs pétrolifères et gaziers en Norvège. Voilà qui lui offre non seulement une source alternative de pétrole et de gaz mais l’aide aussi à accumuler de l’expérience dans le développement de ses infrastructures et technologies arctiques pour ensuite de contrôler les routes par lesquelles ses importations transitent. Pour des raisons similaires, la Chine cherche également à placer ses pions dans le gaz et le pétrole en Alaska et au Canada, tout en investissant dans les industries minérales et portuaires de plusieurs pays européens arctiques.

Parmi les possibles partenaire de la Chine dans la région figurent cinq membres européens du Conseil de l'Arctique: l’Islande, le Danemark, la Norvège, la Suède et la Finlande, tous  très désireux de voir leurs propres ambitions arctiques ainsi soutenues financièrement. L’Islande et le Groenland sont devenues des cibles pour les investissements directs de Pékin, dont la présence a reçu une réponse mitigée de Reykjavik, qui accueille à bras ouverts les investissements en technologie géothermique et discute des opportunités d’un éventuel soutien chinois pour la construction d’un port en eaux profondes, mais qui refuse des investissements fonciers liés au tourisme. Le Groenland est en train de fondre et la Chine investit dans des ports potentiels et dans les minerais rares dont elle a besoin pour alimenter son économie manufacturière. Enfin, les gouvernement finlandais et chinois ont récemment initié un marché visant à créer une «Route de la soie des données», qui permettra de relier les communications arctiques avec le marché asiatique.

Les États-Unis distancés

Le dernier volet de l’ambition arctique de Pékin est le déploiement stratégique de ses capacités scientifiques. Le pays a déjà déployé des dizaines de scientifiques à Svalbard, l’archipel arctique de la Norvège –une zone internationale démilitarisée où toutes les nations peuvent envoyer des chercheurs– et bien d’autres tout autour de l’Arctique. Plus de 30 expéditions polaires depuis 1984 sous le drapeau rouge et, afin de concrétiser des ambitions à long terme dans la région, un brise-glace de nouvelle génération est en train d'être construit: le Xuelong 2 sera lancé en 2019, bien avant que les États-Unis aient commencé à travailler à leur nouveau grand brise-glace, dont la construction ne démarrera qu’en 2020. La république populaire a également déployé un nombre impressionnant de satellites pour surveiller le climat de la région, dont le FY-3D en 2017, lancé trois jours avant le satellite américain Joint Polar Satellite System-1. Tandis que Xi Jinping continue son offensive de diplomatie de la science dans la région, les États-Unis combinent leur programme de satellites polaires de la National Oceanic and Atmospheric Administration avec le programme Polar Follow On (deux programmes de recherche et de surveillance) tout en réduisant leur budget global de 20%.

Le réseau tissé par les Chinois dans l’Arctique est solidement maillé par ce mélange d’objectifs économiques ambitieux et de diplomatie de la science. L’Institut de Recherche Polaire de Pékin estime qu’entre 5 et 15% des exportations du pays pourraient transiter par l’Arctique en 2020 et que ce trafic continuera de s’accroître au fur et à mesure que le pays multipliera les alliance avec les puissances régionales pour tirer parti de leur accès aux ressources dans la région. Le pays va donc poursuivre son jeu de balancier entre diplomatie de la science –par le biais de nouvelles recherches– et sur l’extraction de ressources, une présence qui deviendra critique lorsque le moratoire récemment conclu sur les pêcheries sera révisée dans 15 ans.

Voilà qui reflète la présence accrue de la Chine dans les autres portions de la Route et de la Ceinture. Cette initiative  s’appuie également sur des accords bilatéraux et une diplomatie non gouvernementale, prélève des ressources disponibles dans des pays partenaires, délocalise l’impact environnemental de la croissance chinoise, et permet de s’assurer que les compagnies chinoises et leur technologie sont les bénéficiaires directes de cette implication. Alors que les plans arctiques de Pékin concernent un nombre toujours plus croissant de pays, de ressources et de routes commerciales, faisant progresser ses intérêts dans la région, les États-Unis doivent s’adapter rapidement aux changements géopolitiques locaux, en redéfinissant bien sûr la stratégie arctique de la marine américaine et d’autres administrations, mais en investissant humainement, scientifiquement et commercialement.

L’Arctique pourrait bien être la nouvelle frontière de l’innovation pour les États-Unis, combinant son grand potentiel scientifique et des capacités technologiques à l’opportunité de connecter au reste du monde cette grande région, par des routes commerciales et des télécommunications, et en se positionnant comme un allié de poids des nations arctiques.

 

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