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Qatar - Émirats arabes unis: derrière la rivalité sportive, la crise géopolitique

Sur le terrain de la diplomatie sportive, le Qatar s’est imposé comme une nation majeure, mais a dû compter sur la concurrence de son ennemi des Émirats arabes unis.

Vue du Khalifa International Stadium de Doha  (Qatar) réaménagé pour la Coupe du monde de football 2022, le 18 mai 2017 | Karim Jaafar / AFP
Vue du Khalifa International Stadium de Doha (Qatar) réaménagé pour la Coupe du monde de football 2022, le 18 mai 2017 | Karim Jaafar / AFP

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Dans le fracas médiatique qui a suivi l’élimination du Paris Saint-Germain face au Real Madrid, une question a aussitôt surgi: le Qatar, par le biais de son fonds souverain Qatar Investment Authority (QSI) –transformé en fondation–, ne risque-t-il pas de perdre patience?

Propriétaire du club de la capitale depuis 2011, QSI n’a pour l'instant pas réussi à imposer le PSG sur la scène européenne, en dépit des centaines de millions d’euros investis. Malgré son succès dans la défunte Coupe des Coupes en 1996, le PSG peine toujours à devenir un grand du Vieux continent dans le cadre de la Ligue des champions.

Enjeu stratégique de la Ligue des champions

La même remarque est valable pour le club britannique de Manchester City. Comme le PSG, la formation actuellement dirigée par le Catalan Pep Guardiola survole le championnat national, la Premier League, mais court toujours après le même rêve que les Parisiens: triompher enfin dans la plus prestigieuse compétition européenne.

Est-ce que ce sera pour cette année? Manchester City, également vainqueur de la Coupe des Coupes en 1970, a décroché son billet en quarts de finale de cette Ligue des champions, aux dépens des Suisses du FC Bâle. Là encore, l’impatience peut se fait ressentir du côté des pays du Golfe: les Émirats arabes unis possèdent la formation anglaise depuis 2008, par le biais d’un fonds privé, mais à dimension très étatique.

Calculettes à la main, les deux émirats auraient déjà injecté plus d’un milliard d’euros chacun dans ces deux clubs.

Qatar-Émirats arabes unis, le match revêt un caractère autre que sportif; l’enjeu est stratégiquement et diplomatiquement si fort qu'il est peu probable que QSI lâchera l’affaire à brève échéance du côté du Parc des Princes. Dans l’hypothèse où Manchester City venait à brandir la «coupe aux grandes oreilles» à Kiev le 26 mai, il est certain qu’à Doha, certains dignitaires qataris feraient grise mine. Qui sera le premier des deux? La réponse ne sera pas anodine. 

Un Qatar cerclé d'ennemis

Les relations entre le Qatar et les Émirats arabes unis sont tendues depuis que Doha a refusé en 1971 –comme Bahreïn– de se joindre à la nouvelle fédération des Émirats arabes unis, qui comprend notamment les émirats d’Abou Dabi, la capitale, et de Dubaï.

Leurs rapports se sont détériorés en 1995, quand l’émir Hamad ben Khalifa Al Thani a destitué son père, l’émir Khalifa ben Hamad Al Thani, alors en visite à l’étranger, pour prendre le pouvoir à Doha. Ce putsch a été perçu par les Émirats arabes unis, mais aussi par l’Arabie saoudite et Bahreïn, comme un dangereux précédent dans une région où la stabilité des régimes autoritaires était une règle d’airain.

Quelques mois plus tard, les Émirats arabes unis, l’Arabie saoudite et Bahreïn ont échoué à orchestrer un contre coup d’état afin de rétablir l’ancien émir. Le contexte international est aujourd’hui volcanique entre le Qatar et désormais quatre pays de la région: outre les Émirats arabes unis, l'Arabie saoudite et Bahreïn, l’Égypte a également rompu ses relations diplomatiques avec Doha.

En juin dernier, le Qatar, très dépendant –notamment sur le plan alimentaire–, s’est vu imposer par ses quatre ennemis un blocus de longue durée, à travers des mesures économiques consécutives à la fermeture des frontières terrestres et maritimes, à l’interdiction de survol de l’espace aérien et à des restrictions sur le déplacement des personnes.

Les quatre pays arabes accusent le petit émirat gazier de frayer avec l’Iran, de soutenir des groupes extrémistes dans la région et d’en assurer la propagande par le biais de la chaîne qatarie, Al Jazeera. Le Qatar rejette cette rhétorique et est persuadé que ses encombrants voisins veulent tout simplement l’annexer, comme l’Irak avait tenté de le faire avec le Koweït en 1990. Certains experts, alarmés par cette crise diplomatique au Moyen-Orient, phosphorent sur l’hypothèse d’un prochain coup d’État à Doha.

Stature internationale assise sur le sport

Minuscule par la taille, très isolé et très fragile, le Qatar a misé sur le sport pour imposer une stature internationale et asseoir justement cette indépendance qui lui est tant reprochée aujourd’hui.

