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Dans les dernières années de sa carrière, Garry Marshall avait commencé à se spécialiser dans un nouveau genre de comédies romantico-dramatiques, qui pouvaient se résumer par leur titre: après Valentine's Day (sorti en France le 17 février 2010) et Happy New Year (21 décembre 2011), le réalisateur de Pretty Woman a réalisé Joyeuse fête des mères, sorti chez nous le 25 mai 2016.
Des films choraux, truffés d'acteurs et d'actrices célèbres, où l'amour finissait toujours par triompher malgré les épreuves de la vie. Nul doute que si Marshall n'était pas décédé en juillet 2016, il aurait poursuivi son oeuvre avec Joyeuses Pâques!, Independence Day et La Fête des pères, même si d'autres films portent déjà ces titres.
Affiches de films | Montage Thomas Messias
Ni plagiat ni remake, le film réalisé par Marie-Castille Mention-Schaar exploite le même postulat: il s'agit d'utiliser comme un prétexte une fête connue de toutes et de tous afin de célébrer les mères, qu'elles soient biologiques ou non, présentes ou non, vivantes ou non, en bonne santé ou non, présidentes de la République ou non. Un petit côté catalogue qui part d'une bonne intention: le but est de n'oublier personne. Il faut bien accorder cela à la réalisatrice, qui n'oublie d'ailleurs ni de parler de grossesse non désirée, ni d'homoparentalité, ni même de celles qui ne souhaitent absolument pas devenir mères.
1001 façons d'être mère... ou de ne pas l'être
Le film commence d'ailleurs par aborder ce dernier point, grâce au long monologue d'ouverture déclamé en voix off par Clotilde Courau. Il démarre par cette pensée relativement profonde: «Il y a 1001 façons d'être mère... ou de ne pas être mère». Comment ne pas être d'accord avec cette assertion qui rappelle les pires épisodes de Desperate housewives. Malgré son affiche ressemblant à une publicité pour la procréation (à moins que ce soit pour Hépar), La Fête des mères a le mérite d'offrir du temps de parole à un personnage de femme pour qui la maternité n'est clairement pas un objectif de vie. La dénommée Nathalie, interprétée par Olivia Côte, est une spécialiste de l'histoire de l'art qui travaille sur le regard porté par les artistes sur la maternité et le statut de mère. Le film intercale d'ailleurs quelques pans de la conférence qu'elle prodigue sur le sujet.
Elle y revient notamment sur l'origine de la fête des mères, et rappelle que cette célébration n'est absolument pas due au Maréchal Pétain, qui n'a fait que reprendre une tradition américaine instaurée il y a un peu plus d'un siècle. La véritable origine de la fête des mères remonte à 1907. Cette année-là, une institutrice nommée Anna Jarvis lança une campagne afin que soit officiellement mis en place un jour de célébration dédié à la maternité et aux mères. Objectif premier de la jeune femme: rendre hommage à sa propre mère, Anna Reeves Jarvis, qui eut onze enfants tout en menant sa propre carrière d'institutrice.
PODCAST Mon mari ne veut pas d'enfant
Fête commerciale
C'est finalement en 1914, après quelques années de lutte, que le Congrès américain décida de faire du deuxième dimanche du mois de mai une journée officielle de célébration des mères (Mother's Day en version originale). Le second combat d'Anna Jarvis a ensuite été de tenter d'empêcher que la fête des mères ne devienne une fête commerciale. Emblème de celles et ceux qui voulaient marquer leur participation à cette journée d'hommage, l'oeillet finit en effet par être servi à toutes les sauces... et pas seulement par les fleuristes de tout le pays.
En 1934, la Poste américaine commercialisa en effet un timbre dédié, reprenant le motif d'un tableau du peintre James Abbott McNeill Whistler, Arrangement en gris et noir n°1, également connu sous le titre Portrait de la mère de l'artiste. Datant de 1871, le tableau de Whistler est visible au musée d'Orsay. Il est d'ailleurs évoqué par le personnage joué par Olivia Côte dans le film.
Portrait de la mère de l'artiste, exposé au Musée d'Orsay | Dominique Faget / AFP
Si le timbre mis en circulation par la Poste a un tantinet agacé Anna Jarvis, c'est parce qu'un bouquet d'oeillets avait été ajouté au visuel du tableau, comme une publicité à peine déguisée. Jarvis eut beau faire des pieds et des mains, le mal était fait: la fête des mères resterait à tout jamais une opération mercantile.
La conclusion de l'exposé présenté dans le film, c'est qu'Anna Jarvis, bien que passionnée par le sujet, n'eut jamais d'enfants. Une vie de nullipare à laquelle se destine également le personnage de Nathalie, fascinée par la représentation de la maternité dans les oeuvres d'art mais absolument pas désireuse de basculer dans le camp des mères.
