Société

Comment bien s'habiller pour se rendre à son procès

Comment la tenue de procès est devenue plus stratégique que celle d’un red carpet d’avant-première.

Lookée mais pas trop. | Stylist
Lookée mais pas trop. | Stylist

Temps de lecture: 6 minutes

  Cet article est publié en partenariat avec l'hebdomadaire Stylist, distribué gratuitement à Paris et dans une dizaine de grandes villes de France. Pour accéder à l'intégralité du numéro en ligne, c'est par ici.

Un denim brut slim accompagné d’une paire de bottes jusqu’aux genoux, un gilet noir sans manches en fourrure au-dessus d’une veste en cuir, le tout accessoirisé avec un sac à main monogrammé de chez Louis Vuitton: ceci n’est pas la dernière tenue de Brigitte Macron en une de Paris Match pour la 138e fois en un an, mais bien le look qu’a choisi Azealia Banks pour son audience le 3 avril dernier à la Manhattan Criminal Court de New York. Sourire et comportement irréprochable, la rappeuse, condamnée à six heures de cours de gestion de colère pour avoir mordu le sein d’une physio devant une boîte de nuit en 2015 –une affaire plus connue sous le nom croustillant de «boob bite case»–, est venue faire amende honorable devant le juge. Mais plus que son attitude de petite fille sage et bien élevée, c’est son allure qui a interpellé. Normalement plus opé pour un style vestimentaire sexy-raffiné (mini-shorts, bas résilles, décolleté, bijoux, harnais…), Azealia s’est présentée en bonne citoyenne prête à se repentir grâce à une tenue plus conservatrice et plus chic qui aurait presque pu la faire passer pour une énième rédactrice mode parisienne blasée au sortir d’un défilé de fashion week.

CQFD: si même l’une des rappeuses les plus affirmées et osef du moment s’est pliée à ce changement d’image digne d’un épisode de «Nouveau look pour une nouvelle vie», c’est que, quand on est accusé et qu’on se pointe chez le juge, mieux vaut répondre à des codes vestimentaires aussi formels que ceux d’un mariage, d’un baptême, d’un enterrement ou d’un entretien d’embauche. Si jamais, vous aussi, vous devez vous rendre au tribunal pour une raison ou une autre (cela ne nous regarde pas), on vous explique comment votre tenue pourrait bien vous aider à réduire votre peine ou à être acquitté. Rien que ça.

Ravalement de façade

Si vous regardez les Kardashians (on ne vous juge pas, nous aussi), vous avez sûrement découvert l’année dernière le personnage de Blac Chyna, ex-fiancée de Rob Kardashian. En juin 2017, l’ancienne strip-teaseuse, sur le point de déposer une main courante contre le frangin du clan Kardash’ à cause d’une sombre histoire de revenge porn et de garde d’enfant, est arrivée au tribunal de Los Angeles vêtue d’un ensemble tailleur blanc et d’un carré ondulé, alors que la veille encore elle avait de longs cheveux multicolores tout droit sortis d’un épisode de «Mon Petit Poney».

Blac Chyna à son procès. | Rex via Stylist

Puis, quand les photos ont circulé sur le Net, les haters ont fait leur boulot: c’est-à-dire moquer Chyna pour avoir porté une «going to court wig», comprenez une perruque faite pour aller au tribunal. Mais qui peut la blâmer? «Dans la longue liste des procès de célébrités, tout le monde est passé par la case relooking, analyse Frédéric Monneyron, sociologue de la mode. Déjà en 1969, lors de son procès pour possession de drogues, Mick Jagger avait dû changer d’apparence et laisser tomber son look rock’n’roll pour enfiler un costume et une cravate.» À cette liste, on peut ajouter Paris Hilton, en 2007, avec une chemise blanche et un tailleur cintré, Lindsay Lohan, en 2012, avec un tailleur bleu clair de First Lady ou Wynona Rider, en 2002, avec un serre-tête et un manteau noir en laine fermé jusqu’au cou.

Lindsay Lohan à son procès en 2012. | Rex via Stylist

Et il n’y a pas que les célébrités qui se refont une garde-robe. Sur la plupart de leurs sites, les law firms américaines consacrent en général une pleine page aux tenues recommandées lors d’une audience et conseillent directement leurs éventuels futurs clients. Le cabinet Cohen & Jaffe, une référence à New York, propose même de télécharger son guide pdf What to wear to court (que porter au tribunal) avec dessins et pictos explicatifs pour hommes et femmes. «Même si les tribunaux n’ont pas vraiment de charte officielle qui autorise ou interdit tel ou tel type de tenue, le droit appelle à une solennité et on doit respecter la cour en portant des vêtements corrects, explique Maître Charlotte Bernier, avocat à la cour diplômée en droit français et anglo-américain. C’est d’autant plus prégnant aux États-Unis où le système judiciaire, contrairement à la France, fait beaucoup plus appel au jury populaire qui va certes juger l’accusé sur les faits qui lui sont reprochés mais probablement aussi sur son apparence.» Ou comment le tribunal pourrait prendre easy le relais pour accueillir la nouvelle saison de Fashion Police sur E! Entertainment.

