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Comment se fait-il que Trump ne soit pas encore président à vie?

Trump suit les mêmes recettes que d'autres populistes autoritaires à travers le monde. Seulement, il est trop incompétent –pour le moment– pour les mettre en œuvre réellement.

Trump, un mandat, en grande conversation avec Poutine, quatre mandats. | Mikhail Klimentiev / SPUTNIK / AFP
Trump, un mandat, en grande conversation avec Poutine, quatre mandats. | Mikhail Klimentiev / SPUTNIK / AFP

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Une semaine après l'horrible fusillade du lycée Marjory Stoneman Douglas de Parkland, en Floride, qui a fait dix-sept morts et quatorze blessés, Donald Trump admonestait publiquement les membres de son parti:

«La NRA a un énorme pouvoir sur vous. Certains d'entre vous sont même pétrifiés par eux», déclarait-il devant un parterre de Républicains sidérés.

Que le président ait voulu suivre l'opinion publique, plutôt que l'orthodoxie historique de son propre parti sur un sujet aussi sensible... augurait une victoire politique majeure. Si réellement Trump décidait de mettre à profit son statut présidentiel pour trouver un compromis historique sur le contrôle des armes à feu, alors il allait pouvoir, enfin, récolter les fruits d'une promesse faite dès l'annonce de sa candidature: qu'il était un pragmatique n'ayant que les intérêts du peuple en vue, et qu'il n'était redevable à aucune classe politique.

Trump, un populiste qui n'apprend pas

Dans une telle démarche, les électeurs très libéraux ou très engagés politiquement verraient probablement une étrange aberration. Sauf qu'ils sont peu nombreux.

La majorité des Américains –ceux qui n'accordent pas beaucoup d'attention à la politique ou dont les opinions sont idéologiquement floues– pourraient probablement y trouver une raison de tempérer leur hostilité au président. Et si ce résultat en venait à servir de modèle à d'autres compromis similaires, alors les Américains moyens pourraient même se mettre à l'aimer.

De Hugo Chávez au Venezuela à Jaroslaw Kaczyński en Pologne, en passant par Viktor Orbán en Hongrie et Recep Tayyip Erdogan en Turquie, bon nombre de populistes du monde entier ont su rester populaires pendant un laps de temps suffisamment long pour concentrer des pouvoirs considérables entre leurs seules mains. Avec eux, Trump a quelques points communs majeurs. Par exemple, il est passé maître dans la galvanisation de sa base à coup de grandes promesses et de poussées de panique savamment orchestrées.

Orbán en mars 2018 | Attila Kisbenedek STF / AFP

Mais la façon dont Trump diffère de ses homologues populistes est encore plus importante: jusqu'à présent, il a beaucoup moins récompensé sa base par des progrès matériels tangibles. Il a été moins stratégique dans la sape des institutions indépendantes. Et bien moins efficace pour marteler une vision du monde où il se poserait en rempart contre les menaces pesant sur la nation.

Il y a de quoi être optimiste: à moins que Trump ne se mette subitement à apprendre sur le tas –ce qu'il s'est obstinément refusé à faire au cours des dix-huit derniers mois– il est peu probable qu'il marche sur les brisées de Chávez, Kaczyński et consorts.

Trump fait partie de l'élite, mais il la méprise

Presque toujours, le pouvoir de séduction des dirigeants populistes dérive de l'idée qu'ils n'auraient rien en commun avec l'élite traditionnelle. C'est tout bonnement faux: Trump, nous le savons, est né avec une cuillère en argent dans la bouche et des draps en or dans son berceau. Ce n'est pas le seul. Viktor Orbán, le Premier ministre xénophobe de Hongrie, a étudié à l'Université d'Oxford grâce à une bourse de George Soros, un homme qu'il voue désormais aux gémonies comme personne.

C'est une erreur de penser que Trump commet une gaffe involontaire quand il qualifie les Mexicains de «violeurs» ou qu'Orbán dérape lorsqu'il assimile les migrants à du «poison».

Mais malgré leurs relatifs privilèges, il y a une chose qui démarque vraiment Trump et Orbán du reste de l'élite: leur propension à proférer ce que leurs pairs considèrent comme les plus crasses des insanités.

