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Macron est trop faible pour mener le monde libre

Le président français a peut-être désormais plus d'influence qu'Angela Merkel en Europe. Mais pas plus qu’elle, il ne pourra supplanter Donald Trump sur la scène internationale.

Emmanuel Macron à Sydney le 2 mai 2018 | Peter Parks / Pool / AFP
Emmanuel Macron à Sydney le 2 mai 2018 | Peter Parks / Pool / AFP

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Quelques jours avant la visite d’État du président français Emmanuel Macron aux États-Unis le mois dernier, le magazine Politico avait sorti un long article intitulé «Comment Emmanuel Macron est devenu le nouveau leader du monde libre». Il y a quelques années, des titres aussi flatteurs avaient accompagné une autre visite à Washington, celle de la chancelière allemande Angela Merkel.

En 2015 par exemple, Time avait couronné celle-ci «chancelière du monde libre» pour sa gestion de la crise des réfugiés syriens, une performance qui lui avait valu en septembre 2017 les pires résultats électoraux subis par son parti depuis 1949. Depuis les récentes frappes aériennes menées par les États-Unis, le Royaume Uni et la France en Syrie contre les sites abritant les armes chimiques de Bachar el-Assad, et auxquelles l’Allemagne n’avait contribué que par une déclaration de soutien, il est clair que Merkel n’assumera pas le rôle qu’on a bien voulu lui assigner. À l’inverse, Macron a montré beaucoup de dynamisme, de vigueur et de confiance pour défendre l’internationalisme libéral qui séduit tant les élites occidentales, reléguant Merkel à l’ombre, où elle s’est de toute façon toujours sentie plus à son aise.

La une du Time en 2015

Le projet européen de Macron

Comme Merkel en revanche, Macron ne pourra pas complètement s’emparer de la fonction de leader du monde occidental. Le président français est peut-être un libéral audacieux avec de grandes idées pour l’ouest, mais il n’a pas entre ses mains ce que les observateurs oublient trop souvent de prendre en compte: la puissance. Le leader du monde libre doit posséder à la fois la puissance et la volonté d’agir. Malheureusement, Berlin et Paris ont tous les deux l’un sans avoir l’autre: l’Allemagne est une puissance économique mondiale hantée par son histoire récente, tandis que la France est une puissance régionale moyenne habitée par les souvenirs de sa grandeur impériale.

Pour Macron, c’est ce qui définit le ton de sa politique étrangère, et le président français travaille activement à construire sa vision en Europe en essayant d’avoir avec lui la puissance de l’Allemagne et au Moyen-Orient celle des États-Unis. Encore et encore, Macron s’est efforcé de cajoler, séduire, mettre sous pression ou de contraindre de se rallier à ses vues ses homologues allemande et états-unien. Mais jusqu’alors, ses efforts n’ont été que partiellement couronnés de succès.

En avril, Macron s’est rendu à Berlin pour défendre un plan de réforme de l’eurozone qu’il avait commencé à dessiner à la Sorbonne il y a sept mois et à Strasbourg plus récemment. L’essence de son message était très claire: l’eurozone marche en équilibre sur un fil, au-dessus d’un précipice. Elle doit donc aller de l’avant vers un futur paneuropéen, ou faire demi-tour vers ses ses sources nationales, mais elle doit le faire vite. La préférence de Macron est évidente: la France et l’Allemagne doivent selon lui mener le continent vers la solidarité européenne. En tant qu’Européen convaincu, il voit la souveraineté nationale comme une dangereuse maladie.

On peut pardonner à Macron son optimisme. Du côté de Berlin, Merkel l’a reçu sur le site du Humboldt Forum, un musée qui «invite les gens à comprendre comment sont reliées les choses dans notre monde». Il sera hébergé par le Palais de Berlin rénové, le lieu de nombre des tragédies qu’a connues l’Allemagne au XXe siècle. En 1914, le Kaiser Wilhelm II y avait déclaré la guerre depuis son balcon, dans les années 1940, les bombardiers alliés en avaient détruit la façade tout comme une grande partie de Berlin, et dans les années 1950, les communistes est-allemands avaient rasé le bâtiment pour y ériger deux décennies plus tard un parlement est-allemand très tape-à-l’œil. Sa nouvelle fonction aujourd’hui, est celle d’une ode à l’internationalisme qui se greffe sur le rejet actuel par l’Allemagne du militarisme, du totalitarisme et de l’isolationnisme.

L’approche de l’Allemagne face à l’Union européenne consiste à «préserver toujours les intérêts allemands».

Mais un examen plus précis de la scène politique allemande révèle que le nationalisme est tout de même prêt à percer sous la surface. Décennie après décennie, Berlin a consacré son énergie à faire du pays une superpuissance exportatrice, tirant partie de l’union monétaire et de sa forte productivité pour devenir le carrefour industriel de l’Europe. Riche en liquidités, l’Allemagne abhorre le niveau de dépense et de dette de ses voisins du sud de l’Europe dont les économies se sont atrophiées. Pour beaucoup d’Allemands, les appels de Macron à la solidarité européenne cachent donc une union économique pleine de dangers. Les riches contribuables allemands n’y voient pas d’unité paneuropéenne mais simplement une montagne de dette méditerranéenne.

