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Ce que disent les notes oubliées par Mark Zuckerberg lors de son audition

Le PDG de Facebook a laissé traîner, au vu et au su des journalistes, deux pages de ses notes préparatoires à l'interrogatoire des sénateurs américains, le 10 avril 2018.

Mark Zuckerberg devant le Sénat américain à Washington, D.C., le 10 avril 2018 | Brendan Smialowski / AFP
Mark Zuckerberg devant le Sénat américain à Washington, D.C., le 10 avril 2018 | Brendan Smialowski / AFP

Temps de lecture: 3 minutes

Mark Zuckerberg devait se douter que son audition face au Congrès serait placée sous le signe de la vie privée, et il savait certainement que l’on s’en prendrait à la sienne. S’il a refusé de révéler le nom de son hôtel à Washington D.C., il n’a pas réussi à protéger ses notes de travail: un journaliste a eu le temps de les prendre en photo.

Zuckerberg était bien entraîné. Ses notes ont été conçues pour lui permettre d'avoir réponse à tout type de questions, des enjeux politiques –Facebook est-il en situation de monopole?– aux questions plus fracassantes. Il s’était ainsi préparé à ce qu’on lui demande si le scandale Cambridge Analytica allait l’amener à renvoyer des employés –réponse: «C’était ma responsabilité. Je ne désignerai pas de boucs émissaires.»

L’antisèche révèle l’étendue des sujets que Zuckerberg était prêt à aborder. Le PDG de Facebook ne s’est pas rendu à la capitale les mains dans les poches: il avait un sacré plan com’ dans ses valises.   

Paramètres de confidentialité

Sous l’en-tête «Modèle commercial», on peut lire: «Soyons clairs: Facebook ne vend pas vos données. Vos données n’appartiennent qu’à vous. Nous vous donnons des outils de contrôle.» De fait, Facebook améliore ses paramètres de confidentialité année après année. Seulement, voilà: ces paramètres sont souvent enfouis dans les options, voire complètement incompréhensibles –et si la majorité des utilisateurs de Facebook savait comment les utiliser, le modèle commercial de l’entreprise ne fonctionnerait plus.

Diversité

Un passage est consacré à la diversité, et la première réponse toute faite replace l’absence de diversité inhérente à Facebook dans le contexte du secteur d’activité dans son ensemble: «La Silicon Valley a un problème, et Facebook fait partie de ce problème.» La deuxième ligne mentionne les proportions d’employés de Facebook issus de la diversité: «Afro-Américains: 3%; Latino-Américains: 5%». Ces chiffres se réfèrent toutefois à l’ensemble des employés; ils sont bien inférieurs chez les cadres et les techniciens de l’entreprise.

Facebook contre Apple

Les notes abordent les récents propos de Tim Cook, le PDG d’Apple. Ce dernier a critiqué le ciblage publicitaire de Facebook, pilier du modèle économique de l’entreprise. À en juger ses notes, Zuckerberg était prêt à rendre coup pour coup: «Des applications d’Apple utilisent les données à mauvais escient, beaucoup de rapports en attestent, mais on n’a jamais vu Apple en informer qui que ce soit»; «Tout le monde doit se conformer aux mêmes règles, pas de deux poids deux mesures». Et bim!

RGPD

Un passage aborde le règlement général sur la protection des données (RGPD), nouvelle législation européenne prenant effet en mai prochain. L’équipe de relations publiques de Facebook est parvenue à présenter cette solide protection des consommateurs européens sous un mauvais jour, pour mieux plaider contre la mise en place de lois similaires aux États-Unis. «Le RGPD fait quelques trucs, explique l’antisèche. Permet de contrôler l’utilisation des données –on le fait déjà depuis plusieurs années. Requiert l’autorisation des utilisateurs –on le fait un peu, et de plus en plus en Europe et dans le monde.» Ces affirmations laissent entendre que Facebook n’a pas envie de voir émerger une nouvelle réglementation américaine –les Européens lui donnent visiblement bien assez de fil à retordre.

Marché publicitaire

Un en-tête est consacré à la compétition: Zuckerberg explique que Facebook n’incarne qu’une «petite partie du marché publicitaire: les annonceurs sont eux aussi libres de leurs choix –le marché pèse 650 milliards de dollars, notre part est de 6%». L’argument est intéressant: Zuckerberg dit vrai, mais il parle du marché publicitaire dans son ensemble. Lorsqu’on se penche sur les chiffres de la publicité en ligne, on constate que Facebook constitue 20% des recettes américaines pour l’année 2017, contre 39% pour Google, selon la société de recherche numérique eMarketer. En 2017, les deux entreprises se sont donc partagées près de 60% des recettes publicitaires en ligne.

Préparé à tout... ou presque

Zuckerberg s’était même préparé à ce qu’un sénateur lui suggère de jeter l’éponge. «Démissionner? J’ai fondé Facebook. Mes décisions. J’ai fait des erreurs. Défi de taille, mais nous avons surmonté d’autres épreuves, nous surmonterons celle-ci. Sommes déjà passé à l’action.» Saisissant.

La photo ne montre que deux pages; le classeur semblait en contenir d’autres –la liste n’est pas exhaustive, Zuckerberg s’était sans doute préparé à d’autres types d’interrogations. Certaines questions ont toutefois semblé le prendre de court, comme celle de la sénatrice démocrate de l'État de Washington, Maria Cantwell. Cette dernière l’a interrogé sur Peter Thiel, qui siège au conseil d’administration de Facebook, et sur les liens supposés qui unissent son entreprise de la Silicon Valley, Palantir, et la firme Cambridge Analytica.

Mais si cette photo volée des notes de Zuckerberg nous apprend une chose, c’est –selon moi– comment réaliser une antisèche digne de ce nom avant une réunion. Les notes du PDG sont claires et bien organisées; on y trouve de nombreuses accroches sibyllines, qui donnent juste assez d’informations pour encourager le lecteur à improviser une réponse d’un air dégagé. Pendant son audition du mardi 10 avril, Zuckerberg semblait particulièrement décontracté; en réalité, il ne s’est jamais écarté du script.

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