L’habit fait le coupable (ou pas) 

Pas aussi enclin à faire abstraction du look de l’accusé et à se concentrer uniquement sur les faits comme un juge ou un magistrat le ferait, le jury peut facilement tomber dans les préjugés. Comme l’avait justement remarqué Pascal (Blaise, pas Jean) dans sa Pensée 61, «comme la mode fait l’agrément, aussi fait-elle la justice». D’après une étude de l’université d’État de Winona menée par Kateri Schafer, en 2009, la tenue portée par un accusé a une influence significative sur le verdict rendu par le jury populaire. Une autre étude de 2010, réalisée pour le Cornell Daily Sun (journal de l’université Cornell, membre de l’Ivy League), démontrait que les jurys condamnaient moins souvent les personnes plus séduisantes. «Quand on change de vêtement, on change aussi de comportement. Peu importe ce qu’on peut penser, l’habit fait bien le moine, affirme Frédéric Monneyron. Mais plus que ça, l’habit fait aussi les sociétés, c’est-à-dire qu’il permet d’identifier une époque.»

Aujourd’hui, alors que tout outfit est scruté de haut en bas, votre choix vestimentaire a priori anodin peut devenir un fashion statement ou un fashion faux pas qui en révèle plus sur vous que votre historique de navigation internet. Alors, autant tout faire pour paraître irréprochable et, pourquoi pas, innocent. En tête de gondole des stratégies «c’est pas moi qui l’ai fait» souvent élaborées par des trial consultants (sorte de coach de procès qui vous explique comment vous habiller et vous comporter), on peut, par exemple, cacher son tatouage de croix gammée sur le visage avec du maquillage comme l’a fait John Ditullio lors de son procès en Floride en 2010; ou sinon on peut préférer la technique de la «nerd defense». Étudiée, en 2008, par Michael Brown, professeur en psychologie à l’université Suny Oneonta de l’État de New York, elle consiste à faire porter des lunettes à l’accusé. Résultat, il paraît plus inoffensif et moins vigoureux aux yeux de l’assistance. En d’autres termes, moins capable de violence (coucou O.J. Simpson qui en 2007 portait des lunettes lors de son procès pour vol à main armée).

O.J. Simpson à son procès pour vol à main armée. | Rex via Stylist

Des techniques qui ont fait leurs preuves mais qui doivent tout à Sabella Nitti, pionnière du relooking extrême judiciaire. Faussement accusée du meurtre de son mari et condamnée à la peine de mort par le tribunal de Cook County (Chicago) en 1923 (une histoire qui a librement inspiré la création de la comédie musicale Chicago), l’accusée d’origine italienne a pu échapper à la sentence et être libérée en appel simplement parce que son avocate Helen Cirese lui avait fait changer d’allure et de vêtements, passant ainsi d’une immigrée fermière aux cheveux gras et ongles sales (donc coupable) à une femme apprêtée et élégante correspondant aux standards de l’époque (soit innocente).

Vrai social justice warrior

Mais pas de quoi crier victoire. À l’image du reste de la société, le système judiciaire rend le plus souvent les femmes prisonnières de leur condition (duh! sans blague?), comme nous l'explique Emilie Luchessi, docteur en communication et auteur de Ugly Prey, un livre enquête sur le cas Sabella Nitti, sorti en 2017: «Au moment où j’ai pitché l’idée de mon livre à mon éditeur, j’étais très intéressée par la façon dont certains individus arrivent à maintenir une apparence qui peut conforter les autres dans l’idée qu’ils n’ont pas commis de crime. Hélas, c’est souvent plus difficile pour les femmes qui peuvent être rapidement stigmatisées.» Preuve n°1: l’ancienne mannequin Tara Lambert, jugée pour avoir essayé d’engager un tueur à gages chargé d’éliminer l’ex-petite amie de son mari et qui déclarait, en septembre dernier, que les tenues «sexy» qu’elle portait au tribunal avaient retourné le jury contre elle. Preuve n°2 : le témoignage de Eva Hagberg Fisher pour le New York Times en début d’année qui expliquait comment, durant son procès contre son ancien graduate school advisor (sorte de conseiller d’orientation) qu’elle accusait de harcèlement sexuel, elle avait dû réfléchir à toutes ses tenues pour paraître crédible mais «suffisamment sexy pour donner l’impression d’avoir pu être harcelée mais sans évidemment l’avoir cherché». Une stratégie de look hallucinante qui rappelle celle adoptée par Taylor Swift (bottines noires, cheveux tirés en arrière, col roulé mais mini-robe) lors de son procès contre le DJ de radio David Mueller qu’elle accusait en août dernier d’attouchements.

Cela dit, les femmes ne sont pas les seules à être indirectement discriminées par le système judiciaire, il y a les pauvres aussi (bah oui, sinon ça serait pas drôle). Parce qu’ils sont souvent incapables de se payer un styliste pour leur procès (et le costume qui va avec), les défavorisés peuvent désormais compter sur la générosité de certains avocats qui leur prêtent des vêtements. Dès 2002, Robert Wesley, public defender (avocat commis d’office) du comté d’Orange en Floride a été l’un des premiers à mettre en place des collectes de dons de vêtements auprès de la population locale: «L’idée est d’aider nos clients à se présenter au tribunal en étant propres et bien habillés, reconnaît l’avocat. Cela permet de gagner en impartialité mais aussi d’éviter les perceptions négatives.» Voilà pourquoi, fin 2016, la municipalité de New York a ordonné au Département de l’administration pénitentiaire d’arrêter d’amener les détenus en uniforme de prisonnier et de plutôt les faire venir au tribunal avec leurs vêtements personnels. Pour que justice (vestimentaire) soit faite. 

cover
-
/
cover

Liste de lecture