Déjà gravement touchée par les élections de septembre dernier, l’Union démocratique chrétienne (CDU) de Merkel a répondu à cette crainte en rejetant toute perspective de réforme profonde de l’eurozone. Comme l’a réaffirmé la nouvelle secrétaire générale du parti Annegret Kramp-Karrenbauer pour rassurer ses membres le mois dernier, l’approche de l’Allemagne face à l’Union européenne consiste à «préserver toujours les intérêts allemands». L’Allemagne préfère prendre le risque que l’eurozone tombe dans le précipice plutôt que de renoncer à sa position avantageuse. Pour le moment, Berlin préfère remplir ses caisses et demeurer inflexible.

Trump a fait ce qu'il voulait avec l'accord sur le nucléaire iranien

De l’autre côté de l’Atlantique, Macron fait face à une tâche tout aussi difficile. Si à Berlin il a essayé d’exploiter la dette historique de l’Allemagne à l’égard de l’Europe, il a voulu répondre aux États-Unis au désir de ceux-ci de s’adjoindre des alliés compétents au Moyen-Orient. Dans les années 1920, quand la Société des Nations avait confié à Paris un mandat sur la Syrie et le Liban, la France était le principal acteur international au Levant. Aujourd’hui, elle maintient une présence réduite mais toujours importante dans la région. En 2005 par exemple, les présidents Jacques Chirac et George W. Bush avaient fait pression ensemble sur Damas pour que les troupes syriennes quittent le Liban. En novembre dernier, Macron avait facilité le retour à Beyrouth du Premier ministre libanais Saad Hariri, qui avait été forcé de démissionner sous la contrainte depuis l’Arabie saoudite.

Bien sûr, pour les questions les plus importantes dans la région, la France ne peut qu’observer les États-Unis mener la manœuvre, mais contrairement à l’Allemagne en revanche, sa confiance continue dans la puissance militaire lui donne bien plus d’influence à Washington en ce qui concerne la politique au Moyen-Orient. Lors de son passage sur le plateau de Fox News Sunday en avril, Macron avait mis en perspective la crédibilité qu’il avait acquise en participant aux frappes contre Assad pour convaincre les États-Unis de rester en Syrie. «Nous devrons construire la Syrie de demain après, et c’est pour cela que je pense que la présence des États-Unis est très importante», a-t-il déclaré, avant de mettre l’accent sur «le rôle très important» de la France. Lors de sa rencontre avec Macron à la Maison-Blanche, Trump avait expliqué que même s’il «adorerait partir» de Syrie, Macron avait réaffirmé l’importance d’empêcher l’Iran de «faire ce qu’il veut sur les rives de la Méditerranée».

De la même façon, l’approche française, plus flexible, en ce qui concerne l’accord sur le nucléaire iranien, que les dirigeants allemands considèrent comme confinant au sacro-saint, a permis à Paris d’agir comme courroie de transmission entre l’Europe et les États-Unis, qui étaient très perplexes face à cet accord. Trump a affirmé à plusieurs reprises que l’accord cède beaucoup trop en échange de beaucoup trop peu. Il est arrivés que les responsables français souscrivent à cette analyse, tout en maintenant que l’accord devait être maintenu.

Lors de sa rencontre avec Macron, Trump a révélé la teneur de sa décision, qualifiant l’accord de «ridicule» et «insensé». Macron a réagi adroitement en tentant de le pousser à intégrer la position des États-Unis à un plan plus vaste sur la sécurité au Moyen-Orient. «Nous ne pouvons pas déchirer un accord sans avoir un autre plan», a déclaré Macron. «Nous construirons un nouvel accord qui sera plus vaste.» Contrairement à Berlin, qui s’est concentré de façon bornée sur la date du 12 mai lors de laquelle Trump devait annoncer sa décision quant au maintien ou non de la présence des États-Unis dans l’accord, Macron voit l’accord sur le nucléaire comme un aspect d’un plus vaste jeu pour le pouvoir au Moyen-Orient, ce qui fait de lui un acteur capable de porter de nouvelles initiatives.

Macron est calculateur et ne manque pas de sang-froid. Il émane de lui une volonté sans sentiments de défendre face à quiconque sa vision d’internationalisme libéral et de grandeur de la France. Bien sûr, sa dépendance à l’égard de Berlin et Washington sera toujours un obstacle à sa vision. Il ne supplantera jamais le président des États-Unis comme leader du monde libre. Mais il est revenu à Paris il y a quelques semaines avec la certitude que sa stratégie politique l’avait mené à la position d’interlocuteur privilégié de Trump en Europe. Pour Merkel, qui est arrivée à Washington à peine 24 heures plus tard, cela n’a pas été une bonne surprise.

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