Boire & manger / Santé

La recherche du corps parfait, cause de troubles alimentaires dans la communauté LGBTQ

Un problème important, mais trop souvent ignoré, qui toucherait une grande partie de la communauté.

Thomas Kelley via Unslplash CC <a href="https://unsplash.com/@thkelley">License by</a>
Thomas Kelley via Unslplash CC License by

Temps de lecture: 7 minutes

«Je suis mince pour un hétéro et gros pour un gay.»

C’est une blague d'un vieil épisode de «American Dad», une de ces blagues qui m’a fait rire quand je l’ai entendue la première fois et qui, depuis, s’est gravée dans ma mémoire. J’ai 42 ans et je peux dresser la liste exhaustive de ce que je n’aime pas dans mon corps, et quels miroirs de mon domicile sont plus ou moins avantageux pour l’estime de soi malgré un régime quasi-unique d’alimentation saine et de footing régulier. Mais j’ai aussi pleinement conscience des attentes irréalistes que les hommes homosexuels peuvent s’imposer à eux même en matière d’apparence physique.

Oui, cette blague d’«American Dad» est drôle parce qu’elle est tout simplement vraie. Mais pour nombre de personnes LGBTQ, elle n’a hélas rien de drôle.

Au début de l’année, une étude menée conjointement par le National Eating Disorders Association (NEDA), et par le Reasons Eating Disorder Center a démontré que les troubles du comportement alimentaire étaient surreprésentés au sein des jeunes LGBTQ. Sur les 1.034 personnes ayant participé à l’étude, âgées de 13 à 24 ans et s’identifiant tous comme LGBTQ, 54% avaient été diagnostiquées comme souffrant d’un trouble du comportement alimentaire, et 21% de plus pensaient en être affectées bien que n’ayant pas été formellement diagnostiquées. Si de tels résultats ne sont pas formellement représentatifs, ils en disent tout de même assez long sur un problème qui ronge notre communauté.

Ce sont les femmes cisgenres LGBTQ qui ont le plus fort taux de troubles du comportement alimentaire –et la plupart du temps, de la boulimie– suivies par les hommes transsexuels et transgenres, puis les hommes cisgenres et les femmes transsexuelles. Les jeunes gens trans, non-binaires et les transgenres qui se considèrent hétérosexuels ont les plus forts taux de troubles du comportement alimentaire diagnostiqués, à près de 71%. Les jeunes bisexuels arrivent au deuxième rang et les jeunes gays et lesbiennes juste derrière. Si l'on additionne toutes les identités sexuelles et les genres étudiés, les troubles de l'alimentation les plus fréquents sont ceux qui s’apparentent d’une manière ou d’une autre à une surveillance excessive de l’apport calorique.

Ces résultats complètent d'autres données dont dispose la National Eating Disorders Association, qui indiquent que 42% des hommes souffrant de troubles de l'alimentation s'identifient comme gay –une proportion considérablement plus élevée que le pourcentage que nous formons dans la population générale. La NEDA rapporte des taux d’ingestion compulsive et de purges (vomissement) significativement plus élevés chez les hommes gays que chez les hommes hétérosexuels, et environ deux fois plus élevés que chez les femmes non hétérosexuelles. Combinées, ces données indiquent que les risques de troubles du comportement alimentaires sont communs à tous les segments de la communauté LGBTQ.

Un sujet enfin abordé dans les médias

La publication des résultats de cette étude corrobore d’autres événements récents qui ont attiré l’attention sur les problèmes liés aux troubles du comportement alimentaire chez les minorités sexuelles et de genre. Adam Rippon, qui a fait la une des journaux lors des derniers Jeux olympiques d’hiver, a raconté sans détour comment son histoire de troubles du comportement alimentaire a coïncidé avec la prise de conscience de son homosexualité, même si le New York Times a tourné son article de manière à associer le problème avec le milieu du patinage artistique (deux des trois autres patineurs artistiques masculins cités par le Times, Brian Boitano et Johnny Weir sont ouvertement gays et Wier ne consommerait toujours qu’un seul repas par jour). Dans la saison 9 de «RuPaul’s Drag Race», on peut entendre une conversation entre quelques-unes des queens, où elles évoquent leurs luttes actuelles et passées avec les troubles du comportement alimentaire. Il est très encourageant d’entendre des discussions aussi franches et honnêtes sur un tel sujet dans une émission très populaire.

