Politique / Sports

Y a-t-il une pilote au ministère des Sports?

Alors que Laura Flessel peine à s’affirmer dans ses fonctions de ministre, le sport français est secoué par des convulsions au sujet de sa réorganisation et de son financement.

Laura Flessel à l'Élysée, le 20 avril 2018 | Éric Feferberg / AFP
Laura Flessel à l'Élysée, le 20 avril 2018 | Éric Feferberg / AFP

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Mi-mars, un document de travail intermédiaire circulait au sujet de la réforme de la gouvernance du sport français, lancée en novembre 2017 par la mise en action d’un comité de pilotage, dont la réflexion doit s’achever au début de l’été, au terme d’une série de séminaires.

Le document comprenait quatre scénarios. Le premier, baptisé «Continuité», consistait en une amélioration du modèle actuel, avec une gouvernance concertée sous la responsabilité de l’État et des compétences qui restaient «enchevêtrées».

Le deuxième prônait la rupture, c’est-à-dire le transfert des compétences et du financement vers le mouvement sportif, représenté par le Comité national olympique et sportif français (CNOSF).

La troisième piste était celle de la décentralisation du développement du sport aux collectivités territoriales, avec des compétences séparées ou complémentaires. L’État et le mouvement sportif seraient chargés du haut niveau et de la performance, alors que les collectivités territoriales hériteraient du développement de la pratique.

La quatrième option suggérait une gouvernance partagée à responsabilités réparties et une co-construction sur les compétences partagées.

Une superstructure aux contours très flous

Les échanges doivent se poursuivre encore quelques semaines; pour finir, un séminaire de synthèse est censé digérer les conclusions de tous les autres. Sauf que le plan n°4 a été déjà adoubé.

Le 18 avril, le ministère des Sports et le CNOSF sont tombés d’accord sur la création d’une superstructure destinée à gérer le haut niveau et le développement du sport en France. L'État, les collectivités territoriales, le mouvement sportif et le monde économique seront réunis au sein de cette entité, avec une répartition des rôles imaginée de la façon suivante: 30% pour le ministère, 30% pour le CNOSF, 30% pour les collectivités territoriales et 10% pour la sphère économique.

Quels seront les moyens et l’affectation des missions de ce nouvel ensemble? Qui le dirigera véritablement? Le ministère des Sports, qui semble lâcher une partie de son pouvoir, est-il appelé à être dissout? Est-il au contraire en train de créer une agence qui sera de fait sous son contrôle?

Pourquoi, surtout, tant de précipitation et d’urgence à décider, dans la mesure où il reste encore beaucoup d’éléments à définir? Pour quelle raison, enfin, ne pas aller au bout des discussions avant de décider, en examinant tous les recoins d’un projet aussi complexe –sachant que les citoyens sont toujours sollicités à travers une plateforme ouverte recueillant leurs propositions?

Autant de questions laissées en suspens, qui ne manquent pas d’alimenter les doutes. 

Tensions avec le CNOSF et les fédérations

En réalité, il y avait une petite urgence à siffler la fin de la partie. Il fallait éteindre –au moins provisoirement– un incendie dont les fumées commençaient à indisposer les plus hauts étages de la République, déjà incommodés par d’autres feux sociaux.

Le sport français, soumis à un régime budgétaire sec en 2018, notamment à travers la baisse significative de l’enveloppe territoriale du Centre national pour le développement du sport (CNDS), donnait de la voix; les dissensions entre le ministère et le CNOSF devenaient de plus en plus visibles.

Le 21 mars, Denis Masseglia, le président du CNOSF, avait adressé une lettre déçue à Laura Flessel, lui reprochant –entre autres– l’organisation d’une coûteuse Fête du sport, décidée sans l’assentiment du mouvement sportif. 

En obtenant l'adoption du quatrième scénario, celui qui donne au moins l’illusion d’un pouvoir partagé, Denis Masseglia aura donc été servi. Il en a profité pour s’offrir un plébiscite personnel à travers un congrès extraordinaire du CNOSF, convoqué le 25 avril, pour analyser tous les problèmes mis sur la table et valider cette idée de superstructure.

Il n’est pourtant pas certain que le sport français a beaucoup avancé à cette occasion, si l’on se réfère à la simple lecture du communiqué qui en a résulté. Car tout en donnant son aval à cette nouvelle organisation «à la quasi-unanimité», le CNOSF a également voté la motion suivante: «L’ensemble des participants regrette les difficultés majeures rencontrées par les clubs suite à la diminution des emplois aidés et de la part territoriale du CNDS. Ils demandent au CNOSF d’intervenir vigoureusement pour que soit rétabli un financement au niveau territorial au bénéfice des associations sportives.» 