C'est une erreur de penser que Trump commet une gaffe involontaire quand il qualifie les Mexicains de «violeurs» ou qu'Orbán dérape lorsqu'il assimile les migrants à du «poison». Ils n'expriment pas non plus des opinions aussi laides parce qu'ils s'attendent à ce qu'une majorité de la population soit d'accord avec eux. Non, ils entendent choquer leurs camarades de l'élite parce qu'ils savent qu'une telle opprobre servira à démontrer qu'ils sont vraiment des outsiders de la classe politique.

Chance et opportunisme

Trump est passé maître dans cet art de la provocation verbale, et il est impossible d'expliquer son succès sans le comprendre. Lorsque sa sortie sur les «pays de merde» ne s'est pas soldée par un abandon en masse de ses partisans, beaucoup de commentateurs en ont déduit que son opinion devait être largement partagée. La chose est sans doute vraie pour une partie de sa base électorale. Mais en réalité, même si beaucoup de gens ne sont pas d'accord avec lui et ne diraient sans doute jamais une chose pareille en public comme en privé, ils y voient tout de même la preuve de «la sincérité» de Trump.

La fabrique de ce sentiment d'authenticité est le plus gros atout du président. Et il sait peut-être d'ailleurs encore mieux l'exploiter que ses homologues populistes. Mais sur d'autres aspects, heureusement, il n'arrive pas à leurs chevilles.

Si la fortune sourit aux audacieux, comme le professait Machiavel, alors l'esprit de la fâcheuse clique d'imposteurs populistes arrivés au pouvoir ces dernières années est effectivement féroce.

Car la chance n'a pas manqué d'amabilité avec la plupart de ces dirigeants: les premières années, Chávez a côtoyé les cimes grâce à un boom temporaire des prix du pétrole. Erdogan est arrivé au pouvoir au moment même où la Turquie commençait à attirer de vastes investissements étrangers. Et Kaczyński –que beaucoup considèrent comme l'homme le plus puissant de Pologne avec son parti Droit et Justice, même s'il n'a officiellement aucun rôle dans le gouvernement– a surfé sur une vague de relance économique mondiale dans laquelle il n'a pas été pour grand-chose.

 

Kaczyński en décembre 2017 | JANEK SKARZYNSKI / AFP

Mais si les leaders populistes ont su tirer profit du hasard de circonstances économiques favorables, ils n'ont pas non plus manqué d'astuce pour s'en attribuer le maximum de crédit. La manne pétrolière aura permis à Chávez d'augmenter les retraites, les prestations chômage et d'investir dans les services publics. Erdogan aura massivement développé les infrastructures de son pays, doublant le nombre d'aéroports et triplant la longueur de ses autoroutes. Très vite, Kaczyński a mis en place de généreuses allocations familiales s'élevant à 500 zlotys par mois pour des millions de Polonais. D'autres dirigeants forts, de Vladimir Poutine à Narendra Modi, ont eux aussi été des plus prodigues.

Des promesses en l'air

Lors de sa campagne, Trump a pu donner l'impression de vouloir marcher dans leurs pas en promettant aux Américains sans le sou des avantages tangibles. Par exemple, et contrairement à d'autres républicains, il n'a pas ménagé ses efforts pour que son annonce de la fin des traitements spéciaux accordés aux grandes entreprises paraisse sérieuse. Il s'est fait le héraut de l'assurance maladie universelle et n'a pas manqué de lyrisme en garantissant des investissements énormes dans les infrastructures.

Sauf qu'en tant que président et sur ces trois dossiers, Trump pédale dans la semoule. Sa réforme fiscale favorise éhontément des intérêts particuliers. Incapable d'abroger l'Obamacare, notamment parce qu'il n'y a aucune alternative réelle, sa politique de santé semble depuis se résumer à un sabotage du système existant tant bien que mal avec ses maigres moyens. Même ses idées pour la reconstruction des routes et des ponts américains sont si vagues et manquent tellement d'ambition que l'expression «semaine de l'infrastructure» symbolise désormais l'incompétence et l'inconséquence du gouvernement.

Trump, évidemment, fait aussi tout ce qu'il peut pour s'attribuer les mérites d'une reprise économique forte, en tweetant régulièrement sur les chiffres historiquement bas du chômage et ceux historiquement hauts des cours boursiers. Et bien que la plupart des économistes ne pensent pas que sa réforme fiscale stimulera réellement la croissance, de récents sondages laissent entendre qu'il pourrait avoir réussi à convaincre de nombreux Américains de l'efficacité des politiques économiques de son administration.

