Monde

Haïti, un désastre d'origine humaine

C'est d'un revirement politique et culturel dont Haïti aura besoin pour se remettre.

Temps de lecture: 3 minutes

Je n'arrive plus à regarder les images d'Haïti. Et je dois vraiment me faire violence pour réussir à lire jusqu'au bout un article sur la catastrophe. J'ai fait un don à Médecins sans frontières - l'ONG est en Haïti depuis longtemps et elle saura comment utiliser rapidement l'argent. Mais je ne me fais pas d'illusion sur ma minuscule contribution, ni même sur la capacité de Médecins sans frontières à apporter de l'aide. Je ne me fais pas d'illusion, personne ne peut aider, parce qu'il ne s'agit pas seulement d'une catastrophe naturelle: c'est un désastre causé par l'homme avant tout, et ça le restera.

Le pire reste à venir

Certes, le séisme a été très puissant, mais son impact a été décuplé par la faiblesse de la société civile et par l'absence d'Etat de droit en Haïti. «Regardez le pays depuis l'espace, vous comprendrez tout le problème», explique Roger Noriega. Les photos satellites d'Hispaniola, l'île que se partagent Haïti et la République dominicaine, montrent des forêts vertes côté dominicain et des collines nues, déforestées, côté haïtien. Les glissements de terrain et les maisons qui s'effondrent, c'était déjà la routine en Haïti avant la catastrophe. Les lois pour empêcher l'érosion et les règles de construction censées éviter que des bâtiments bancals ne voient le jour ont été ignorées. Les quartiers pauvres branlants de Port-au-Prince ont été bâtis sur des collines raides et instables. Quand ils se sont écroulés, ils se sont écroulés complètement.

Les institutions publiques haïtiennes étaient si faibles, au sens propre comme au sens figuré, qu'il n'en reste rien non plus. Le parlement, les églises, les hôpitaux et les bâtiments gouvernementaux n'existent plus. L'archevêque est mort. Le chef de la mission onusienne aussi. Des gangs violents pourraient prendre leur place et contrôler les approvisionnements de nourriture, histoire de piller ce qu'il reste à piller. On s'attend aussi dans les prochains jours à des épidémies, une famine, une guerre civile.

Ni le tsunami, ni Katrina

Je ne me rappelle pas avoir perçu un tel niveau de désespoir lors des précédentes catastrophes naturelles. Il y a eu, après le tsunami de 2004 et l'ouragan Katrina de 2005, des scènes tout aussi horribles et des histoires tout autant dramatiques: des villages entiers ravagés, des gens noyés dans leur maison, des familles américaines marchant dans l'eau avec leurs biens sur la tête. Mais dans ces deux cas, après le chaos initial, il a été possible de coordonner l'aide de base. Les victimes de Katrina ont rapidement été évacuées en dehors de la Nouvelle-Orléans - souvenez-vous de ces bus vers le Texas, de ces Américains qui ont mis leur chambre d'amis à disposition des familles de sinistrés, de ces églises et écoles qui ont «adopté» des réfugiés de la Côte du Golfe. Je ne dirai pas que le résultat est satisfaisant - la ville et le littoral voisin ne redeviendront jamais ce qu'ils étaient et des centaines de milliers d'habitants ne s'en remettront jamais complètement - mais au moins il n'y a eu ni épidémie, ni famine, ni guerre civile.

Idem en Indonésie. Des rapports de la Banque mondiale ont même expliqué que dans certains des endroits les plus sévèrement touchés par le tsunami, la province d'Aceh par exemple, la situation est désormais meilleure qu'avant la catastrophe. Beaucoup ne seront pas du même avis, mais au moins il n'y a pas eu ici de scènes dignes d'une catastrophe «biblique». L'Indonésie n'est pas une société parfaite - les Etats-Unis non plus - mais ces deux pays ont suffisamment de cohésion sociale pour soutenir les associations caritatives locales et de gens éduqués pour planifier la reconstruction. Tous deux sont capables de tirer des leçons de ce qu'il s'est passé, de reconstruire les villages et les villes en anticipant les prochaines inondations et d'aider leurs propres réfugiés à se réinstaller.

Aide extérieure ou joug colonial

Haïti n'a pas ce genre de ressources internes. Ce qui veut dire que pour la reconstruction, toutes les compétences devront venir de l'étranger, essentiellement des Etats-Unis. Mais pour un tas de raisons historiques évidentes, ces compétences extérieures seront inacceptables aux yeux de beaucoup d'Haïtiens, qui y verront un joug colonial, des interférences injustifiées dans les affaires locales, de l'impérialisme culturel. Des Marines armés pourraient avoir à se battre contre des gangs violents. Les élites locales - celles qui restent - pourraient se mettre à comploter pour escroquer de la nourriture et de l'argent aux missions d'aide.

J'espère avoir tort. Je suis sûre qu'il y a ici des optimistes qui pensent que c'est pour Haïti l'opportunité de se reconstruire, aux sens propre et figuré, de rebâtir les institutions gouvernementales, d'attirer les donateurs et les investissements. Bill Clinton est l'un de ces optimistes, et je suis vraiment, vraiment ravie qu'avec sa femme, ils aient passé leur lune de miel en Haïti. Quelle chance pour ce pays d'avoir en ce moment des amis si puissants. Mais je sais aussi que des amis, de l'argent et de l'optimisme ne suffisent pas pour remettre un pays sur pied. Il faut un profond changement culturel et politique - le type d'évolution qui prend généralement des décennies. Mais Haïti n'a pas des décennies, le pays a quelques jours, peut-être quelques heures, avant que de nouveaux désastres ne le frappent.

Anne Applebaum

Traduit par Aurélie Blondel

Image de une: une rue de Port-au-Prince, le 17 janvier 2010 Daniel Aguilar / Reuters

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