L’organisation d’événements sportifs de premier plan a été un axe de valorisation de son existence. Le football, sport n°1 sur la planète, a été l’objet d’une attention particulière, avec l’achat du Paris Saint-Germain et, évidemment, l’organisation de la Coupe du monde en 2022 –qui devrait être une apogée pour le royaume. Ce déploiement a été accompagné par le lancement du réseau BeIN Sports, né en France en 2012, dans le sillage immédiat de la prise de contrôle du PSG.

Face à lui, les Émirats arabes unis n’ont pas été en reste sur le terrain sportif: acquisition de Manchester City, rôle majeur dans le milieu des courses de chevaux en Europe, mise sur pieds de différentes compétitions en tennis, en Formule 1 (Grand Prix d’Abou Dabi) ou en golf.

Pour être repéré sur la mappemonde, le «soft power» du sport a été un véritable moteur pour le Qatar et les Émirats arabes unis, au même titre que la culture –flattée par le Louvre d’Abou Dabi et l’Exposition Universelle de Dubaï en 2020– ou l’aviation –avec la puissante plate-forme de Dubaï et les compagnies aériennes telles Qatar Airways, Emirates ou Etihad, dont les noms viennent s’afficher sur des maillots ou sur le fronton des stades. En abritant nombre de sportifs qui y résident partiellement, comme Roger Federer, Dubaï a également souhaité se détacher en tant que base pour sportifs de haut niveau.

Cette politique d’influence sportive a commencé dans les années 1990. Pour le Qatar et les Émirats arabes unis, le tennis a été un premier moyen de reconnaissance. Les tournois ATP de Doha et de Dubaï sont tous les deux nés en 1993 –comme par «hasard», Doha et Dubaï ont accueilli en même temps, pour la première fois, une épreuve féminine du WTA Tour en 2001.

Au fil du temps, les proportions n’ont pas été tout à fait les mêmes: le Qatar a dépensé davantage sur le front sportif à cause de sa solitude géopolitique, notamment face à la menace de l’ogre saoudien. Décrocher l’organisation des Championnats du monde d’athlétisme en 2019 et surtout celle de la Coupe du monde de football en 2022 a constitué deux coups majeurs de sa politique.

Moins menacés dans leur zone géographique et davantage tournés vers l’attractivité touristique, les Émirats arabes unis sont un poil moins ambitieux et davantage intéressés par des «coups» ponctuels, mais ils se sont tout de même dressés comme un redoutable concurrent du Qatar. Le duel a tout de même été poussé jusqu’à l’étude d’une candidature olympique pour les Jeux olympiques de 2016: Doha contre Dubaï.

Pression sur la Coupe du monde 2022

À la faveur de la crise du moment, les Émirats arabes unis, avec l’Arabie saoudite en chef de troupe, vont tout faire pour empêcher le Qatar d'accueillir la Coupe du monde en 2022, ou du moins pour perturber la phase préparatoire menant au grand rendez-vous.

Le ministre émirati des Affaires étrangères, Anwar Gargash, a dénoncé l'attribution du Mondial au Qatar en mettant la pression sur la FIFA. Il a indiqué que la tenue d'un tel événement devrait «inclure un rejet de la politique soutenant le terrorisme».

Dans cette guerre des nerfs où l’intox est un ingrédient essentiel, les attaques vont perdurer, parfois en sous-main. En témoignent les polémiques liées aux médiocres et dangereuses conditions de travail des ouvriers engagés dans la construction des stades au Qatar, alors que le droit en la matière n’a jamais été plus vertueux aux Émirats arabes unis. Les mouvements d’intimidation ont même commencé sur le terrain. En juin dernier, la FIFA a plié face aux Émirats arabes unis, qui exigeaient que l’arbitre qatari choisi pour officier lors de leur match contre la Thaïlande soit récusé.

Il est difficile d’anticiper ce qui va se passer dans les mois et les années qui viennent, même si le Qatar, emmené par l’émir Tamim ben Hamad Al Thani, 37 ans, a réussi jusqu’ici à s’en tirer sans dommage, et même avec un certain panache. Ses quatre ennemis du moment iront-ils jusqu’à renoncer à défendre leurs chances sur la route des qualifications de la Coupe du monde 2022 au Qatar? Peu probable, mais l’interrogation n’est pas neutre, notamment pour l’Arabie saoudite et l’Égypte, qui ont empoché leur billet pour la prochaine phase finale de la Coupe du monde en Russie.

L'Arabie saoudite en embuscade

Discrète jusque-là dans l’accueil d’événements sportifs, voilà d’ailleurs que l’Arabie saoudite, secouée comme un prunier par son prince héritier Mohammed Ben Salman, 32 ans, a annoncé le 8 mars qu’elle accueillerait pour la toute première fois un tournoi du Circuit européen de golf.

Ce sera en janvier 2019, au Royal Greens Golf and Country Club à King Abdullah Economic City. Cette épreuve, dont la dotation n’a pas été encore annoncée mais que l’on imagine suffisamment copieuse pour attirer quelques stars –notamment américaines–, s’inscrit dans la trajectoire de «Vision 2030», le nouveau plan du royaume pour préparer l'ère de l'après-pétrole, dont le sport est l'un des nombreux ressorts.

Le match Qatar-Émirats arabes unis a été intéressant. L’affiche Qatar-Arabie saoudite, en opposant les deux jeunes monarques, promet déjà beaucoup.

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