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Comment les réseaux sociaux ont permis d'apporter de l'eau au Yémen

L’offensive de la coalition dirigée par l’Arabie Saoudite a causé la «pire crise humanitaire au monde» selon l’ONU. Mais l'action internationale se fait durement attendre. La solution est venue du net.

Six millions de litres d’eau livrés, venant en aide à plus de 30.000 personnes, soit environ 5.000 familles. | Anouar Alhaimi
Six millions de litres d’eau livrés, venant en aide à plus de 30.000 personnes, soit environ 5.000 familles. | Anouar Alhaimi

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«Dans les rues de Sanaa, j’ai vu des gens se battre pour de l’eau.» Ce jour-là, Anouar Alhaimi décide de lancer le hashtag #saqia_1000, ce qui veut dire «1.000 moulins à eau» en arabe. Par l’intermédiaire de sa page Facebook et de son compte Snapchat, le trentenaire alerte sur la grave pénurie en cours: des centaines de réservoirs installés par des organisations humanitaires au Yémen ne sont plus approvisionnés, faute de financement.

L’ONU et des organisations humanitaires internationales demandaient en janvier près de trois milliards de dollars pour leurs opérations dans le pays en 2018. L’année précédente, les bailleurs de fonds n’avaient répondu qu’à hauteur de 70% aux 2,3 milliards de dollars requis.

«Le Yémen est une catastrophe oubliée», déplore Anouar Alhaimi, qui a choisi de s’engager. Il y a six mois, il décide de rentrer au pays après six années passées à l’étranger: «J’ai ressenti le besoin de faire quelque chose de mes propres mains, surtout pour les jeunes».

En l’espace de seulement deux mois, entre novembre et janvier, sa campagne lui permet de récolter six millions de rials yéménites, soit près de 20.000 euros.

«Quasiment aucune organisation humanitaire n’intervient dans les banlieues de Sanaa»

Dans les banlieues pauvres de Sanaa, 1.000 réservoirs sont inspectés et remplis au cours de cette première campagne. Six millions de litres d’eau sont livrés, venant en aide à plus de 30.000 personnes, soit environ 5.000 familles, selon le décompte réalisé par Anouar Alhaimi: «Quasiment aucune organisation humanitaire n’intervient dans les banlieues de Sanaa et ces quartiers n’ont pas accès aux services publics élémentaires», explique-t-il.

Des enfants approvisionnent leurs jerricans. | Anouar Alhaimi

Ingénieur dans l’aviation civile et propriétaire d’un cybercafé, ce père de deux enfants consacre en moyenne deux jours par semaine au projet qu’il a lancé grâce aux réseaux sociaux: 

«Certaines personnes vivent dans le déni et peu de gens s’investissent dans des actions caritatives, constate-t-il. J’ai la capacité d’agir, j’ai considéré que c’était un devoir de passer à l’action, pour peut-être inspirer d’autres personnes.»

Depuis le début du conflit, le choléra a tué plus de 2.000 personnes

Après trois années d’une campagne menée par la coalition arabe sous l’égide saoudienne, le Yémen est à l’agonie: 10.000 civils tués, 2,4 millions de déplacés à l’intérieur du pays, sept millions de personnes au bord de la famine. Les Nations unies qualifient le drame en cours de «pire crise humanitaire au monde» et pourtant, le sursaut auquel appellent les ONG internationales se fait toujours attendre.

«Je ne veux pas me demander pourquoi on ne nous vient pas en aide, dit Anouar Alhaimi. Je pense simplement à comment, à mon niveau, je peux aider.»

En distribuant de l’eau, l’activiste et d’autres jeunes mobilisés sensibilisent aussi les habitants aux règles d’hygiène et s’attaquent ainsi à un autre fléau qui frappe le Yémen: «Certaines personnes jettent leurs déchets à proximité des réservoirs. Nous les informons sur les risques et nous tentons de changer les jerricans qu’ils utilisent, car ils peuvent devenir toxiques et transporter des maladies, comme le choléra.»

Depuis le début du conflit, le choléra a tué plus de 2.000 personnes et l’épidémie pourrait s’intensifier, ainsi que d’autres maladies d’origine hydrique comme la diphtérie, alors que la saison des pluie approche. Selon le Comité international de la Croix-Rouge, jusqu’à un million de personnes atteintes de diarrhées pourraient être contaminées par la bactérie.

Alors que 90% de la population est approvisionnée en eau par camions, la distribution est affectée par la flambée des prix causée par les restrictions sur les importations imposées par l’Arabie Saoudite.

«Quand le prix des carburants augmente, le prix de l’eau augmente aussi, et cela a un impact direct sur la santé des individus», explique Justin Armstrong, le chef de la mission de Médecins sans frontières au Yémen.

Pour les Yéménites expatriés ou en exil, les réseaux sociaux représentent un lien avec leur terre d’origine

Heureuseument, Anouar Alhaimi est là. Et il n'est pas tout seul. Avec quelques amis, ils organisent des distributions de nourriture et de couvertures pendant l’hiver. Il leur arrive aussi de récolter des fonds pour payer un loyer.

«Beaucoup de gens me suivent sur les réseaux sociaux et cela me permet de parler de cas individuels de Yéménites dans le besoin. Mais nous voulions faire quelque chose de plus grand, alors nous avons commencé à utiliser le hashtag et à le partager sur différents profils.»

La page Facebook d’Anouar Alhaimi affiche plus de 5.400 abonnés.

«Il est très connu parmi les Yéménites parce qu’il donnait des informations sur les cibles visées par les bombardements. Après cela j’ai continué à le suivre pour connaître la situation dans le pays quand les prix ont augmenté», explique Emtenan Al Madwahi, une activiste qui a quitté le Yémen en 2015 et vit aujourd’hui en Égypte.

Pour les Yéménites expatriés ou en exil, les réseaux sociaux représentent un lien essentiel avec leur terre d’origine en proie à la guerre et où les médias ont très peu d’accès.

«Il y a beaucoup de groupes sur Facebook pour les Yéménites, affirme Emtenan Al Madwahi. Cela me donne le sentiment d’être au quotidien en lien avec mon pays. Lorsque je peux faire un don par l’intermédiaire de ces groupes, j’ai l’impression d’être utile, même si c’est une goutte d’eau dans l’océan.»

Pour le projet #saqia_1000, la grande majorité des dons proviennent de Yéménites installés dans des pays du Golfe ou aux États-Unis, qui ont transféré des sommes généralement comprises entre 150 et 200 dollars.

«L’ensemble des fonds que nous avons réunis a été envoyé par des particuliers, des gens qui ont entendu parler de l’initiative, précise Anouar Alhaimi. Lorsqu’un projet de la sorte se lance, cela suscite toujours beaucoup d’engouement.»

Le hashtag a même permis de dépasser l’objectif des 1.000 réservoirs. Grâce à un excédent de trois millions de rials yéménites (environ 10.000 euros), quelques 500 réservoirs supplémentaires ont pu être approvisionnés. Mais ce modèle de financement participatif est instable et pour l’heure, les fonds récoltés ne couvrent pas l’ensemble des opérations prévues pour le mois de mars. Alors que le Yémen entre dans une quatrième année de guerre, les signes d’une fin du conflit semblent toujours loin. Anouar Alhaimi, de son côté, fait des démarches administratives pour transformer son initiative en projet durable.

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