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Obama, bon an mal an

Le président américain n'est pas le messie que certains espéraient, mais ses avancées politiques et diplomatiques font oublier les années Bush.

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Un an, jour pour jour, après son entrée en fonction, Barack Obama vient de subir un revers électoral spectaculaire et lourd de conséquences, avec la perte, au profit du parti républicain, d'un poste de sénateur du Massachussetts. Siège détenu par Ted Kennedy et, avant lui, par son frère John avant de devenir président. Les adversaires d'Obama ne pouvaient rêver mieux, et ses partisans ne pouvaient imaginer pire scénario: non seulement il perd un siège symbole, acquis aux démocrates depuis un demi-siècle, mais surtout il perd, au Sénat, non pas la majorité, comme on l'entend dire beaucoup dans les radios et les télévisions, mais sa capacité à bloquer une obstruction organisée par les républicains (le «filibustering»).

Un an après donc, l'enthousiasme et l'élan suscités par cette élection, ainsi que l'extravagant espoir qu'il avait porté, se sont éloignés. Au point qu'en France il est devenu à la mode de parler de Barack Obama comme d'un «Carter noir». Jimmy Carter, dont le souvenir est celui d'une présidence faible et d'un leadership amoindri. Pourtant, malgré le vote du Massachussetts, et malgré la vogue actuelle, cette vision est à la fois injuste et prématurée.

D'une part, parce qu'on ne juge pas du bilan d'un mandat au quart de l'exercice de celui-ci. D'autre part, parce qu'en un an, ce même bilan, si on le tente, est loin d'être négligeable. Comme il l'a dit lui même, dans un discours récent, à ceux qui s'impatientent ou bien à ceux qui disent de lui qu'il ne sait pas «délivrer»: il faut accepter l'idée de nommer les petits pas comme les grands pour ce qu'ils sont, à savoir des progrès.

Main tendue à l'Iran

Sur le front extérieur, il a tourné le dos aux années Bush et à sa politique de force qui avaient eu pour principal résultat de provoquer, de par le monde, une formidable vague d'anti-américanisme. Convenons qu'il a formidablement déminé le terrain, même si on ne peut qu'être stupéfait de la façon dont, en France, cet anti-américanisme peut ressurgir au moindre prétexte, comme on le voit à travers le débat surréaliste qui vient de s'engager autour du déploiement américain en Haïti.

Il a renoncé à la doctrine de la «guerre préventive», chère à son prédécesseur, pour se consacrer de nouveau à la diplomatie; allant jusqu'à une politique de la «main tendue» en direction de l'ensemble du monde musulman, et plus particulièrement de l'Iran, pays dont on sait qu'il est aux mains d'une caste dirigeante dangereuse pour les Iraniens —on le mesure de plus en plus— et pour ses voisins immédiats, dont Israël, dès lors que l'Iran serait dotée de l'arme nucléaire. Il a renoncé aussi à la politique de la torture et, s'il a renforcé le dispositif militaire en Afghanistan, il a aussi assorti sa démarche d'un début de stratégie de sortie pour l'Otan de ce pays.

Des réformes à confirmer

Sur le plan intérieur, il est difficile de contester l'ampleur du plan de relance qu'il a mis en place, même s'il est vrai que le chômage, qui a atteint un niveau record, n'a pas encore entamé sa décrue. Mais surtout, il a encore les moyens d'obtenir ce qu'aucun de ses prédécesseurs démocrates n'était parvenu à mettre sur pieds, une réforme du système de santé qui permettra de couvrir des millions d'Américains, qui jusqu'à présent en étaient exclus.

Il n'hésite pas non plus à montrer du doigt les extravagances d'un système financier dont il a accepté l'idée qu'il est nécessaire de le réglementer. Globalement donc, on peut considérer qu'il suit le chemin qu'il avait annoncé. Tout n'est pas pour le mieux, pour autant, dans le meilleur des mondes. Pour une raison simple: tous les chemins et les voies ouverts par Barack Obama ont en effet maintenant besoin d'être confirmés, de s'inscrire dans la réalité. De ce point de vue, il a lui-même contribué à semer le doute en paraissant, sinon hésitant, du moins un peu trop préoccupé de son image dans le dosage qu'il peut opérer lorsqu'il doit prendre une décision. Ce qui lui a valu le surnom de «speaker en chef», en lieu et place de «commandant en chef».