Trump a beau vouloir tirer à lui la couverture d'un climat économique dont il n'a fait qu'hériter, il n'a rien d'aussi concret que l'extension de l’État-providence d'Erdogan ou que les allocations familiales de Kaczyński pour prouver sa magnificence. Selon les normes de l'illibéralisme international, il ne fait tout simplement rien pour exploiter sa bonne fortune économique.

Les institutions américaines résistent (et ça le rend fou)

Dès le premier jour de leur mandat, des populistes comme Chávez, Orbán et Kaczyński ont tous appliqué une règle d'or: pour terrasser les institutions censées les contrôler, ils devaient «réformer» des centres de pouvoir indépendants prétendument «inefficaces» et ce d'une manière apparemment «non partisane».

Quelques mois après son élection à la présidence du Venezuela, Chávez a ainsi convoqué une assemblée chargée de réécrire la constitution, qui lui a accordée des pouvoirs passablement élargis. Bien avant que ne surgissent des accusations d'irrégularités, Orbán a «réformé» la commission électorale hongroise, désormais composée de membres à sa botte qui matraquent d'amendes les partis d'opposition tout en refusant d'enquêter sur le sien. Et bien avant d'avoir eu l'occasion de censurer le gouvernement, Kaczyński prenait le contrôle de la Cour suprême de Pologne, qu'il a depuis réussi à saturer de ses protégés, tout en politisant le processus par lequel les dossiers sont assignés à tel ou tel juge.

Parce que Trump a poursuivi la destruction des institutions démocratiques d'une manière tactique et réactive, et non pas stratégique et proactive, il a causé beaucoup moins de dégâts qu'il n'aurait pu.

Sur ce plan, aussi, Trump aura respecté l'esprit –mais atomisé la lettre.

Sa rhétorique laisse peu de doute sur le fait que, comme d'autres populistes étrangers, il souhaite voir des institutions avec une longue histoire d'indépendance être soumises à ses caprices. Il a clairement dit qu'il s'attendait à la loyauté de la part des principaux agents de la force publique aux États-Unis. Il s'en est pris à la presse qu'il a qualifiée d'«ennemie du peuple américain» et vu dans ses principaux adversaires politiques des «traîtres». Il a ouvertement manifesté son admiration pour une douzaine de dictateurs étrangers et aura félicité Xi Jinping pour être devenu «président à vie» de la Chine –tout en ajoutant qu'il «fallait peut-être que nous testions cela un jour».

Mais parce que Trump a poursuivi la destruction des institutions démocratiques d'une manière tactique et réactive, et non pas stratégique et proactive, il a causé beaucoup moins de dégâts qu'il n'aurait pu.

La menace qu'il fait peser sur la séparation des pouvoirs reste bien réelle

Si Trump avait suivi une véritable stratégie d'appropriation institutionnelle, il aurait tenté de prendre le contrôle d'agences indépendantes avant de donner l'impression d'avoir des intentions cachées. C'est pourquoi je me suis tellement inquiété de sa demande, apparemment anodine, faite au Congrès lors de son discours sur l'état de l'Union «de donner à chaque membre de [son] cabinet le pouvoir de récompenser les honnêtes travailleurs –et de renvoyer les fonctionnaires qui sapent la confiance des citoyens ou qui manquent à leurs devoirs envers le peuple». Comme d'autres populistes qui ont sapé avant lui l'indépendance de la fonction publique, la chose semblait lui frayer le chemin d'une purge institutionnelle, tout en préservant une excuse plausible –qu'il voulait simplement que des bureaucrates paresseux ou incompétents puissent rendre des comptes.

De fait, il est ahurissant de voir comment les attaques de Trump contre des institutions indépendantes portent déjà leurs fruits dans le seul domaine où il mène une stratégie cohérente. Durant son court mandat, il aura déjà transformé la Commission du renseignement du Congrès en complice, rendue inoffensive la Commission du renseignement du Sénat, congédié le directeur du FBI et poussé des membres clés du ministère de la Justice à une retraite prématurée. Seuls quelques responsables isolés, comme le procureur général adjoint Rod Rosenstein, se dressent maintenant entre Trump et son objectif d'un appareil d'application de la loi profondément politisé.

