Monde

La Chine est irresponsable

Seconde partie de l'article sur la guerre économique contre la Chine.

Temps de lecture: 5 minutes

Seconde partie de l'article sur la guerre économique entre la Chine et les pays occidentaux. La première partie de l'article d'Eric Le Boucher se trouve ici.

Ce week-end là, les 28 et 29 novembre, Jean-Claude Trichet, président de la Banque centrale européenne (BCE), Jean-Claude Junker, président de l'Eurogroupe, et Joaquin Almunia, commissaire européen aux Affaires économiques et monétaires comprennent qu'ils ne pèsent plus rien. Les trois autorités européennes sont venues à Nankin dire leur conviction que le yuan doit être décroché du dollar américain et réévalué. Le Premier ministre chinois, Wen Jiabao, les reçoit à peine et publie immédiatement un communiqué agressif: les Européens sont venus «affaiblir l'économie chinoise». Pour la délégation, c'est l'humiliation. Quinze jours plus tôt, Barack Obama avait essuyé le même refus à la même demande. Mais avec les Européens, les Chinois ne mettent même plus les formes.

La Chine sort de la crise renforcée par l'échec du «modèle occidental» (lire La guerre économique est déclarée). Elle est devenue le seul moteur vaillant de l'économie mondiale. Elle est plus que jamais le pôle central de l'Asie. Mais au lieu de prendre sa place légitime dans le concert des nations, la Chine continue de jouer en solitaire, pour son seul intérêt, sans aucune préoccupation multilatérale. La troisième puissance économique mondiale, grande bénéficiaire de la mondialisation, refuse de voir que sa politique concerne désormais le monde entier. Jamais en 2000 ans, l'Empire n'a eu de colonie ni de politique étrangère. La Chine au «Milieu du monde» se suffisait à elle-même. Au XXIe siècle pourtant, il lui faudra affronter les conséquences de son importance retrouvée. Le monde est ouvert, interpénétré, chaque région est dépendante des autres. Il faudrait vite que les autorités chinoises s'en aperçoivent et renoncent à leur bel isolement.

Hélas, comme en témoigne la politique monétaire, elles sont tentées de prendre le chemin opposé, de se raidir et de dénoncer les «pressions» occidentales, comme celles de Jean-Claude Trichet, pour s'enfermer sur une vision uniquement «chinoise». Le risque que porte aujourd'hui cette attitude est lourd, c'est celui d'une guerre monétaire et économique et d'une fin de la mondialisation.

Point de bascule

Il n'y a pas que le yuan sur lequel Pékin se cabre. Les attaques contre le site google.cn pour y espionner les dissidents sont observées avec inquiétude à Washington. A Copenhague aussi les représentants chinois ont très mal pris les «pressions» pour leur faire faire des promesses chiffrées de réduction de CO². Sur beaucoup d'autres sujets, les discussions avec l'administration Obama marquent le pas ces derniers mois. Sur l'Iran, sur Taïwan, sur le Tibet, le pouvoir semble de plus en plus excédé par les demandes du G7. Comme le résume Nicholas Lardy, expert de la Chine au Peterson Institute for International Economics de Washington (PIIE), «nous sommes à un point de bascule où ceux qui ont pensé que la Chine pouvait s'intégrer dans le système international et y jouer un rôle positif rencontrent de plus en plus de difficultés à plaider leur cause » (cité par Geoff Dyer, Financial Times du 15 janvier).

Le yuan est au centre de la nouvelle attitude chinoise et, avec raison, au centre des préoccupations occidentales. Il y a sept mois, pour lutter contre la crise, la Banque centrale chinoise a recollé le yuan au dollar (les économistes parlent de «peg»). Il s'agissait de s'assurer que la compétitivité des produits «made in China» ne serait pas affaiblie. Au total, le yuan a glissé avec la monnaie américaine et a perdu 12% face à l'euro. Or, depuis, la croissance est revenue à 10% mais Pékin refuse de réévaluer. Le yuan faible cause pourtant beaucoup de problèmes ailleurs: en Europe, bien entendu, mais aussi dans les autres pays asiatiques ou en Amérique latine. Le Mexique et le Brésil sont les plus touchés.

