Politique

Le «procès en illégitimité» d'Emmanuel Macron va-t-il durer jusqu'en 2022?

​​​​​​​Instruite dès après son élection en 2017, la procédure qui tend à démontrer que le président de la République n'est pas «légitime» car son programme n'aurait pas été approuvé par une majorité a été relancée, le 15 avril, par le journaliste Edwy Plenel.

Emmanuel Macron au Parlement européen, à Strasbourg, le 17 avril 2018. | Frederick Florin / AFP
Emmanuel Macron au Parlement européen, à Strasbourg, le 17 avril 2018. | Frederick Florin / AFP

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C'est reparti! Ceux qui pensaient en avoir terminé en sont pour leurs frais. L'instruction avait commencé dès l'élection présidentielle achevée, au lendemain du 7 mai 2017. Elle est remise sur les rails depuis le 15 avril 2018. Un anniversaire, ça ne se manque pas.

Avec 24,01% des suffrages exprimés au premier tour «mais» 18,19% des inscrits, puis 66,10% des voix par rapport aux suffrages exprimés au second mais «seulement» 43,61% par rapports aux électeurs inscrits, Emmanuel Macron ne pouvait être qu'un président mal élu. Certains pensaient donc pouvoir se poser des questions sur sa légitimité. Voire laisser entendre, ou même affirmer haut et fort, qu'il était illégitime. C'est ce que ne manquèrent pas de faire des partisans de La France insoumise (LFI), de la base au sommet. Pour mémoire, la droite avait fait de même pour François Hollande, en 2012.

Résultat du second tour de l'élection présidentielle de 2017. | Capture écran France 2

Quand Mélenchon appelait à voter Chirac contre... Le Pen père

Cette campagne insoumise était dans le prolongement direct de la tactique adoptée par Jean-Luc Mélenchon, candidat malheureux du premier tour, éliminé du second «à 600.000 voix près», en arrivant, petit détail important, quatrième de la compétition. Mélenchon, défait et désabusé, avait pris soin, dans l'entre-deux-tours, de ne pas appeler explicitement à voter pour Macron. Ô bien sûr, lui et ses lieutenants répétaient à satiété que «pas une voix» ne devait aller à Marine Le Pen.

Le but de l'opération était d'inciter ses électeurs du premier tour à voter blanc ou nul, ou bien encore de ne pas aller voter du tout. Car il fallait que Macron obtienne le score le plus étriqué possible face à la fille du co-fondateur du Front national dont l'état-major de La France insoumise était certain, par avance, qu'elle serait battue. Terrassée, comme son père, en 2002, face à Jacques Chirac... pour lequel Mélenchon avait appelé à voter, sans barguigner.

Quinze ans avant 2017, celui qui avait été ministre (PS, eh oui) délégué à la formation professionnelle dans le gouvernement Jospin (2000-2002), expliquait très clairement qu'en votant massivement pour Chirac, cela abaisserait mécaniquement et drastiquement le score de Le Pen père. Quinze après, il s'est donc aligné sur la rhétorique développée alors, en 2002, par son ex-camarade en trotskisme, Arlette Laguiller, porte-voix de Lutte ouvrière (LO), qui appelait à voter blanc ou nul dans la joute Chirac-Le Pen. Ce qui avait fonctionné dans un sens en 2002 au profit de Chirac devait donc pouvoir tourner dans le sens inverse en 2017 au détriment de Macron: abaisser mécaniquement et drastiquement son score.

Une partition soigneusement écrite entre les deux tours

Mais cette tactique a un revers: elle fait monter aussi mécaniquement et drastiquement le score de l'adversaire du second tour, que ses promoteurs le veuillent ou non. En l'espèce, il s'agit de celui de Le Pen, la fille cette fois. Le résultat des courses est qu'on peut, à la sortie, lancer le thème de la campagne dont la partition a été soigneusement écrite entre les deux tours: l'illégitimité du candidat élu. Pensez, il n'a rassemblé que 18% des inscrits au premier tour et il en a moins de 44% au second!

C'est exactement ce qui a été réanimé, le 15 avril, lors de l'interview-anniversaire de la première année du quinquennat du chef de l'État par deux journalistes vedettes. Pour rouvrir ce «procès en illégitimité», le procureur s'appelle cette fois Edwy Plenel, patron du site Médiapart, une des deux puissances invitante du chef de l'État, avec BFMTV.

