Égalités

Ce qu'impliquerait vraiment un congé parental plus long et mieux payé

Emmanuel Macron a raison de s'opposer à la directive européenne prévoyant un congé parental de quatre mois indemnisé à 50% du salaire, même si ses arguments sont à côté de la plaque.

<a>Parent en congé</a> | Micael Widell via Unsplash <a href="https://unsplash.com/photos/iESIEEShXuk">License by</a>
Parent en congé | Micael Widell via Unsplash License by

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Je vais être honnête: toute occasion de critiquer un homme politique est bonne à prendre, d’autant plus s’il est président de la République (il faut bien exercer sa fonction de contre-pouvoir). Alors quand j’ai entendu parler de la polémique sur une directive européenne qui améliorait la condition des femmes au travail et qu’Emmanuel Macron était contre, j’ai commencé à échauffer mon mauvais esprit (mon animal totem, c’est la hyène).  

J’ai vu que plein d’associations avaient signé une pétition pour demander au Président de soutenir la directive, et que même les syndicats avaient écrit une lettre ouverte, signée par Laurent Berger, Philippe Martinez, Pascal Pavageau, Philippe Louis et Luc Bérille (que des hommes, ça aurait dû me mettre la puce à l’oreille).

Risque pour l’égalité femmes-hommes

Ensuite, j’ai lu la fameuse directive européenne et c’était à peu près comme si on m’avait jetée dans la Volga au mois de décembre. Pour bien comprendre, il ne faut pas confondre congé paternel et congé parental. La directive européenne prévoit un droit à un congé paternel de dix jours. En France, les pères ont un congé de naissance de trois jours et un congé paternité de onze jours consécutifs (donc en comptant les week-ends et jours fériés), soit quatorze jours au total. En gros, 70% des pères prennent ces congés non obligatoires. Le congé paternel européen ne change donc rien pour nous, mais pour certains pays, c’est une réelle avancée.

Ensuite, la mère ou le père peut prendre un congé parental. Il s'agit d'un long congé (plusieurs mois), mal indemnisé. En France, seuls 4% des pères le prennent. Les couples qui l’utilisent font souvent le calcul suivant: vu ce que coûtent les frais de garde de l'enfant, si l’un des deux a un faible salaire, il revient moins cher d’arrêter de travailler. Or celui qui a un faible salaire, la plupart du temps, c’est une celle. La directive européenne propose un congé parental qui serait mieux indemnisé qu'en France à l'heure actuelle. Mieux, c'est-à-dire comme les indemnités pour maladie, soit en gros 50% du salaire, avec un plafond à 1,8 Smic. Le congé est par exemple indemnisé dans les 900 euros pour un salaire de 2.000 euros mensuel (ce qui n'est pas non plus foufou).

Évidemment, on peut se dire qu'augmenter les indemnités, c'est toujours un progrès. Mais je ne vois pas en quoi cela améliorera l’égalité femmes-hommes. On pourra même plus facilement faire peser sur les femmes une sorte d’obligation morale à rester quatre mois de plus auprès de leur enfant. Peut-être que cela incitera plus de pères à prendre un congé parental, mais j’ai un sérieux doute: c'est toujours le salaire le plus faible qui sera tenté de le prendre. Cela incitera surtout plus de mères à le prendre, et donc à s’éloigner de l’emploi (creusant encore les inégalités de carrière). Et cela va encore plus dissuader les employeurs de leur confier des postes importants. Toute mesure incitant à rester à la maison pour s’occuper d’un enfant est un risque pour l’égalité femmes-hommes, on le sait depuis longtemps. Je ne comprends pas du tout comment les syndicats français peuvent soutenir que cette mesure garantirait un égal accès au marché du travail aux femmes et aux hommes, et un «autre partage des tâches».

Emmanuel Macron, on le sait, est contre cette directive parce qu’il s’inquiète pour la carrière des femmes. Non, je plaisante: il approuve totalement le principe (je suis stupéfaction). Il trouve juste que cela coûte trop cher. Et là, tenez-vous bien, des associations familiales essayent de le convaincre que pas du tout, puisqu’on n’aura qu’à financer moins de places en crèches. Enfin, comme elles disent, cela «réduirait la pression sur le système d'accueil du jeune enfant». Mais, mais, mais… On ne veut pas moins de crèches, on en veut davantage!

Réalité du congé maternité

Vous allez me dire que nous, les féministes, on n’est jamais contentes. C’est vrai: être féministe, c’est être perpétuellement insatisfaite. Mais personnellement, je peux vous dire ce dont je me féliciterais: un congé paternel obligatoire de six semaines.