Mais malgré cela, les éléments de la culture LGBTQ qui perpétuent les risques de troubles du comportement alimentaire sont aussi répandus que durables. Des standards inatteignables d’apparence physique ne se sont pas installés en l’espace d’une journée.

«J’ai commencé à ressentir que je devais me conformer à ce que je voyais dans les magazines et dans les films. Je voulais ce corps élancé qui attirerait immédiatement l’œil des garçons, m’a ainsi déclaré un homme homosexuel que nous appellerons Travis. En perdant du poids, je me suis rendu compte que je recevais toujours plus d’attention positive, de tout le monde. Ça me faisait du bien. Au bout d’un mois environ, je me suis dit que je ne perdais pas assez de poids alors je me suis mis à faire plus d’exercice et j’ai réduit considérablement mon apport en calories en ne me nourrissant plus que de barres de protéines. Parfois, il m’arrivait de manger compulsivement, mais je ne parvenais pas à avaler ce que je mâchais. Je m’achetais une dizaine de doughnuts, par exemple, et je les mâchais avant de les recracher.»

«Mes troubles du comportement alimentaire sont clairement nés du fait d’appartenir à la communauté LGBTQ, poursuit-il. J’avais le sentiment que je devais me conformer aux attentes sociétales, que je devais être ce type mince et musclé que l’on voit dans les salles de gym.»

Sam Miller a eu une expérience similaire. Miller est l’auteur d’un livre, The Art of Starving, un roman poignant, écrit par un jeune homme du point de vue d’un adolescent homosexuel frappé par une trouble du comportement alimentaire et qui s’inspire des expériences de l’auteur.

«Mes troubles du comportement alimentaires sont très clairement nés de mon homosexualité, me dit-il, dans le sens où tant l’homophobie qu’une masculinité toxique m’empêchaient de voir à quel point j’étais magnifique. En étant constamment la cible de harcèlement, en l’absence de modèles positifs dans ma vie, et ne me sentant pas désiré par les garçons pour lesquels j’avais moi-même du désir, je me suis mis à me déprécier, et à littéralement haïr le corps que je voyais dans le miroir.»

Quand la maigreur évoquait la séropositivité

Un autre problème de santé qui a fortement touché et continue de toucher la communauté gay a également exercé une pression pour coller à une certaine apparence.

«Avant l’arrivée du sida, les hommes homosexuels ne voyaient pas leurs corps de la même manière qu’aujourd’hui. Être maigre n’était pas problématique», me dit Sharon Nesselle, spécialiste de la santé mentale au centre LGBT de Los Angeles. Nesselle travaille dans le centre depuis 24 ans. «Mais quand le sida a commencé à faire des ravages, alors le fait d’être maigre signifiait être séropositif dans la tête de la majorité. J’ai assisté alors à un changement significatif dans la communauté, de plus en plus se rendaient dans les salles de gym et faisaient attention à leurs corps.»

«Quand la méthamphétamine est arrivée, elle a hélas été aussi perçue comme un bon moyen de régler une vieille honte au sein de la communauté, celle du surpoids, continue Nessell. Souvent cette honte, les personnes qui en souffraient n’en avaient même pas conscience, d’ailleurs. Cette drogue a donné à de nombreux hommes un moyen de perdre constamment du poids, jusqu’à ce que, malheureusement, l’utilisation de la substance deviennent incontrôlable, que de mince on passe à décharné et que cela soit évidemment perçu comme un signe d’addiction. Une des choses les plus difficiles pour les hommes qui sont tombés dans la méthamphétamine et tentent de s’en sortir c’est de rétablir une sexualité qui ne s’appuie pas sur la drogue et d’arriver à accepter de reprendre du poids. Car cette prise de poids s’accompagne souvent d’un sentiment de malaise et constitue un facteur certain de rechute si les patients craignent alors de ne plus plaire aux autres hommes.»

