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Mohamed Salah, prodige égyptien du foot et objet de pronostics politiques

Les fans égyptiens du super attaquant de Liverpool sont à l’affût du moindre indice pour savoir si leur joueur admiré soutient le président autoritaire Al-Sissi ou l’opposition.

Mohamed Saleh ne sait plus où donner de la tête. |Khaled Desouki / AFP
Mohamed Saleh ne sait plus où donner de la tête. |Khaled Desouki / AFP

Temps de lecture: 4 minutes

Mohamed Salah est le footballeur hype du moment. Il fait tourner la tête des fans de Liverpool d’abord, son club pour lequel il a déjà inscrit quarante-trois buts cette saison, dont deux magnifiques en demi-finale de Ligue des champions face à l’AS Roma le 24 avril.

Il a conquis le cœur de ses compatriotes égyptiens en inscrivant le penalty qui a envoyé la sélection des Pharaons à la Coupe du monde 2018 en Russie. Enfin, il est devenu une idole pour les jeunes du monde entier qui regardent en boucle ses gestes techniques merveilleux sur YouTube.

Via YouTube.

À Liverpool, où il a débarqué à l’été 2017 après avoir révélé son talent dans le championnat italien, sa popularité se mesure à la chanson, très second degré, qu’entonnent à sa gloire les supporters dans le stade d’Anfield:

«S’il met encore quelques buts, je vais me faire musulman aussi / [...] Assis dans une mosquée, c’est là que je veux être / Mo Salah-la la la la la.»

Dans un Royaume-Uni encore sous le choc des trois attentats terroristes islamistes perpétrés en 2017, le très pieux Mohamed Salah a réussi, sans le vouloir, à incarner la religion musulmane de manière positive.

Ce chant résume aussi le personnage: ce sont les autres qui parlent au nom du «roi Salah», son surnom au Royaume-Uni. Lui ne donne aucune interview et ne s’exprime quasiment pas dans la presse ou sur les réseaux sociaux, malgré son immense popularité.

Star de l’élection présidentielle à son insu

En Égypte, l’attaquant de Liverpool est devenu une star à son insu lors de la dernière élection présidentielle au mois de mars. Dans un pays où le très autoritaire maréchal Abdel Fattah al-Sissi tient le pouvoir d’une main de fer en enfermant les opposants et en balayant l’héritage politique de la révolution de la place Tahrir, le dernier scrutin a viré à la farce. Un seul candidat, Moussa Mostafa Moussa, lui-même un partisan du maréchal, s’était présenté face au président sortant avec sa bénédiction pour jouer un rôle de faire-valoir. Tous les vrais opposants avaient, au préalable, été jetés en prison ou contraints de se retirer de la course sous la pression du pouvoir. Au final, Al-Sissi a remporté l’élection dès le premier tour avec un score de 97,08% des voix.

Mais les électeurs égyptiens ont trouvé une autre parade pour signifier leur mécontentement.

«Plus d’un million de personnes ont écrit quelque chose sur leur bulletin de vote pour le rendre nul. Certains ont barré les noms des deux candidats pour ajouter le nom de Mohamed Salah, qui selon des estimations auraient récolté de la sorte deux fois plus de voix que Moussa», rapportait le média Al Jazeera.

Aucun chiffre officiel n’a pu confirmer le nombre exact de bulletins sur lesquels était couché le nom du footballeur égyptien, mais cette information a suffi à déclencher un énorme buzz sur les réseaux sociaux.

Cette irruption involontaire sur la scène politique n’a pas dû réjouir le footballeur. Dans un pays où les apparences font d’Al-Sissi un président non contesté, une large partie de la population ne jure en silence que par la révolution de 2011 et son slogan «Pain, liberté, justice sociale». Dans une Égypte où exprimer une opinion défavorable expose à la prison, la torture ou même la mort, chacun guette un indice, même minime, qui indiquerait dans quel camp se situe Mohamed Salah. Mais ce dernier se garde bien de tout commentaire,  trop prudent pour éviter de subir le sort d’un autre footballeur de talent.

Ne pas subir le sort... de son mentor

Avant Salah, Mohamed Aboutrika était l’un des footballeurs locaux les plus populaires. Évoluant dans le grand club d’Al-Ahly au Caire, il était connu pour les Égyptiens comme «le magicien».

Comme le rapporte le site d’information Middle East Eye, Aboutrika a été accusé en mai 2015 d’avoir financé les Frères musulmans. L’ancien parti au pouvoir, dont le leader Mohamed Morsi a été chassé en 2013 de la présidence du pays par le coup d’État d’Al-Sissi et de l’armée égyptienne, est classé depuis décembre 2013 comme un groupe terroriste en Égypte. Aboutrika, qui avait apporté son soutien à Mohamed Morsi lors de l’élection présidentielle remporté par celui-ci en 2012, est désormais inscrit sur la «liste de terroristes».

«Aboutrika vit aujourd’hui au Qatar, où il travaille comme analyste sportif. Âgé de 39 ans, Aboutrika est le mentor de Salah; des photos des deux hommes publiées sur les réseaux sociaux montrent qu’ils se rencontrent régulièrement en Europe», ajoute le média Middle East Eye. Suffisant pour que certains opposants au régime affirment que l’attaquant se range dans leur camp.

Mais, une autre action de Mohamed Salah a été à l’inverse perçue comme un soutien à Al-Sissi. Le site d’information Al-Arabiya a révélé en janvier 2017 que le joueur, qui évoluait à l’époque avec l’AS Roma en Italie, a fait un don de 269.000 dollars à Tahya Masr, un fonds géré par l’État, qui sert à financer des programmes de développement en Égypte. Une rencontre entre Mohamed Salah et Al-Sissi a eu lieu à cette occasion. L’attaquant n’avait fait aucune déclaration publique à propos de ce don, mais son affichage avec le président égyptien avait divisé ses compatriotes.

«J’étais très en colère lorsqu’il a fait ce don. Il était clairement destiné au régime», avait déclaré Belal Wagdy, un fan de football, au Middle East Eye. «Salah a fait un don à l’Égypte, pas à un parti politique égyptien. Il donne de l’argent qui ira aux pauvres», soutenait à l’inverse el-Ghoul, un autre supporter. «Beaucoup de ses fans affirment ignorer son affiliation politique claire, ce qui a aidé Salah à plaire à tous les Égyptiens, quelle que soit leur appartenance politique», juge le Middle East Eye.

Et dans un pays fou de foot, qui a fêté dans une hystérie collective démente sa première qualification à une Coupe du monde depuis 1990, plus personne ne veut vraiment abîmer la statue d’idole de Mohamed Salah depuis son but qui a envoyé la sélection en Russie.

Les Égyptiens en quête d’indices fermeront sûrement les yeux au moins jusqu’à la fin du Mondial, mi-juillet.

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