Mais il y a plus. En conservant un yuan sous-évalué (de sans doute 30%), la Chine s'est remise sur la courbe de hausse de ses excédents commerciaux. Sa stratégie reste l'export, le mercantilisme. Les conséquences économiques sont doubles. Un, les réserves chinoises de change ont grossit encore de 453 milliards de dollars en 2009, pour atteindre la somme astronomique de 2 400 milliards. Cet argent s'ajoute aux investissements étrangers jusqu'à l'excès. La Chine a aujourd'hui trop de liquidités, ce qui crée des bulles spéculatives, sur les prix des logements et sur les actifs financiers. Ce trop d'argent brûle les doigts des responsables monétaires et met en cause la stabilité. Deux, le «Grand déséquilibre» des flux mondiaux d'épargne entre les Etats-Unis et la Chine, perdure malgré la crise, au lieu de se résorber. «La reprise mondiale reste menacée car bancale», déplore Olivier Blanchard, l'économiste en chef du FMI (Fonds monétaire international). Voilà pourquoi le yuan est une préoccupation légitime de tous: non seulement le yuan étouffe une partie des autres pays développés et émergents, mais il «plombe» l'économie globale.

Dépendance

La conséquence est que la Chine n'est pas si «autonome» qu'elle le croit. Elle dépend encore des autres. Une moitié de ses exportations part à destination de l'Europe et de l'Amérique. Le consommateur du G7 est encore celui qui fait l'enrichissement chinois. Les raisonnements tenus dans la Cité interdite sur «un découplage» de la Chine et même de l'Asie sont faux. La réalité est que les trois grandes zones, Amérique, Europe, Asie, sont étroitement liées d'un point de vue monétaire comme d'un point de vue économique.

Réévaluer sa monnaie, augmenter le pouvoir d'achat des salariés, bâtir des systèmes de sécurité sociale et de retraite pour que les ménages chinois épargnent moins: la correction de la trajectoire économique de l'Empire est connue, y compris des autorités de Pékin. Mais la divergence vient de l'intensité et de la vitesse de cette nécessaire inflexion. Pékin veut prendre son temps, et profiter le plus possible du mercantilisme et du yuan sous-évalué, le G7 dit qu'il y a urgence.

Pourquoi urgence? Pour consolider la reprise, comme le dit Olivier Blanchard, mais aussi parce qu'en Occident, les opinions se retournent. Celle de Google suivi par la plupart des chefs d'entreprises européens et américains excédés par les «conditions chinoises» imposées à leur business. Celle des opinions publiques qui s'inquiètent pour l'emploi. La Chine, après avoir aspiré les productions industrielles sur son territoire, est en passe de s'imposer dans les secteurs de haute technologie. Que restera-t-il en France, en Europe, en Amérique ?

L'économiste Patrick Artus s'est livré à des calculs refroidissants («La Chine accroît-elle ou réduit-elle la croissance de la zone euro?» Flash, 15 janvier, Natixis). Les effets positifs de la puissance chinoise existent: le marché de 1,3 milliard de consommateurs offre de beaux débouchés, la faiblesse des prix des produits chinois diminue l'inflation, donc augmente le pouvoir d'achat au sein du G7, les liquidités abondantes de la Banque centrale chinoise abaissent partout le coût de l'argent. Mais il est aussi des effets négatifs: les entreprises chinoises prennent des marchés aux européennes, des millions d'emplois sont délocalisés et une pression pèse sur les salaires, les prix des matières premières, enfin, sont poussées à la hausse. Quel est le bilan?

Il y a encore trois ans, personne n'aurait douté d'une réponse positive, très positive même. Or, pour Artus, «au total les effets négatifs l'emportent, la zone euro profite peu de la reprise en Chine et l'effet désinflationniste est limité». Si le pétrole et les autres matières premières grimpent encore, le bilan global s'aggravera de façon «importante». Les opinions publiques sauront s'en apercevoir. Elles exigeront des mesures protectionnistes. La Chine, première bénéficiaire de la mondialisation rappelons-le, joue très gros. Ou elle prend ses responsabilités ou les gouvernements du G7 seront poussés par une sinophobie irrésistible à prendre les leurs.

Eric Le Boucher

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Image de Une: Le siège de Google à Pékin

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