Malgré l’affichage de cette paix des braves, les fédérations restent d’ailleurs offensives, à l’image du courrier envoyé le 24 avril par Joël Delplanque, le président de la Fédération de handball, à la ministre. «Les informations recueillies à ce jour sur les travaux concernant la gouvernance du sport font émerger que les raisons profondes de ce chantier seraient une forme de défiance du mouvement fédéral sportif associatif», écrit-il sans nuance.

Le 25 avril, le CNOSF a réitéré de son côté son exigence que «le club soit au cœur du projet du sport français. Sans club, pas de champions; sans club, pas de service public du sport, pas d’éducation, pas de vivre ensemble par le sport».

Dans le même temps, le ministère des Sports entend lancer ses «Liv-Labs du sport» (encore non financés), barbarisme désignant des lieux visant à informer, diagnostiquer et orienter vers une activité physique et sportive les populations les plus éloignées de cette pratique. 

Une ministre trop peu armée politiquement

Cette cacophonie et surtout cette sensation de tirer à hue et à dia résultent principalement de la convergence de deux faiblesses. Laura Flessel est une ministre qui n’est pas assez armée sur le plan politique pour batailler face à Bercy; Denis Masseglia, 70 ans, réélu pour un troisième mandat de quatre ans en 2017, représente le statu quo et incarne probablement trop le passé, le CNOSF n’arrivant pas à renouveler en profondeur ses instances dirigeantes pour basculer dans le XXIe siècle.

«Ne serait-il pas judicieux que le CNOSF quitte enfin ses habits d’un autre temps?», s’interroge justement Armand de Rendinger, dans son nouveau et très éclairant livre Le pari olympique de 2024, chance ou malédiction?.

En nommant Laura Flessel au poste de ministre voilà un an, Emmanuel Macron et Édouard Philippe avaient joué la carte de la notoriété de l’ancienne championne olympique d’escrime, éminente figure du sport français. Sans surprise, elle est d’ailleurs la ministre la plus populaire, selon un récent sondage –tout simplement parce qu’elle est la plus identifiée, face à d’autres ministres qui restent de parfaits inconnus pour la population.

Mais à la différence de Muriel Pénicaud, Élisabeth Borne, Agnès Buzyn et Nicole Belloubet, qui se confrontent en vraies techniciennes à leurs réformes respectives en allant au feu –notamment médiatique, mais également syndical, Laura Flessel se fond discrètement dans le paysage lorsque vient le temps de défendre des arbitrages budgétaires. 

La ministre apparaît tendue à l’oral, toujours accrochée à ses fiches et à ses éléments de langage –spectaculairement raillés par le député insoumis François Ruffin, qui lui reprochait en décembre dernier de n’avoir «parlé de sport qu'en termes de compétitivité, comme un trader», à l’Assemblée nationale.

Celle que l’on surnomme «la guêpe» s’appuie beaucoup sur Chantal de Singly, sa directrice de cabinet, et Pierre Dantin, son conseiller spécial. Vu de l’extérieur, son rôle paraît essentiellement se borner à celui d’une représentation permanente sur le terrain, à travers des visites presque quotidiennes dans le but de prêcher la bonne parole.

Pourquoi pas. Mais qui tient le manche du gouvernail du sport français à Paris? Chantal de Singly? À moins que ce ne soit Laurence Lefèvre, directrice des sports au ministère depuis mai 2016, qui est à la tête de cette réflexion globale sur la gouvernance aux côtés de Patrick Bayeux, avec qui elle anime et dirige les séminaires de travail sur la gouvernance? 

Les idées réchauffées du «macronisme sportif»

Face à une ministre qu’il sent à sa portée, Denis Masseglia pense sans doute avoir gagné une bataille. Dans un courrier adressé aux salariés inquiets du ministère des Sports, Laura Flessel a pourtant indiqué que «cette structure n’a pas vocation à se substituer au ministère des Sports, dont l’expertise et la légitimité sont incontournables». Le changement va, là encore, devoir être précisé… Une fois de plus: qui va diriger quoi et avec quel argent pour garantir la meilleure performance pour le sport pour tous et pour le haut niveau?

On a toujours, à l’arrivée, cette sensation diffuse de perdre du temps avec des débats qui ont déjà eu lieu maintes fois dans le passé, comme avec les États généraux du sport amorcés en 2003 par Jean-François Lamour ou l’Assemblée du sport mise en place par Chantal Jouanno en 2011 –qui ressemble bigrement à la fameuse solution n°4.

Le sport-santé, le sport pour faire rayonner la France, le sport pour «sauver» les banlieues, le sport comme facteur inclusif... Autant d’idées réchauffées au pays de Coubertin, où peigner la girafe s’est installée comme une discipline olympique française de longue date. Le «macronisme sportif» est tout sauf révolutionnaire. À ce stade, et dans l’optique des Jeux de Paris, il paraît même trop convenu.

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