Mais cette pression du paraître et de la bonne santé n’est pas la seule explication à la prégnance des troubles du comportement alimentaire au sein de la communauté LGBTQ.

«Mes troubles du comportement alimentaire sont intrinsèquement liés à mon identité de trans. Je portais des vêtements d’homme quand j’étais au collège et au lycée, mais mon bac en poche, je me suis dit qu’il fallait que je fasse mon entrée dans l’âge adulte d’une manière plus féminine», me dit un homme trans, qui demande à être appelé Isaac. «Les restrictions ont commencé au bout de quelques mois passés à porter des habits de femmes, et peut-être plutôt au bout de quelques semaines. Je n’avais jamais fait le lien entre les deux, mais avec le recul, c’est totalement évident. Ma peur de prendre du poids n’était liée qu’au fait que je ne voulais pas avoir des hanches plus larges et des seins plus gros et à chaque fois que j’avais le sentiment de prendre de ce côté-là, je m’affamais.»

À une période où les personnes LGBTQ sont à la fois plus visibles et mieux acceptées au sein de la société américaine, ce sentiment de honte et d’isolement que Miller identifie comme un déclencheur pour ses troubles du comportement alimentaire pourrait s’amenuiser pour les nouvelles générations de minorités sexuelles et de genre. Mais il voit d’autres attitudes dangereuses perdurer.

«J’ai parfois l’impression d’avoir 600 ans, parce que quand je suis sorti du placard, il n’y avait pas internet, pas de séries avec des personnages homosexuels, et en cours de biologie on nous racontait que le sexe entre personnes homosexuelles menait droit à une mort immédiate et douloureuse du Sida», dit-il. (En vrai: il a 39 ans.) «Mais cela ne signifie pas pour autant qu’en cette nouvelle ère mieux informée, les choses vont pour le mieux. Les hommes homosexuels sont toujours plus exposés à cette représentation aussi délirante qu’irréaliste de ce que doit être un beau mec que le reste de l’Amérique.»

La pression des Instagays

Les réseaux sociaux contribuent à diffuser cette image de la perfection physique. Les utilisateurs d’Instagram ont peut-être déjà entendu parler de ces «Instagays», des hommes incroyablement beaux qui passent leurs journées à poster des photos aussi mises en scène qu’immaculées de leurs corps sans défauts pour que chacun puisse  en profiter. (Voilà bien une des ironies dont la pop culture à le secret: que Netflix choisisse Antoni Porowski, sorte d’apothéose de l’Instagay comme expert en vin et cuisine de la nouvelle édition de Queer Eye. Porowski est un tel exemple du spécimen zéro défauts que je me demande sincèrement comment il fait pour avoir une quelconque connaissance dans ses deux spécialités putatives.)

 

Hello from your favorite. @lislerichards

Une publication partagée par Antoni Porowski (@antoni) le

 

«J’ai entendu tant de personnes, et surtout des hommes, dire à quel point les réseaux sociaux jouent un rôle de premier plan dans l’image qu’ils ont d’eux-mêmes, dit Nesselle. Ils utilisent souvent ce qu’ils peuvent poster sur Facebook ou Instagram ou ce qu’ils voient sur ces réseaux comme point de repère pour se situer.»

Aucun facteur unique ne saurait expliquer à lui seul pourquoi une communauté aussi variée que celle des LGBTQ est à ce point en proie aux troubles du comportement alimentaire. Certaines pressions sociales sont peut-être plus fortes. Mais ces nouvelles études ont au moins le mérite de mettre en lumière un problème qui est trop rarement évoqué. Ceux d’entre nous qui sont en charge des soins physiques ou mentaux des minorités sexuelles ou de genre doivent prêter attention aux problèmes de ce genre qui peuvent affecter leurs patients. Et toutes les personnes LGBTQ devraient penser à questionner ce que nous exigeons des autres et de nous-mêmes.

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