Culture

«Milla», celle qui est là

Au-delà de la chronique et du fantastique, le deuxième film de Valérie Massadian capte l'aura intense et vibrante d'une jeune femme au fil de son quotidien.

Séverine Jonckeere dans «Milla» | JHR Films
Séverine Jonckeere dans «Milla» | JHR Films

Temps de lecture: 2 minutes

Elle est là, Milla. Une jeune fille, une humaine sans âge, une extraterrestre venue du futur. Surgie du côté opaque d’une planète lunaire, qui serait aussi la Terre.

Ça se passe ici, maintenant. Mais un ici et maintenant comme un chant sauvage, un bond de côté. Valérie Massadian filme de là.

Pas une personne, pas un personnage

La mer, le village sur la côte de la Manche, la maison pourrie mais quand même protectrice, les cafés tristes, les larcins pour manger, le travail, le garçon rebelle, la mort, le bébé, c’est une vie? Non.

La vie, c’est elle, Milla. Pas parce qu’elle fait des choses surprenantes ou spectaculaires, encore moins parce qu’elle «représenterait» quelque chose –comme si on savait ce que ça veut dire.

Le deuxième film de Valérie Massadian –cinéaste sidérante révélée il y a sept ans avec une météorite au nom de toute petite fille, Nana– défie les règles de la chronique sociale et de la romance comme les jeux convenus avec les codes du fantastique ou du lyrisme, les constructions de métaphores.

Marginale, enfantine, amante, femme de ménage, fêtarde, marchande de fruits, maman.... Milla n'est pas une personne, comme dans les documentaires, et pas un personnage, comme dans les fictions. Elle est une existence, une vibration.

Une figure mythologique et très réelle

Elle est ronde, elle est blonde, elle est silencieuse. Ni petite fille, ni ado, ni femme –ou tout cela ensemble, mais de biais, un peu en retrait. Elle est bouleversante de n’être comparable à rien ni personne, anti-cliché comme on dit antimatière.

Ça se passe en France aujourd’hui, et on n’en finit pas d’être appelé par des associations d’idées cosmiques, des rimes fantasmagoriques, des assonances mythologiques.

Milla (Séverine Jonckeere) et Léo (Luc Chessel) | JHR Films

Son amoureux, Léo comme Ferré, essaie lui aussi de dire avec des mots cette irradiation à la fois douce et inquiétante, obstinée, sûre d’elle comme un corps céleste est sûr de sa trajectoire. Il lui invente des poèmes dont il sait qu’elle n’a pas besoin.

Ils écoutent cette chanson, «Add It Up», qui plus tard ressurgira, avec la chanteuse (Valentine Carette) débarquée dans le décor, comme une évidence au nom d’une logique dont la clé n’a pas à être cherchée.

Sans effet de manche, sans démonstration de virtuosité ni geste esthétique, la manière de filmer de Valérie Massadian produit des effets rares, troublants.

Ils naissent d’une intensité dans l’attention aux présences, aux lumières, aux sons, qui mobilise un tout autre rapport au film que de savoir «ce que ça raconte» (même si ça raconte aussi quelque chose), ou même «ce que ça montre». Pour le dire autrement: ça montre le temps, peut-être.

Une expérience

Regarder le film Milla est une expérience plus proche de celle d’un concert –quelque chose comme un set punk unplugged, ou alors à fond – que de l’ordinaire des séances de cinéma.

Léo, l’amoureux qui est si présent, même après le naufrage, vibre de toute la subtilité du jeu de Luc Chessel, acteur à ne pas perdre de vue. Milla, elle, a le visage et le corps d’une jeune femme nommée Séverine Jonckeere, si étonnante de densité à l’image qu’on ne sait comment en parler. Lorsqu’elle allaite son bébé, c’est comme si l’écran se faisait chair.

Quand l’enfant grandit, ce qui n’a a priori rien d’étonnant, c’est un pur miracle. Comme si, sans en avoir l’air, Valérie Massadian avait découvert une possibilité inédite du cinéma.

Milla

 

de Valérie Massadian, avec Séverine Jonckeere, Luc Chessel, Ethan Jonckeere, Elizabeth Cabart.

 

Durée: 2h08. Sortie le 25 avril 2018

 

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