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On connaissait la «fashionista» (comprendre, l'archétype de la modeuse capable de poireauter des heures sur un trottoir, façon arrivage de sucre dans un magasin d'Etat sous l'ère soviétique, pour ne pas rater des soldes de presse, et qui vérifie sur son iPhone la date des prochaines collections de TopShop et de H&M). Et aussi la «foodista», son alter ego culinaire, qui collectionne les gadgets et les livres de recettes comme d'autres collectionnent les nains de jardin.
Crise oblige, la «recessionista» a récemment fait son apparition, soucieuse de son budget et même de la planète (de là à en faire une adepte de la décroissance, faut quand même pas exagérer). A chaque «ista» ses «dix commandements», ses «50 indispensables» de la saison, et autres préceptes régulièrement dictés par la presse, notamment féminine. Bref, l'idiome en «ista» est un bon filon. N'empêche. Samedi matin, alors que je feuilletais ELLE au p'tit déj, j'ai bien failli recracher mon café au lait de surprise. Entre deux dossiers de «fond» - «comment rester sexy en hiver» et «cuisiner asiatique c'est facile» - je tombe sur cette invitation hallucinante: «Soins, épilations, secrets pros. On vous dit tout pour devenir une vraie foufounista».
Heu, foufounista comme ... foufoune? Question totalement superflue j'en conviens, d'autant qu'une toison soigneusement épilée venait illustrer fort à propos ladite expression, à mettre sur le compte de l'incrédulité. Une incrédulité non pas liée au fait qu'un magazine évoque l'épilation du maillot. Je suis une pintade, je sais bien que la mort du poil est tendance depuis quelques années, et ce n'est d'ailleurs pas la première fois que ELLE consacre un papier au phénomène. Le sujet est vendeur comme on dit (je n'ai pas pu m'empêcher de relever la promptitude avec laquelle les patrons de Slate ont répondu à ma proposition d'article...).
Mon incrédulité vient du terme «foufounista». Et du nouveau diktat qu'il entérine. Si je comprends bien ces 8 pages de leçon magistrale, dont l'esthétique porno soft ne vous aura pas échappé avec les photos pleine page de toisons taillées (une amie à l'oeil aiguisé a même cru déceler une «perruque pubienne» sur l'une des mannequins), désormais, être adepte du naturel classe immédiatement dans la catégorie «féministe hirsute» et conduit tout droit au désert sexuel. Les témoignages masculins recueillis par le journal sont quasi unanimes (moins une voix) pour dire que leur libido est inversement proportionnelle à la taille de la touffe pileuse de leur partenaire. «Seule une pilosité très maîtrisée peut rimer avec sexualité» explique Jean-Charles, 36 ans.
Jean-Charles va-t-il jusqu'à donner des conseils aux femmes qu'il rencontre? Sinon, elles peuvent toujours suivre ceux de ELLE, «trois conseils pour bien cultiver son jardin secret»: égaliser le buisson, lustrer la fibre et éliminer les mauvaises herbes. Sans oublier, comme pour toute «ista» qui se respecte, la shopping list de la «parfaite foufounista», un peu de parfum Nude Stella McCartney à vaporiser sur sa petite culotte histoire de chasser les mauvaises odeurs ou encore du pigment pour colorer son gazon.
Lissons, aseptisons, uniformisons! Après les jambes, les aisselles, les sourcils, c'est donc au tour de notre pubis de se mettre au service des «control freaks». Il y a des jours où l'on se sentirait presque hippie (pas de là à avoir du poil aux pattes quand même), ne serait-ce que pour revendiquer la liberté d'échapper au contrôle obsessionnel du corps.
Cire chaude, cire froide, cire traditionnelle, cire jetable, caramel, laser, lumière pulsée, rasoirs, crèmes dépilatoires: en France, l'épilation est un marché qui se porte de mieux en mieux. Se faire tailler un petit coeur à la place d'un buisson ardent pour fêter la Saint-Valentin, tatouer un papillon ou coller des strasses sur un pubis lisse, est devenu banal, en tout cas pour les jeunes. D'après un sondage Ipsos réalisé en 2006, les trois quarts des Françaises de moins de 26 ans s'épilent le maillot (contre seulement une sur deux chez les plus âgées). Ca n'en fait pas toutes des adeptes de l'épilation intégrale mais pas loin à écouter les esthéticiennes qui déplorent l'influence du porno dans l'évolution récente de la touffe pileuse. On en connaît qui refusent de se plier au diktat et qui font de la résistance: «Quand elles me demandent de tout enlever, je refuse. C'est simple, je leur dis tout net. Pas question. Non, vous comprenez, elles le font pour faire plaisir à leur petit ami. Ça fait petite fille pré-pubère. C'est de la perversité. Moi, je veux bien faire les côtés, mais je laisse le ticket de métro.» nous confiait Martine, esthéticienne chevronnée dans son salon de quartier du quart nord-est parisien, à l'époque où nous n'hésitions pas à payer de notre personne pour les besoins de la cause plumée (et non poilue), à savoir l'enquête du livre Une vie de Pintade à Paris.
Contrairement à ce que pourrait laisser penser Martine, les femmes qui demandent l'épilation intégrale ne sont pas toutes adeptes, ou maquées avec des adeptes, de l'acomoclitisme, ces fétichistes sexuels excités par des pubis glabres. Longtemps réservé aux actrices de porno et aux nageuses olympiques, les épilations intégrales à la Full Monty et les tickets de métro riquiqui (un bon schéma valant souvent mieux qu'un long discours, pour comprendre les subtilités des sculptures pileuses, c'est ici) sont de plus en plus adoptés. Pour des raisons d'hygiène, d'esthétique, et aussi, c'est vrai, pour faire plaisir à son jules.
En France, la traque du poil intime est relativement récente. Mais dans de nombreuses régions du monde, l'épilation est culturelle et ancestrale. Dans les pays arabes, où le poil est depuis toujours symbole d'impureté (dans l'Egypte ancienne, les reines et leurs servantes s'épilaient déjà des aisselles au pubis). Au Japon, où montrer des poils pubiens est prohibé, ou à Rio, où pour pouvoir porter un «fio dental» («fil dentaire», le surnom local du string), sur les plages de Copacabana et d'Ipanema, il faut d'abord laisser sa pudeur accrochée au vestiaire des salons de depilaçao que l'on trouve à chaque coin de rue, et grogner de douleur à chaque bandelette de cire retirée par des esthéticiennes au sourire impassible. Des traditions qui concernent aussi bien les femmes que les hommes, l'épilation des testicules et de l'anus y étant largement répandue.
D'ailleurs, les hommes occidentaux commencent aussi à avoir la pression. En témoignent ces publicités américaines, l'une pour Gillette
l'autre pour Nivéa
Elles laissent supposer qu'un homme totalement imberbe est un homme sexuellement plus performant. Un avis sur la question?
Que ceux qui craignent une uniformisation de plus se consolent en matant l'exposition Culture Touf, «un projet participatif où chacun(e) est invité(e) à se prendre en photo en cadrant au plus près de ses poils pubiens», imaginé par le collectif UrbanPorn et dont on peut voir quelques contributions ici. Vive la diversité!
Laure Watrin
Image de Une: Image de Une Flickr CC Galerie de Ende