Nullipare: un terme médical que l'on trouvait déjà dans le dictionnaire médical de Littré & Robin, paru en 1865. On saisit bien la nécessité de disposer d'un qualificatif désignant les femmes n'ayant pas (ou pas encore) d'enfant, et on comprend tout autant son étymologie. Reste qu'il est parfois un peu violent à entendre, car souvent employé à des fins de discrimination. «Quand j'entends “nullipare” à mon sujet, j'entends surtout “nulle”», m'explique Romane, trentenaire sans enfant. «C'est comme si je ne valais rien en tant que femme, juste parce que je n'ai jamais accouché. Que ce soit une volonté ou pas, les gens s'en fichent. On est juste une femme sans enfant, et une femme sans enfant, ça cache quelque chose. Surtout après 35 ans.»
Mères ou non-mères
C'est effectivement l'une des limites du film, qui fait ce qu'il peut: de par son sujet, La Fête des mères définit les femmes de façon binaire. Elles sont soit des mères, soit des non-mères. Et cette dernière catégorie, extrêmement minoritaire, est décrite par son rejet viscéral de la maternité, son dégoût de l'allaitement, son refus de l'engagement... Or une femme peut avoir envie de construire sa vie amoureuse et n'avoir aucune aversion pour les enfants, sans pour autant avoir le désir de se reproduire elle-même.
C'est aussi simple que ça. En tout cas, ça devrait. La Fête des mères ne parle pas (ou si peu) de la pression sociétale qui fait que les femmes ne sont souvent caractérisées qu'à travers le nombre de fois où elles ont «donné la vie». Et ne s'attarde pas non plus sur celles qui ont décidé de ne pas se reproduire, le vivent très bien et se foutent de la pression sociale. Quitte à réaliser un film-catalogue, Marie-Castille Mention-Schaar aurait gagné à le faire à fond.
Les lesbiennes invisibles
La partie «homoparentalité» du film mérite d'ailleurs la même conclusion. La Fête des mères vise large mais rate néanmoins l'essentiel... déjà parce que les personnages principaux de ce segment sont des hommes. On y voit Jacques, un fleuriste gay (cliché? nooooon), hésiter à se lancer dans l'aventure de la paternité en compagnie de son petit ami plus jeune que lui. Pour la prise de position militante en faveur de la GPA, on repassera: le film ne va jamais vraiment plus loin que la case mélo, laissant le personnage (interprété par l'excellent Pascal Demolon) repenser à tout ce que lui a apporté sa mère (il est là, le lien avec le sujet du film) et se demander s'il n'est pas trop vieux pour ces conneries.
Une fois encore, les couples de lesbiennes perdent une visibilité qui aurait pourtant dû leur être offerte sur un plateau. Que même un film intitulé La Fête des mères préfère donner la parole à de potentiels pères en dit long sur le déficit d'exposition dont souffrent les couples de femmes qui souhaitent accéder à la maternité.
La Fête des mères est l'équivalent filmique de ces personnes bien polies, bien peignées, qui ne veulent pas trop dévoiler leurs opinions par peur de se fâcher avec qui que ce soit. Dans un premier temps, on n'a pas envie de se montrer désagréable avec ces gens qui ne nous ont rien fait et qui ont sans doute leurs raisons de vouloir plaire à tout le monde. Puis arrive le moment où il devient compliqué de tolérer qu'elles ne s'engagent sur absolument rien.
Maternité politique
Que le film montre qu'on peut être mère même si on est imparfaite, revêche ou présidente de la République, très bien (même si, sur ce dernier point, la série L'État de Grace nous avait déjà fait le coup). Mais qu'il oublie dans le même temps de préciser qu'une grossesse non désirée peut être interrompue a quelque chose de salement gênant. Marie-Castille Mention-Schaar est pleine de bonnes intentions, mais feint d'ignorer que la maternité et la paternité sont des sujets éminemment politiques (a fortiori lorsqu'on imagine qu'une femme a enfin été élue présidente). En 2018, même un film estampillé grand public doit savoir prendre ses responsabilités.
Lorsque La Fête des mères s'engage, c'est pour nous rappeler à travers l'évocation d'Anna Jarvis que le but initial de cette célébration annuelle n'a jamais été de faire vendre des bouquets de fleurs ou des pâtes de fruits. Sachant que le film sort dans des centaines de salles françaises quatre jours avant la date de la fète des mères 2018, la portée du message anti-mercantilisme est légèrement atténuée. La Fête des mères est un gentil mélo porté par une ribambelle d'actrices et d'acteurs formidables (ah, le duo Garcia - Dedienne), mais il est un peu triste qu'il se soit contenté de ça.