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Comment travaillent les journalistes en Haïti

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Quelques heures après le séisme, des équipes de journalistes du monde entier ont afflué vers Haïti pour «couvrir» l'événement. En avion avec une ONG ou un ministre, en bateau... tous les moyens sont bons pour parvenir sur les lieux de la catastrophe — un pays d'une pauvreté extrême aux infrastructures totalement détruites — et témoigner. Comment les journalistes travaillent-ils dans ces conditions?

PORT-AU-PRINCE, HAÏTI - Des campings de presse. Du jamais vu. Pour couvrir l'actualité du séisme qui a ravagé la capitale haïtienne le 12 janvier, les journalistes ont établi leur camp de base sur les pelouses de la résidence de l'ambassadeur de France et de la Villa créole, un hôtel détruit, bordées de grilles et sévèrement gardés par des militaires. La situation des journalistes et autres travailleurs de l'info qui campent depuis bientôt une semaine n'est évidemment rien comparé à ce qui se passe de l'autre côté des hauts grillages protégés. Les journalistes dorment par terre et sont au régime forcé, mais les victimes du séisme, ces millions d'Haïtiens qui sont les sujets de nos reportages, vivent une catastrophe d'une telle ampleur, qu'il est interdit de comparer.

Exit le confort des chambres de l'hôtel Palestine en Irak ou du Serena en Afghanistan, ici qu'on soit Le Monde ou personne, c'est belle étoile pour tous. C'est ainsi que Jean-Paul Mari, grand reporter au Nouvel Observateur, dort à même le sol, au bord de la piscine de la Villa créole et que Radio-France a élu domicile sous une bâche en plastique accrochée entre deux arbres du jardin de la Résidence de l'ambassadeur.

Les équipes de BFM et RMC ont installé leurs couvertures, échangées contre des minutes de communication satellite avec les pompiers, sur 10 mètres carrés de gazon de la Résidence de l'ambassadeur. «Je vais aux toilettes dans un trou (plusieurs trous ont été creusés dans un coin du jardin de la résidence de l'ambassadeur pour permettre aux journalistes et aux secouristes de faire leurs besoins), je me douche à la lingette», raconte Yann, reporter à RMC. Les journalistes peinent aussi à manger.

«Heureusement», ils ont pu se procurer des boîtes de thon et de maïs grâce à un convoi en provenance de Saint-Domingue. «On alterne, c'est un jour thon, un jour maïs.» Sur les deux «campings de presse» (Villa Créole et résidence de l'ambassadeur), quelques repas de fortune sont servis (menu de dimanche soir: mélange de riz et haricots rouge, petit déjeuner de lundi: ananas et melon coupés et tranche de pain); quand les reporters n'arrivent pas pour le service, c'est terminé. Et c'est souvent le cas. Tenus par les horaires de bouclages des quotidiens et hebdomadaires, les directs radio et télé ou simplement sur le terrain, en reportage, les petites et moins petites mains de l'actu font ceinture.

Le défi de rejoindre Haïti

Et encore, par chance, les journalistes de RMC, arrivés avec le vol du ministre de la Coopération, n'ont pas eu à affronter les journées de galère pour rejoindre la capitale dévastée. Car c'est, pour la majorité d'entre eux, après plusieurs jours de demandes aux services de presse des ONG, de listes d'attente interminables de l'armée, de traversée de la jungle en taxis collectifs ou avec les convois de l'ONU que les travailleurs de l'info ont pu commencer à envoyer les articles. C'est ainsi qu'un des grands reporters de France-Info, son technicien et un des journalistes de l'AFP sont restés bloqués à Fort-de-France, en Martinique, pendant plusieurs jours.

Accrochés à leurs téléphones portables, les journalistes attendaient le coup de fil de la préfecture qui leur permettrait de grimper dans un avion militaire. Il faut dire que la destruction de la tour de contrôle de l'aéroport de Port-au-Prince oblige les pilotes à atterrir à vue depuis plusieurs jours. La priorité étant logiquement donnée aux avions humanitaires et militaires pour l'assistance aux victimes, l'ensemble de vols commerciaux ont été annulés et... les journalistes ont dû aviser. Fort-de-France, Point-à-Pitre, Saint-Martin, Saint-Domingue, tous les itinéraires sont bons pour rejoindre la capitale haïtienne. Bateaux, avions et hélicoptères militaires ou humanitaires, taxis, convois blindés divers et variés, aussi, tous les moyens de transports sont empruntés, du moment qu'on les laisse travailler.

Mais le plus difficile pour les journalistes est de faire parvenir les milliers de photographies, d'images, de sons, de textes qui partent chaque jour d'Haïti. Ici, aucun réseau téléphonique, ou presque, ne passe. A moins d'avoir un téléphone satellite, impossible de communiquer avec la rédaction en chef à Paris, ni de dicter ses papiers, impossible aussi de communiquer sur place avec les confrères mais aussi les témoins, fixeurs, taxis et autres interlocuteurs habituels.

Quant à Internet, c'est le combat quotidien des producteurs de l'info dépourvus de valises ou de camions satellite. Dans des situations comme celle-là, c'est la solidarité qui prime. Il faut être stupide pour jouer la concurrence, explique mon confrère de RMC, «parce qu'un jour au l'autre tu auras besoin des confrères. Il y a donc moyen de s'arranger avec les gros. Ceux qui ont des voitures, des satellites et qui veulent bien prêter aux plus petits». Et c'est d'ailleurs avec inquiétude, que j'écris cet article en ce moment, sans savoir comment je vais l'envoyer...

Rumeurs sur la sécurité

Enfin, la sécurité est au premier rang de nos préoccupations. «A ma connaissance, personne ne sort seul, on part tous ensemble et même quelque fois avec les radios concurrentes», explique Yann. Il faut dire qu'à Port-au-Prince, les rumeurs, plus ou moins sérieuses, vont bon train. Un tel s'est fait interpellé alors qu'il sortait sa bouteille d'eau dans la rue, un autre a assisté à une scène de pillage lors d'une distribution alimentaire, etc. Personne ne prend de risque et rares sont ceux qui sortent sans véhicule ou non accompagnés.

D'ailleurs, le transport des centaines de journalistes est devenu en quelques jours un commerce fructueux pour les chauffeurs haïtiens qui dorment littéralement devant les campings de presse. Retour à la résidence de l'ambassadeur où Jean-Claude Coutausse, photographe pour Le Monde, 25 reportages en Haïti à son actif, squatte aussi. Etrangement, pour lui, «il est beaucoup plus facile de travailler depuis le tremblement de terre». «D'habitude, quand tu bosses, les Haïtiens sont toujours sur ton dos, ils te demandent de l'argent, ils veulent te donner leur avis sur ton travail», commente-t-il. Et de conclure: «Aujourd'hui, les Haïtiens se laissent faire parce qu'ils sont à terre.»

Leila Minano/Youpress

A lire aussi, chez nos confrères québécois du Devoir, un point de vue sur «Haïti, le défi médiatique».

Image de une: un système de chargeurs de téléphones à l'heure, le 17 janvier à Port-au-Prince. REUTERS/Eduardo Muno

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