Parlons de ce qui se passe réellement après l’accouchement. Toi, femme, alors que tu viens d'accomplir un effort physique qui devrait faire passer n’importe quel marathonien champion olympique pour une grosse feignasse, tu te retrouves seule chez toi, avec un vagin qui ressemble à un chou-fleur après explosion et un nourrisson qui dort par tranche de trois heures. Là, généralement, ton entourage te conseille de te reposer. Ce que tu adorerais faire, quand tu auras réglé ton problème de dossier à la Sécu, que tu seras passée à la PMI (protection maternelle et infantile), que tu auras trouvé un mode de garde pour ton enfant, que tu auras fait ta visite de contrôle chez le gynéco, que tu auras géré l’impact psychologique de l’arrivée de bébé numéro deux sur le ou la numéro un, entre trois machines à laver et deux couches à changer. Sans jamais oublier bien sûr de changer tes propres couches, puisque pendant six semaines après l’accouchement, tu vas perdre ce truc sanguinolent assez impressionnant et qui porte un nom d’animal de compagnie dans un manga, les lochies.

En somme, tu as plein de trucs à faire et, en même temps, un certain sentiment de vide (sans doute lié au fait que tes jours et tes nuits sont découpés en tranche de trois heures). Alors oui, tu adhères totalement au concept de repos, mais ça ne va pas être pour tout de suite. Tu te reposeras quand tu reprendras le travail. Cette situation-là, c’est le réel.

Et en face, il y a ton compagnon, qui va prendre quelques jours de congés et essayer de ne pas rentrer trop tard le soir.

Si tu es une femme et que tu ne veux pas d’enfant, ce bordel te concerne aussi, parce que tes employeurs postuleront toujours a priori que ton instinct de reproduction finira par l’emporter et donc, comme pour toutes les femmes, le port d’un utérus sera un frein à ta carrière.

La solution: un congé paternité obligatoire de six semaines

Dans la lutte contre les inégalités femmes-hommes, il existe une mesure immédiate à prendre, qui est en prime demandée par de plus en plus d’hommes: un congé paternité de six semaines obligatoire.

Sauf que voilà, le gouvernement n’en veut pas. Pendant la campagne électorale, Emmanuel Macron avait promis une réforme du congé maternité, pour qu’il soit équivalent pour les indépendantes et les salariées. Autrement dit, il promettait l’égalité entre les femmes. Rien à voir avec l’égalité entre les femmes et les hommes.

Ensuite, Marlène Schiappa a été très claire: elle est contre l’aspect obligatoire, parce qu’elle pense qu'il provoquerait un «rejet». Perso, je pense que la contrainte permettrait justement aux travailleurs de se libérer de la culpabilité face aux employeurs. Parce que ce qui dissuade les hommes de prendre des congés pour s'occuper de leur enfant, ce n'est pas une simple question d'incitation financière: c'est la manière dont ils vont être perçus au travail en faisant ce choix, c'est la peur d'être pénalisés par leur hiérarchie parce qu'ils dérogent au modèle du travailleur dévoué et viril.

Pour les libérer de ces problèmes, l'obligation est la solution la plus efficace. Ils pourront même dire «oulala patron, je vous jure que je n'ai pas du tout envie de passer un mois avec ma meuf et mon bébé mais je suis obligé, c'est la loi», avant d'aller acheter des couches en sifflotant. C’est d’ailleurs ce que conclut une chercheuse de l’Observatoire français des conjonctures économiques. Les chiffres montrent aussi que les pères en emploi précaire prennent moins de congé paternité que ceux en CDI. Et puis, s’il y a rejet d’une mesure d’égalité, comment dire… On doit justement l’imposer.

Marlène Schiappa est également contre un alignement de la durée des congés maternité et paternité, parce que la durée du congé maternité serait calée sur des «impératifs biologiques» (sauf que comme dit précédemment, on ne se repose pas pendant un congé maternité si on est seule pour tout gérer).

Pour résumer: pour l’instant, on nous propose du côté français l’égalité du congé maternité entre les femmes, et du côté européen un congé parental qui sera (j’en mets ma main à couper) majoritairement pris par les femmes, détériorant leur accès à l'emploi. Être féministe, c’est aussi avoir la sensation de se faire enfler en permanence.

Je tiens à préciser que je ne m’intéresse ici qu’au congé parental et paternité. La directive européenne envisage aussi l’instauration d'un congé payé de cinq jours pour les salariés aidants qui doivent s’occuper d’un proche malade ou handicapé, idée qui a a priori mon entière bénédiction.

Concernant le congé parental et le congé paternité, la France devrait bientôt faire une nouvelle proposition. Autant vous dire que je meurs d’impatience. J’imagine déjà une grande annonce d’un congé paternité de quinze jours, dont huit obligatoires. 

Nota Bene: le congé paternel est en réalité appelé «congé paternel ou d’accueil d’un enfant», parce qu’il peut être pris par une personne qui vit en couple avec la mère qui accouche. Comprendre: il peut être pris par une femme dans un couple de femmes. Mais comme là, on parle des inégalités femmes-hommes, j'ai utilisé le terme raccourci de «congé paternel».

Ce texte est paru dans la newsletter hebdomadaire de Titiou Lecoq.

 
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