Culture

Em memória de Nelson Pereira Dos Santos, éclaireur du cinéma moderne

Le cinéaste brésilien est mort le 21 avril, à l'âge de 89 ans. Il fut le premier à incarner un moment essentiel de cette modernité dont la Nouvelle Vague française deviendra le symbole.

Nelson Pereira dos Santos à Rio de Janeiro (Brésil), le 14 mai 2012 | Christophe Simon / AFP
Nelson Pereira dos Santos à Rio de Janeiro (Brésil), le 14 mai 2012 | Christophe Simon / AFP

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Dès son premier long métrage, Rio, 40° en 1956, Nelson Pereira Dos Santos affirme un style inspiré du néoréalisme italien pour raconter la vie des différents quartiers de la métropole brésilienne, aux côtés de gosses des favelas.

La même ambition de description «à fleur de réel» –cette fois par les ressources de la fiction– de l’existence des classes populaires urbaines se retrouve dans Rio Zone Nord (1957), avec des moyens plus complexes, les chants et danses de l’univers de la samba et la présence d’un extraordinaire acteur et chanteur, déjà grande vedette au Brésil, Grande Otelo.

Mais c’est son quatrième long métrage, situé dans la région désertique du Sertao, au nord du pays, qui imposera sur la scène internationale le nom du réalisateur, et avec lui l’avènement de ce que la critique, notamment française, salue sous le nom de Cinema Novo.

Primé à Cannes en 1964, Vidas Secas est un repère majeur, avec son réalisme cruel et son fantastique halluciné par la profondeur de la misère et la violence des conditions physiques et sociales que subissent les paysans.

Un mouvement collectif d'artistes singuliers

Le film joue un rôle décisif dans la reconnaissance d’un mouvement où s’expriment au même moment la figure la plus célèbre du Cinema Novo, le flamboyant Glauber Rocha, également dans le Sertao avec Le Dieu noir et le diable blond (et plus tard Antonio das Mortes), mais aussi dans le monde urbain et les milieux politiques avec Terre en transe.

En quelques années s'affirment également Ruy Guerra, évoquant la violence de la répression dans les régions rurales (Os Fuzis) comme le trouble d’une jeunesse des villes rétive aux codes sociaux et aux mœurs dominants (La Plage du désir), Carlos Diegues avec Ganga Zumba à la gloire du chef d’une révolte d’esclaves noirs, Paolo Cesar Saraceni en milieu urbain, alors à la pointe d’une modernité à rapprocher d’Antonioni avec O Desafio, Leon Hirzsman, surtout documentariste, ou Joaquim Pedro De Andrade, à qui on doit le délirant Macunaïma.

La grande variété des thèmes et des styles s’inscrit sur un horizon clairement politique, où le coup d’État militaire de 1964 instaurant une dictature qui durera vingt ans est un séisme de première magnitude. C’est encore Nelson Pereira Dos Santos qui signera le grand film marquant la sortie de ces années noires, et leur évocation la plus explicite, avec le magnifique Mémoires de prison, en 1984.

Mais si le Cinema Novo, dont Eryk Rocha –le fils de Glauber– a remarquablement raconté l’histoire dans son documentaire du même nom, est un phénomène culturel majeur au Brésil, il est aussi un événement important à l’échelle mondiale. Il s’agit sans doute du premier mouvement cinématographique collectif reconnu internationalement.

L'axe de la domination

Le cinéma mondial a longtemps été dominé par un axe Moscou-Los Angeles passant par Berlin et Paris, auquel s’est ajouté Rome après la Seconde Guerre mondiale.

Il faut attendre 1951 pour qu’un réalisateur japonais obtienne une certaine visibilité, grâce au Lion d’or à Venise de Rashômon, d’Akira Kurosawa. Un deuxième Japonais, Kenji Mizoguchi, se fera une place dans la reconnaissance occidentale; plus tard, un Indien, le Bengali Satyajit Ray avec la trilogie d’Apu, et dans une moindre mesure un Égyptien, Youssef Chahine, avec Gare centrale à la fin de la même décennie, grapilleront un début de reconnaissance. C’est scandaleusement peu.

Ce qu’a initié Nelson Pereira Dos Santos dès le milieu des années 1950 est l’appropriation de cette idée moderne du cinéma qu’on fait naître –avec ce que ce genre d’attribution a toujours de réducteur– dans l’Italie de la fin de la guerre, sous l’appellation de néoréalisme. Seulement, il l’adapte immédiatement aux particularités de son pays, et à sa suite, un cinéma lui-même très varié mais en prise à la fois avec le réel et l’imaginaire brésiliens fleurit et prolifère.

Favelas ou Sertao, cangaceiro ou carioca, les décors et les personnages de ce cinéma s’enracine dans le quotidien, les conflits, les mémoires d’une société très particulière, où les gratte-ciel d’acier poussent à côté des bidonvilles, où les grands propriétaires massacrent les paysans affamés, où l’intelligentsia rêve de socialisme des tropiques, où les dieux venus d’Afrique dansent avec les saints catholiques.

Toutes ces vagues nouvelles

Pas plus que les Américains, les Anglais, les Polonais ou les Japonais, les Brésiliens n’ont attendu François Truffaut et Jean-Luc Godard pour inventer leur Nouvelle Vague.

Tous cependant, ainsi que leurs homologues allemands, italiens, russes, tchèques, suédois ou hongrois qui apparaîssent ensuite, se rallieront au drapeau brandi par les auteurs des 400 Coups et d’À bout de souffle: l’aura particulière conquise par les «jeunes Turcs» des Cahiers du cinéma renforce et solidarise des grands cinéastes du monde entier, par ailleurs profondément inscrits dans le présent de leurs pays. Les nouvelles vagues balaient la planète cinéma, annoncent ou accompagnent d'autres mutations.

Érudit, élégant et rieur, Nelson Pereira Dos Santos aura incarné cette aventure à la fois mondiale et locale, à la fois politique et artistique. Il en aura été, en seize longs métrages de fiction de 1956 à 2006 –et quelques documentaires, dont deux mémorables hommages à Tom Jobim, l'un des inventeurs de la bossanova, non seulement l’éclaireur, mais une des figures les plus fécondes et les plus durables, malgré nombre de difficultés à poursuivre son œuvre.

Il n'est pas le dernier: on attend au prochain Festival de Cannes le nouveau film d'un de ses compagnons, Carlos Diegues, Le Grand Cirque mystique.     

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