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Pourquoi les soldats israéliens tirent sur les manifestants palestiniens

Certains expliquent les morts arabes par la panique qui s’est emparée des soldats israéliens débordés face aux émeutiers. En fait, il n’en est rien.

Des Palestiniens manifestent près de la frontière entre la bande de Gaza et Israël, le 14 mai 2018. | Mahmud Hams / AFP
Des Palestiniens manifestent près de la frontière entre la bande de Gaza et Israël, le 14 mai 2018. | Mahmud Hams / AFP

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L’opinion internationale ne comprend pas la situation dramatique qui sévit à Gaza alors que cinquante-neuf morts et 2.400 blessés par balles sont déjà décomptés à l’heure où ces lignes sont publiées. Il est normal qu’à l’étranger, l’opinion soit choquée par une situation qui échappe à un quelconque raisonnement car rien ne s’écrit dans une logique occidentale. À part les guerres officiellement engagées, Israël n’est pas habitué à sévir avec autant de violence, au point que certains comparent Netanyahou à Assad. C’est un contre-sens. Assad tue son peuple; Netanyahou estime défendre son pays de toute intrusion.

Certains expliquent les morts arabes par la panique qui s’est emparée des soldats israéliens débordés face aux émeutiers. En fait, il n’en est rien. Le gouvernement israélien aligne sur les fronts sensibles ses meilleures recrues, des troupes d’élite, sélectionnées non pas pour leur capacité physique qui importe peu dans ces situations critiques, mais pour leur sang-froid. Ils tirent lorsque la situation a été appréhendée par leurs supérieurs. Ils sont aux ordres du gouvernement civil.

L’État-major, comme dans toutes les démocraties, élabore des stratégies militaires, conseille les politiques mais laisse la décision finale au pouvoir civil. Le gouvernement de Netanyahou, sur les conseils de Tsahal, a autorisé le tir à balles réelles parce qu’il avait estimé que les frontières étaient en danger. Netanyahou avait prévenu que «tout pays a l'obligation de défendre son territoire». Ceux qui foulent les frontières se mettraient donc directement en danger: le pouvoir ne voulait pas laisser les manifestants sectionner les fils barbelés pour éventuellement investir les villages israéliens voisins.

Israël a des réunions régulières avec les services de sécurité palestiniens et il avait accepté le principe des manifestations sous réserve qu’elles se passent au plus près à 700 mètres de la frontière. Cet accord a fait long feu: parfois poussés par des manipulateurs téléguidés par des organisations terroristes, des manifestants palestiniens l'ont enfreint. Le Hamas est débordé et il s’est mis hors-course, depuis qu’il a été abandonné par son aile militaire, les brigades Ezzedine al-Kassem qui refusent de se dissoudre au sein des forces palestiniennes légitimes. Alors ces derniers veulent montrer leur indépendance en procédant à des tirs de missiles sur Israël et en formant des jeunes à défier Israël en traversant la frontière.

Par ailleurs, le djihad islamique a pris de plus en plus d’importance depuis qu’il a décidé de ramener à lui les déçus du Hamas et du Fatah. Il est soutenu, armé et financé par l’Iran qui voit là un moyen d’imposer le désordre au sud d’Israël. Alors, des jeunes sont intoxiqués pour se mesurer à l’impitoyable armée israélienne. Ils font preuve non seulement d’une grande illusion, mais ils tombent dans le piège tendu par les extrémistes qui leur ont conseillé d’offrir leur poitrine nue aux balles israéliennes.

Des morts tragiquement inutiles

Que voulaient obtenir les jeunes manifestants? Leurs manifestations ne pouvaient pas entraîner un revirement de Donald Trump sur l'installation controversée de l'ambassade américaine Jérusalem –ce n’est certainement pas le genre de dirigeant à plier face à la contestation, légitime ou non. Il est possible, en revanche, qu’ils aient été incités par des meneurs agissant sur ordre du Hezbollah qui recherche peut-être un alibi pour se lancer dans une aventure militaire contre Israël. Des dizaines de missiles sont prêts au nord à fondre sur les villes israéliennes pour venger les attaques israéliennes contre les bases iraniennes en Syrie. Il lui fallait une excuse; les jeunes envoyés ont aussi été envoyés à la mort pour la cause iranienne. Le gouvernement israélien a décidé de frapper fort et tragiquement pour dissuader les manifestants de passer à la vitesse supérieure.

Manifestants qui voulaient aussi réveiller le sentiment pro-palestinien auprès des pays arabes parce qu’ils se sentent abandonnés. Mais l’influence conquérante et la nuisance de l’Iran ont modifié la donne et peu de pays arabes sont prêts à défendre, comme jadis, la cause palestinienne. L’Égypte souffre déjà avec les islamistes au Nord-Sinaï pour prendre en charge un problème qui lui est devenu étranger. Cependant le président Al-Sissi maintient son influence. Le leader du Hamas, Ismaël Haniyeh, vient de se rendre au Caire pour s’entretenir avec lui. Cela explique peut-être la décision du Hamas de retirer les émeutiers de la frontière avec Israël pour calmer le jeu –selon certains optimistes– ou pour avoir le champ libre afin de lancer des missiles contre le sud israélien –selon les pessimistes.

De son côté, l’Arabie saoudite poursuit son idylle avec les Israéliens devant la peur profonde que lui inspire l’Iran. Les relations avec Mahmoud Abbas sont dégradées. La Turquie, concentrée sur les Kurdes de Syrie et d’Irak, ne participera pas militairement aux côtés de Gaza. D’ailleurs son appartenance à l’Otan lui interdit ce genre d’engagement. Enfin, les Palestiniens ne peuvent plus compter sur les Russes qui jouent de plus en plus ouvertement la carte israélienne face à un Iran qui en fait trop, qui refuse de favoriser la paix en Syrie et qui foule ses plates-bandes.

Enfin, il faut noter que la Cisjordanie, où le djihad islamique n’est pas implanté, est restée relativement calme. En cas de trouble, Israël ferme la frontière aux 100.000 ouvriers palestiniens qui travaillent dans les chantiers en Israël, sachant que chaque ouvrier fait vivre trois à quatre familles.

Les morts dénombrées sont des morts inutiles car elles n’avaient pas vocation à faire changer la tournure des événements. Trump poursuit sa ligne dure. Netanyahou ne craint rien ni personne et, les sondages l’attestent, tout lui réussit sur le plan intérieur.

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