S'il accentue encore la pression sur des fonctionnaires dont les premiers engagements vont à la Constitution et non au président et s'il continue à nommer ses fidèles aux postes vacants, il pourrait réussir à faire au FBI et au ministère de la Justice ce qu'il a déjà fait aux commissions du Congrès qui étaient censées enquêter sur la collusion présumée de sa campagne avec la Russie. Ce qui voudrait non seulement dire que ses propres méfaits ne pourraient plus faire l'objet d'une enquête approfondie –mais laisse aussi entrevoir la possibilité de poursuites à caractère politique de son principal adversaire en 2020.

Alors que l'enquête de Robert Mueller ne cesse de se rapprocher de la famille et des amis de Trump, son envie de renvoyer le procureur spécial et de provoquer une énorme crise constitutionnelle ne fera que s'accentuer. La menace qu'il fait peser sur la séparation des pouvoirs reste donc bien réelle. Mais parce que ces manœuvres sont si ostensiblement liées aux intérêts personnels de Trump, elles ont aussi provoqué davantage de résistance qu'elles ne l'auraient fait dans d'autres circonstances. Comme dans tant d'autres sphères, l'attaque de Trump contre les institutions les plus fondamentales de la république américaine est autant entravée par sa propre incompétence que par la Constitution ou ses opposants politiques.

Trump est très préoccupé par lui-même, et le montre beaucoup trop

À l'évidence, la rhétorique de Trump est son point fort. Mais même dans le domaine où il est capable de véritables et terrifiants coups de génie, ses propres talents demeurent souvent sous-exploités.

Si d'autres populistes adorent comme lui jeter de l'huile sur le feu à grands coups de déclarations tonitruantes, leur rhétorique se focalise globalement sur un seul et unique objectif: se faire passer pour l'unique porte-parole légitime du peuple –et faire croire que leur nation est autant menacée de l'intérieur que de l'extérieur. C'est ce qu'Erdogan fait sciemment quand il qualifie de terroristes tous les journalistes qui le critiquent. C'est ce que fait Orbán quand il affirme que Soros a fomenté un complot pour asservir la Hongrie. Et c'est ce que Kaczyński essaie de faire quand il insinue que les Juifs mentent et se servent de l'Holocauste pour nuire aux Polonais.

Trump, bien sûr, est tout à fait capable de ce genre de langage. Quand il s'en tient aux discours écrits par ses conseillers, il expose une vision du monde efficace de simplicité. Dans son discours sur l'état de l'Union, par exemple, l'Amérique de Trump était présentée comme un charmant pays rempli de jeunes gars patriotes rendant leurs hommages au drapeau et de flics héroïques adoptant des enfants miséreux. Du côté des Démocrates, on ne semblait se préoccuper que du sort des caïds du MS-13.

Contrairement à ses homologues, Trump s'est montré prodigieusement incapable de convaincre des électeurs indécis ou idéologiquement modérés.

Mais si Trump tire régulièrement sur ces cordes sensibles, il le fait rarement d'une manière réellement disciplinée. Au lieu de transmettre une vision du monde soigneusement cadrée dans laquelle l'Amérique serait assiégée –avec un Trump sauveur de son pays –il préfère offrir une succession de divagations décousues qui ne laissent aucun doute sur le fait que sa principale préoccupation n'est autre que sa propre survie politique. Pour chaque phrase dans laquelle il parvient à se concentrer suffisamment sur les menaces censées peser sur ses partisans les plus fidèles, il en débite quatre ou cinq dans lesquelles il radote sur les affronts qu'il aurait personnellement subis tout au long de sa vie.

Ce qui suffit pour lui garantir la loyauté d'une large minorité de la population américaine. Comme nous n'avons eu de cesse de le constater ces derniers mois, le pouvoir de séduction de Trump ne s'affadit malheureusement pas chez ses fidèles de longue date et son emprise sur le Parti républicain ne cesse de croître. Mais cela ne suffit pas pour développer sa base électorale: contrairement à ses homologues, Trump s'est montré prodigieusement incapable de convaincre des électeurs indécis ou idéologiquement modérés.

Coup de théâtre

En décembre dernier, l'Amérique s'était visiblement décidée. Selon FiveThirtyEight, les Américains étaient 20% de moins à approuver l'action du président qu'à ne la désapprouver. Avec des chiffres qui ne cessaient de baisser, Trump semblait se diriger vers une déroute sans précédent lors des élections de mi-mandat. Il était de plus en plus difficile d'imaginer qu'il puisse être réélu.

