Santé / Sciences

«Depuis deux mois, c’est systématique, on se pécho à chaque soirée»

[C'est compliqué] Cette semaine, Lucile conseille Marika, une jeune femme qui s'était promis de ne pas flirter avec l'une ou l'un des membres de son groupe d'amis, mais qui entretient malgré tout un lien récurrent et pas clairement défini avec l'une des filles de la bande.

<a href="https://en.wikipedia.org/wiki/Idle_Woman#/media/File:Daniel_Hern%C3%A1ndez_Morillo_-_Perezosa_(Idle_Woman)_-_Google_Art_Project.jpg">«La Perezosa»</a> | Daniel Hernández Morillo via Wikimedia Commons <a href="https://commons.wikimedia.org/wiki/File:Daniel_Hern%C3%A1ndez_Morillo_-_Perezosa_(Idle_Woman)_-_Google_Art_Project.jpg">License by</a>
«La Perezosa» | Daniel Hernández Morillo via Wikimedia Commons License by

Temps de lecture: 4 minutes

«C’est compliqué» est une sorte de courrier du cœur moderne dans lequel vous racontez vos histoires –dans toute leur complexité– et où une chroniqueuse vous répond. Cette chroniqueuse, c’est Lucile Bellan. Elle est journaliste: ni psy, ni médecin, ni gourou. Elle avait simplement envie de parler de vos problèmes. Si vous voulez lui envoyer vos histoires, vous pouvez écrire à cette adresse: [email protected].

Vous pouvez aussi laisser votre message sur notre boîte vocale en appelant au 07 61 76 74 01 ou par Whatsapp au même numéro. Lucile vous répondra prochainement dans «C'est compliqué, le podcast».

Et pour retrouver les chroniques précédentes, c’est ici.

Chère Lucile,

Nous sommes un groupe d’amis d’une dizaine de personnes, assez fusionnel, tous dans les 25 ans. Nous sommes un peu tout le temps ensemble (mêmes études, etc.). Parfois, inévitablement, il y a de la tension sexuelle ou amoureuse entre nous; je sais que je plais à certains mecs du groupe, que Laura ne dirait pas non à Jean (pas leurs vrais prénoms, personne ne se reconnaîtra), etc. Peut-être que ces attirances sont aussi un peu dues à l’ennui: nous sommes tous dans le même master, il est petit, nous nous voyons tous les jours, donc forcément au bout d’un moment... Enfin bref, toujours est-il qu’il ne s’est jamais rien passé entre nous. Il y a comme une règle tacite –la fameuse «bros before hoes»– jamais énoncée avec tout le groupe, mais j’en ai déjà parlé avec certains et tous sont d’accord: il ne doit rien se passer qui risque de perturber l’équilibre de notre groupe d’amis. Notre amitié passe avant tout. Des histoires de coeur ou de cul entre dérangeraient notre belle dynamique plus qu’autre chose (je suis assez d’accord avec ça, en plus).

Mais voilà: Éléonore. La meuf hétéro parfois un peu clichée (moi je suis la super bi). Depuis deux mois, c’est systématique, on se pécho à chaque soirée; et c’est elle qui fait le premier pas! Au début c’était rigolo (les autres ne le prenaient pas au sérieux, entre meufs t’as toujours cette image qui m’énerve: «mais c’est pas sérieux c’est deux filles c’est pour rire»), mais je sais que quelques personnes du groupe sont un peu jalouses, et je crois bien qu’on est en train de perturber la règle du groupe d’amis... Quant à elle, Éléonore, elle est en mode «c’est pas sérieux», tout en faisant des remarques devant en moi en mode «j’en ai marre des mecs...» 

Je n’arrive pas à savoir si elle joue ou pas (à 25 piges pourtant, je me croyais loin des crush sur les amies hétéros, on dirait que je suis de retour au lycée).

Ainsi, dois-je foncer et casser l’équilibre du groupe? Dois-je la laisser prendre les devants? Dois-je me rétracter? Je commence à en avoir marre d’être le running gag des lendemains de soirée: «Ah, ah, Marika et Élé se sont encore pécho»... Et je suis un peu déçue de ne pas être capable de maintenir ma belle utopie amicale.

Marika

Chère Marika,

C’est beau, cette histoire de groupe. Il y a quelques années, j’ai été dans un groupe d’amis aussi. Avec des membres inséparables pendant le lycée et les quelques années qui ont suivi, avant que tous ne se rendent compte qu’on avait grandi, et pas de la même manière.

Je crois pourtant aux belles histoires d’amitié. Aux bandes comme une seconde famille qui apportent réconfort et soutien. Seulement je suis aussi convaincue qu’un groupe d’amis, ça ne se protège pas. Dans le sens où il me parait absurde de vouloir se protéger de la vie et de ses bouleversements à tout prix. Le groupe deviendrait alors une prison où le moindre frémissement serait vu comme un danger. Dans la vie, les gens perdent leur emploi, en trouvent, voyagent, se mettent en couple et se séparent, font des bébés, déménagent. Autant de raisons qui peuvent faire éclater un groupe d’amis… ou le rendre plus fort. Vouloir à tout prix se préserver des coucheries et éventuelles histoires d’amour me paraît illusoire. Et les frustrations qui en résultent pourraient aussi plomber la bonne ambiance.

Dans la majorité des groupes que j’ai pu fréquenter, une certaine tension sexuelle existait ou avait existé. Dans certains cas les passages à l’acte faisaient un peu partie de la légende du groupe, on en parlait que pendant les soirées alcoolisées sans dramatiser. Dans d’autres, la tension larvée était une source d’agressivité qui s'échappait parfois quand on s’y attendait le moins. Un groupe, c’est une dynamique, et donc par définition tout sauf une situation gravée dans le marbre, où chaque membre aurait sa place pour toute la vie. Vous comprendrez Marika, que je ne suis pas pour qu’on s’empêche de vivre pour préserver une entité à plusieurs têtes –dont le but premier est d’accompagner ses membres, pas de les enfermer.

Dans un deuxième temps, il me semble très important de discuter de votre situation avec Éléonore. On sait bien toutes les deux que la bisexualité n’est pas une blague ou une passade. Et cette orientation sexuelle ne justifie en aucun cas de devenir le professeur ou objet de test des femmes hétérosexuelles curieuses ou en mal de sensations fortes. Non, ce n’est pas «moins sérieux avec les femmes», comme vous le dites si bien.

Si Éléonore vous intéresse au point d’y réfléchir sérieusement, au point de m’écrire finalement, alors vous devriez en parler avec elle. Une discussion d’adultes, entre deux amies, où chacune vient dire où elle en est et ce qu’elle attend. C’est ça aussi, le groupe. C’est le respect de l’autre, c’est le dialogue, c’est la capacité à prendre les choses avec légèreté mais aussi un peu de sérieux si c’est nécessaire. Rien ne viendra casser ici votre «utopie amicale». En ouvrant votre coeur, en demandant à Éléonore de se décider sur la nature de votre relation et donc de vous respecter, vous ne risquez que de renforcer ces liens d’amitié… ou d’en créer d’autres d’une autre nature.

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