«Puisque là, on est sur le bilan d'un an, c'est l'entretien d'évaluation après votre embauche, il y a un an, lance l'ancien directeur de la rédaction du journal Le Monde après plus d'un heure quarante d'échanges musclés. Est-ce qu'on n'est pas au coeur d'un malentendu [...] Vous n'avez pas été élu par une adhésion majoritaire à votre programme. Il n'y a pas une légitimité, dans tout le pays, sur votre programme. Vous avez eu, au premier tour, 18% des inscrits. Et vous êtes le produit d'une circonstance accidentelle, exceptionnelle, comme Jacques Chirac, en 2002, face à l'extrême droite.» C'est à s'y tromper: ça ressemble comme deux gouttes d'eau au discours LFI tenu un an avant.

Plusieurs points attirent l'attention dans cette présentation. D'abord Plenel reprend, sans doute par commodité journalistique, le vocabulaire entrepreneurial que lui-même, et la gauche de la gauche, dénonce chez Macron: «entretien d'évaluation» et «embauche», comme si le président de la République était un cadre d'entreprise. Puis il pose comme théorème le postulat d'un «malentendu», en soulignant qu'il n'y a pas d'adhésion majoritaire à son programme, donc «pas une légitimité», car il a eu «18% des inscrits» au premier tour. À bien y regarder, l'amalgame de ces mots est remarquable par ce qu'il suggère in fine.

Au-delà de cette bizarrerie qui consiste à prendre avec autant d'insistance la référence des inscrits, au lieu des exprimés, comme s'il fallait porter l'opinion de ceux qui, justement, ont décidé de la garder pour eux –que sait-on de l'adhésion ou du rejet des électeurs qui ne vont pas voter?– il est aisé de constater qu'aucun futur chef de l'État de la Ve République n'a jamais emporté une «adhésion majoritaire à son programme» au premier tour du scrutin présidentiel. Ni par rapport aux inscrits ni sur les exprimés.

Bien sûr de Gaulle, Pompidou ou Giscard d'Estaing, au début du régime, faisaient des scores supérieurs à 25%, ou même 35% pour le «père fondateur», par rapport aux inscrits. Puis, le taux a reculé vers 20% avec Mitterrand, en 1981, pour remonter en 1988, avec 27%. Une chute brutale s'est produite avec Chirac: 15,87% en 1995 et 13,75% en 2002. Sarkozy l'a fait remonter au-dessus de 25% en 2007 et Hollande a obtenu 22,32% en 2012. Sur le long terme, on observe donc plutôt une tendance au tassement dû au moindre intérêt de l'électorat, quel que soit les candidats et leur nombre.

«Le produit d'une circonstance accidentelle, exceptionnelle»

Quant au score de Macron au second tour, par rapport aux inscrits (43,61%), il est parfaitement dans la moyenne de ceux réalisés par tous ses prédécesseurs, excepté Chirac qui avait obtenu 66% face à Le Pen père, en 2002... en bénéficiant d'un front républicain qui englobait, on l'a vu, Mélenchon et le Parti socialiste dont il était encore membre. Rappelons que Sarkozy avait fait 42,68% en 2007 et Hollande, 39,08% en 2012. Oui, rétorquent les détracteurs de l'actuel président, mais cette fois il était face à l'extrême droite et il devait faire beaucoup plus... alors que leur tactique étaient de parvenir à lui faire faire beaucoup moins.

«Vous êtes le produit d'une circonstance accidentelle, exceptionnelle, comme Jacques Chirac, en 2002, face à l'extrême droite.»

Edwy Plenel à Emmanuel Macron

Et c'est là qu'intervient le dernier point –étonnant et légèrement méprisant– du réquisitoire de Plenel. «Vous êtes, dit-il en s'adressant à Macron, le produit d'une circonstance accidentelle, exceptionnelle, comme Jacques Chirac, en 2002, face à l'extrême droite.» Le chef de l'État serait donc «le produit», mot pour le moins maladroit, d'une situation qui lui aurait échappé. Et la phrase est construite de telle manière que la «circonstance accidentelle, exceptionnelle», qui est la présence de l'extrême droite au second tour, provoque l'élection de ce président là... par accident. Comme s'il n'avait ni projet, ni programme, ni propositions, ni engagements de campagne. En 2011, le ministre François Baroin parlait de la victoire «par effraction» de la gauche, en 1997. Similitude de la pensée?

Le problème est que le raisonnement est quadruplement contestable. En premier lieu, Macron, comme tous les autres candidats de la présidentielle, n'est pas, on vient de le montrer, un «produit» ex-nihilo, sans programme ni projet. Il y a donc peu de place pour un malentendu car le candidat a précisément annoncé ce que ferait le président sur l'essentiel des réformes qu'il propose, SNCF exceptée dans le détail. Troisièmement, il n'y a pas de «circonstance accidentelle» dans l'élection de 2017. Si on peut considérer que le 21 avril 2002, premier tour de l'élection où Le Pen père se classe deuxième devant Jospin, est une «circonstance accidentelle», il n'en est rien pour le premier tour de 2017.