Mais deux mois plus tard, Trump allait extraordinairement rebondir. S'il était encore impopulaire, l'écart entre les approbateurs de Trump et les désapprobateurs avait diminué de moitié et se situait juste au-dessus des 10%. Pendant un moment terrifiant, son retour en grâce fut possible.

Ce retournement de situation aura été profondément déroutant. Car les gros titres des grands journaux et des chaînes de télévision n'ont guère été favorables à Trump entre la mi-décembre et la mi-février: il y a eu la publication de Fire and Fury, la révélation de l'argent versé par son avocat à la star du porno Stormy Daniels, les «pays de merde» africains et l'inculpation de pirates informatiques russes accusés d'interférence dans l'élection de 2016.

Qu'est-ce qui pourrait expliquer cette renaissance temporaire de Trump?

Dans une séquence où les informations semblent se succéder comme des crochets du droit, difficile de dire quelle nouvelle aura porté le coup de grâce. Mais deux événements d'importance semblent ressortir au cours de ces mois. La réforme fiscale offre finalement à Trump le premier véritable succès législatif de sa présidence. Et son discours sur l'état de l'Union lui aura donné l'occasion de marteler une vision du monde propre aux populistes d'extrême droite d'une manière beaucoup plus disciplinée que ses tweets matinaux. En suivant, même partiellement, deux chapitres clés d'un mode d'emploi populiste qu'il néglige habituellement, il aura été capable de se redresser à un degré stupéfiant et dans un laps de temps effroyablement court.

Le plus inquiétant au fond, c'est un prochain Trump

Heureusement, Trump n'a pas l'air d'apprendre de ces succès. Il a si peu d'intérêt pour les politiques publiques, et si peu de patience pour le travail exténuant qu'exige la négociation bipartisane, qu'il est peu probable qu'il réussisse à obtenir un accord sur le contrôle des armes à feu. Sur la question, il a d'ailleurs déjà battu en retraite en accueillant un lobbyiste de la NRA dans le bureau ovale et en jacassant au sujet de cette réunion sur les réseaux sociaux –comme à son habitude. Son narcissisme est tel qu'il sera probablement incapable de tenir son fil Twitter, alors même que le silence pourrait permettre à sa vision du monde manichéenne de recueillir davantage d'écho. Et contrairement à beaucoup d'autres dirigeants autoritaires, sa vue semble même bien trop courte pour que germe en lui l'idée de récompenser ses partisans les plus fidèles –ce qui rendra difficile la formation d'une armée de larbins prêts à obéir à ses ordres.

Trump sera peut-être le premier leader populiste de l'histoire à être trop narcissique pour gagner le jeu consistant à se transformer en miroir du peuple.

Si Trump quitte vraiment la Maison Blanche la queue basse dans un peu moins de trois ans, il sera tentant d'interpréter son échec comme la preuve ultime de la résilience du système politique américain. Même face à un barbare grossier qui avait l'intention de briser toutes les règles et toutes les normes de la démocratie libérale, comme l'affirmeront certains commentateurs, la république américaine se serait révélée inattaquable. Dès lors, depuis le début, toutes nos peurs auront été injustifiées.

Sauf que le croire serait une grave erreur. Si l'extraordinaire incompétence de Trump pourrait l'empêcher de suivre le manuel du parfait petit autoritariste, sa marque est d'ores et déjà remarquablement corrosive –que ce soit dans son travail de sape de l'indépendance du FBI ou dans la consolidation de son emprise sur le Parti républicain.

Ces dernières années ne mettent pas valeur les atouts des institutions américaines. Au contraire, elles démontrent qu'un amateur total peut les mener au bord du précipice. Ce qui veut dire qu'un aspirant autoritariste avec davantage de professionnalisme pourrait se révéler sinistrement populaire et dangereusement efficace. La vraie tâche qui incombe à ceux qui, parmi nous, s'inquiètent de la menace que le populisme fait peser sur la survie de la démocratie libérale dépasse, et de loin, les futurs échecs électoraux de Donald Trump. Il faut nous assurer qu'il ne soit jamais remplacé par un leader capable de suffisamment de discipline et d'intelligence pour appliquer les recettes du populisme en Amérique.

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