Temps de lecture: 2 minutes - Repéré sur Quartz at work
Au travail, il y a rarement du gazon pour s'assurer que l'herbe est bien plus verte sur le carré du collègue. La jalousie ou le sentiment d'injustice ne désertent pas les offices pour autant: untel qui partira gaiement en pause déjeuner quand on restera coincé à bûcher sur un problème urgent, untel qui gagnera une promotion alors que nous stagnons toujours au même poste, untel dont le travail n'est, quand même, pas si compliqué que ça, quand nous déployons de notre côté des efforts titanesques... Bref, nous sommes prompts à développer des humeurs bilieuses ou atrabilaires, en se concentrant sur les aspects les plus négatifs de notre quotidien et les épreuves que nous avons, nous et nous seuls, à surmonter.
Le phénomène de l'asymétrie des vents contraires
C'est ce que Shai Davidai et Thomas Gilovich, deux chercheurs en psychologie de la Nouvelle école de recherche sociale et de l'université Cornell ont appelé le phénomène de «l'asymétrie des vents contraires». Pour l'illustrer, ils utilisent l'image d'un coureur de fond ou d'un cycliste: lorsqu'ils ont un obstacle à surmonter ou un mauvais vent de face, leurs esprits sont naturellement plus enclins à y prêter attention.
«Les forces qui travaillent en leur faveur, les vents arrière qu'ils ont vécu plus tôt, sont facilement oubliés ou minimisés, parce que tout cela a été fait pour faciliter la course. Il n'y avait aucune menace là-bas», résume Quartz.
C'est cette obsession du vent contraire qui prédomine lorsque nous évaluons notre vie, et qui ressort d'autant plus à mesure qu'on la compare avec celle des autres. Ce phénomène est à l'œuvre dans un grand nombre de situations, qu'ont exploré les chercheurs: les gens ont souvent tendance à penser que leurs parents étaient plus durs avec eux qu'avec leurs frères et sœurs, les Démocrates comme les Républicains arguent chacun de leur côté que la carte électorale américaine est conçue en leur défaveur... en somme, chacun considère une situation globale à travers un prisme personnel: les conclusions en sont nécessairement infléchies.
Cet aveuglement, ou «piège psychologique», comme le qualifie Quartz, peut constituer un frein au bien-être et mener jusqu'à un «ressentiment corrosif qui peut inciter quelqu'un à se comporter immoralement». Selon Davidai, les gens amers peuvent commencer à tirer sur la corde en s'épargnant certaines tâches, ayant déformé les faits suffisamment pour croire qu'il est dans leur droit d'uniformiser les règles du jeu.
Check your privilege
Pour lutter contre ces penchants, il s'agirait de reconnaître les «vents arrières» de manière délibérée, et aussi détaillée que celle dont nous concevons les vents frontaux:
«Le fait d'être très spécifique à propos des vents arrières peut également contrebalancer le poids des désavantages perçus, que les gens voient en haute définition.»
Ce sont les mêmes logiques qui sont à l'œuvre dans la perception que peuvent avoir certaines populations privilégiées de leurs conditions de vie, en se considérant comme une norme que viennent embarrasser diverses contraintes négatives, sans considérer leur position déjà favorisée. C'est notamment ce biais perceptif que décrit le concept de «privilège blanc», popularisé par Peggy McIntosh en 1988, dans son article «White Privilege and Male Privilege». Dressant une liste –non exhaustive– des privilèges quotidiens et invisibles dont bénéficient les Blancs, elle écrivait:
«Je peux allumer la télévision ou ouvrir la première page d'un journal et voir des gens de ma race largement et positivement représentés.»
Et de fait, c'est à partir de la représentation que se développent nos perceptions. «À l'ère de l'intersectionnalité, nous avons tous des identités complexes, des avantages et des désavantages», concluait Davidai: le temps est venu de remarquer pas seulement les avantages dont bénéficient les autres, mais les siens propres.