Pour ceux qui l'observent de l'extérieur des Etats-Unis, ce retour à la diplomatie et au dialogue est évidemment confronté à trois principaux sujets:

L'Afghanistan; mais on sait qu'en ce domaine il est trop tôt pour apprécier le bien-fondé d'une stratégie qui a le mérite de ne plus se contenter du militaire.

L'Iran; on peut créditer Barack Obama d'une grande prudence face à un processus qui peut déboucher sur une révolution et changer l'ensemble de la donne dans la région; il serait donc imprudent de donner prise à un pouvoir qui cherche désespérément à susciter autour de lui une sorte d'unité nationale face au diable américain. Difficile lorsque la figure du diable s'estompe...

La question israélo-palestinienne enfin, où il semble bien que la pression exercée sur le gouvernement de Benjamin Netanyaou manque de fermeté, sinon de clarté.

Mais ce qui suscite le plus de préoccupations en Europe est d'un autre ordre. Les Européens, France et Allemagne en tête, misent dans une période oh combien délicate sur une meilleure organisation et concertation au sein de la communauté internationale à travers le G20. Or ils constatent pour l'essentiel, pour les décisions les plus importantes — rappelons-nous l'échec de Copenhague — l'émergence d'un G2, c'est-à-dire d'un nouveau duopole, qui est également un face à face entre la Chine et les Etats-Unis avec bien sûr, dans ce cas de figure, le risque concomitant d'une marginalisation de l'Europe.

Duopole? On l'a mesuré à Copenhague où Barack Obama s'est invité à une réunion autour du Premier ministre chinois, avec pour résultat une simple déclaration de principe et un échec de la stratégie européenne.

Face à face? Il est évidemment engagé à mesure que s'affirme la puissance chinoise et que se renforce le rôle que tout créancier est en droit de jouer vis-à-vis de son débiteur. Le créancier, c'est la Chine, le débiteur l'Amérique. Cette affirmation chinoise est évidemment de nature à capter l'attention et l'énergie des Etats-Unis. Rien d'étonnant donc à ce que, dans les capitales européennes, on se plaigne de l'indifférence d'Obama vis-à-vis de l'Europe. Mais nous connaissons cela par cœur: c'est aux Européens à se prendre en mains, aussi sûrement que Barack Obama s'efforce de relancer l'Amérique.

Le sens du mandat

Mais revenons sur la scène intérieure, qui va l'obliger à faire preuve de plus d'habileté que de charisme. Dans le reflux des électeurs indépendants du Massachusetts, qui avait été aussi celui, au mois de décembre, du New Jersey et de la Virginie (2 victoires républicaines au poste de gouverneur), il y a deux interprétations possibles. Pour les nostalgiques de l'idéologie inégalitaire et hostile à l'Etat, portée par George Bush, l'explication est que Barack Obama se serait abusé sur le sens de son mandat.

A leurs yeux en effet, il ne s'agissait que d'un vote anti-Bush et non d'un vote qui autorisait Obama à restaurer les bases du New Deal de Roosevelt. Ceux-là dénoncent, souvent avec virulence, le «socialisme» d'Obama ou sa conversion au modèle social libéral européen. Pour d'autres, qui se situent dans les franges les plus impatientes du parti démocrate, Barack Obama aurait été trop prudent, trop porté au compromis sur le système de santé et trop timoré par rapport à Wall Street qu'il tarde à «réguler», sinon à réglementer. Observons plus sûrement qu'un taux de chômage à deux chiffres est de nature à provoquer une forte impopularité, alors qu'il est lui-même encore crédité de 50% de confiance.

Or, on le sait, le modèle social européen repose sur un haut niveau d'Etat providence alors que le consensus américain a toujours été le plein emploi en échange d'un haut niveau d'inégalités. Il lui faudra donc attendre que l'emploi reprenne vraiment des couleurs. Quant à sa marge de manœuvres, il a, à ce stade, le choix: soit de reprendre le texte sur le nouveau système de santé, déjà voté par le Sénat, et sur cette base d'essayer d'obtenir un vote à la Chambre des Représentants, camp contre camp, gauche contre droite; soit de chercher dès maintenant un nouveau compromis, mais qui aurait à ce moment-là pour effet peut-être de le priver des plus fidèles de ses soutiens. En tous cas, si nous sommes loin du nouveau prophète que certains attendaient, il n'y a, à ce stade, aucune raison de douter que ce qu'il a engagé puisse être meilleur pour l'Amérique, comme pour le reste du monde, que ce que nous avait infligé son prédécesseur.

Jean-Marie Colombani

Le 12 janvier, sur la base d'Andrews. REUTERS/Jim Young.

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