Cette «circonstance» était tellement prévisible qu'elle avait été prévue par tous les instituts de sondage, tous. De nombreux mois avant le scrutin, il était dit que Le Pen, la fille cette fois, serait présente au second tour. Enfin, quand le FN est en lice pour la seconde fois au tour ultime, en quinze ans, et que l'extrême droite place ses pions dans toute l'Europe depuis une dizaine d'années, il n'y a là, malheureusement, rien d'exceptionnel. Sauf à considérer qu'il faut interdire à cette extrême droite d'être présente dans les élections, cela traduit surtout un glissement général inquiétant de la société vers les thèses nationalistes et identitaires.

Le «regard des Français»

Avec de telles prémices, le «procès en illégitimité» n'est pas sur de bons rails. D'autant que si on se penche sur la dernière enquête réalisée par l'Ifop pour Paris-Match, Sud Radio et CNews concernant «Le regard des Français sur la première année d’Emmanuel Macron à l’Elysée», on peut s'interroger sur la valeur de l'illégitimité en question. Il serait évidemment absurde de nier qu'il y a dans l'opinion du mécontentement et de la colère dans certains secteurs de la population –deux sentiments que les insoumis et l'extrême gauche, de bonne guerre, s'attachent à entretenir– mais il serait tout aussi stupide de refuser de prendre en compte ce «regard des Français».

Ainsi, l'institut de sondage a testé vingt-trois «actions ou mesures» mises en place ou envisagées par l'exécutif pour connaître le sentiment des Français. Sur ce total, cinq seulement ne sont pas considérées, majoritairement, comme de «bonnes mesures». Il s'agit du gel du point d'indice des fonctionnaires (47% le considère comme une bonne mesure), la suppression des cotisations chômage et maladie payées par les salariés et la hausse de 1,7 point de la CSG dès 2018 (44%), le remplacement de l’ISF (impôt de solidarité sur la fortune) par l’IFI (impôt sur la fortune immobilière) avec 38%, la baisse de l’aide personnalisée au logement (APL) de cinq euros par mois (35%) et l’abaissement de la vitesse maximale autorisée sur les routes secondaires à 80km/h (25%)

Pour clore le dossier légitimité/illégitimité, on ne peut omettre de noter que des élections législatives ont eu lieu un mois après la présidentielle. C'est court et c'est long. C'est court car ça confirme tout le temps, depuis l'instauration du quinquennat, le choix que les électeurs ont fait un mois avant. C'est long car ça permet à ces mêmes électeurs de réfléchir au fait que des candidats du président élu vont mettre en application son projet et son programme si, eux aussi, sont désignés par le scrutin. C'est une chance pour ses partisans et un risque pour ses adversaires. Donc personne n'est pris en traitre et chacun peut comprendre que la légitimité peut avoir ainsi une assise.

Tous illégitimes?

Enfin, ces législatives peuvent provoquer un retour de bâton à propos de ce fameux «procès en illégitimité». Car s'il est facile d'observer que les candidats arrivés derrière Macron au premier tour de la présidentielle ont un score de légitimité par rapport aux inscrits encore plus faible que le sien –Mélenchon a ainsi fait 14,84%–, il peut être plus déplaisant de noter que le même Mélenchon est devenu député de la 4e circonscription des Bouches-du-Rhône en ayant obtenu... 14,17% des voix sur les inscrits au premier tour et 19,96% au second. Ce qui, somme toute, est mieux que les scores respectifs d'Eric Coquerel (6,89% et 15,52%) en Seine-Saint-Denis ou de Danièle Obono (7,69% et 19,50%) à Paris. Pour ne citer qu'eux, mais c'est la même chose pour tous les autres. Il est toujours périlleux de mettre en cause la légitimité du vainqueur quand on n'a pas réussi soi-même à attirer plus d'électeurs sur son propre nom.

Ce procès va-t-il durer jusqu'à la fin du quinquennat, en 2022? On peut imaginer qu'il sera au moins entretenu jusqu'aux prochaines élections qui, dans l'esprit des promoteurs de cette campagne, sont le juge de paix de la légitimité. Même si la première consultation à venir –les élections européennes, en 2019– n'a pas à proprement parler grand-chose à voir avec la conduite de la politique intérieure. Gageons, cependant, que son résultat, surtout s'il est médiocre ou mauvais, pour le parti du président sera interprété comme un test de légitimité. Il sera sûrement déchiffré, là encore, par rapport aux électeurs inscrits. Et cette consultation, depuis bientôt quarante ans, n'a jamais vraiment attiré les foules. Le procès a encore de beaux jours devant lui.

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