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La bataille pour la succession de Mahmoud Abbas est ouverte

Mal préparée, la relève du président de l’autorité palestinienne, dont l'état de santé s'aggrave, s'annonce compliquée.

Mahmoud Abbas à Ramallah le 1er mars 2018 | ABBAS MOMANI / AFP
Mahmoud Abbas à Ramallah le 1er mars 2018 | ABBAS MOMANI / AFP

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L'état de santé de Mahmoud Abbas, le président de l’autorité palestinienne, s'aggrave. Les services israéliens de renseignements apportent une note pessimiste sur son pronostic vital malgré les démentis timides de son entourage. En Israël, on se prépare au pire car, en l’absence d’un successeur désigné, on craint la lutte des clans pour une succession qui risque d’embraser les territoires dans une sorte de «libanisation» de la Cisjordanie.

Rien n’a été fait pour préparer la relève alors que les dirigeants vieillis, âgés de 75 à 88 ans, bloquent l’entrée des jeunes au Conseil central palestinien en limitant le renouvellement des idées et des cadres. La même équipe stagne depuis des décennies et au cours de ces vingt-quatre ans, les mêmes squattent les bonnes places. Il est difficile d’entrevoir au plus haut niveau l’émergence d’une prochaine génération politique palestinienne parce que Mahmoud Abbas, dont le mandat s’est achevé en 2009, a fait le vide autour de lui. Aucune personnalité palestinienne en exil n’a émergé.

Pourtant de nombreux diplômés occupent de hautes fonctions économiques dans les instances internationales. Le plus jeune dirigeant, Saëb Erakat, 62 ans, l’homme de la conférence de Madrid, a été mis à l’écart après des soucis de santé liés à une transplantation d’un poumon. Certains jeunes voulaient apporter un souffle nouveau avec des changements radicaux pour mettre au pied du mur les Occidentaux, et bien sûr Israël. Mais ils n’ont pas eu le droit à la parole puisque les «anciens» refusaient de sortir de la ligne figée de l’Autorité palestinienne vers un sens plus pragmatique pour se confronter aux défis économiques d’un Israël en pleine évolution et en pleine croissance.

Comment la préparation de l’après-Abbas a échoué

Mahmoud Abbas a eu une attitude ambiguë telle qu’elle ressort des «Palestine Papers», la plus grande fuite de documents confidentiels et de compte-rendus de rencontres formelles et informelles, concernant l’action palestinienne dans le processus de paix avec Israël, durant les années 1999 à 2010. Les documents dévoilent d’importantes concessions proposées à Israël par l’autorité palestinienne en 2008, notamment concernant les quartiers juifs de Jérusalem et le retour des réfugiés. Les documents, attestant du haut niveau de coopération entre les forces de sécurité des deux camps ont amené à suspecter l’autorité israélienne d’avoir prévenu le camp palestinien de l’Opération plomb durci déclenchée dans la bande de Gaza en 2008.

Peu commentés en Occident, ces documents montrant l’Autorité palestinienne sous un jour défaitiste ont été largement commentés au Moyen-Orient. Saëb Erakat, négociateur en chef palestinien avait été discrédité, tout comme Mahmoud Abbas et son parti le Fatah, accusés par le Hamas concurrent de vouloir liquider la cause. Les documents ont aussi prouvé que le gouvernement Netanyahou, contrairement à ses dires, avait dans le camp d’en face «un partenaire pour la paix» qui avait la volonté de négocier avec Israël.

Aucune solution ne pourra être trouvée s’il n’y a pas consensus entre le Fatah et le Hamas pour de nouvelles élections.

En cas de disparition du leader, les Palestiniens ont besoin d’une «dream team» dynamique, réactive, fertile en idées neuves. Tout avait pourtant été préparé dans les moindres détails en 2016 pour doter les Palestiniens d’une constitution remplaçant la Loi fondamentale édictée en 2002. Mahmoud Abbas avait ordonné, par décret présidentiel, la formation d'une Cour constitutionnelle en nommant neuf juges qui avaient prêté serment devant lui. Le fait du prince. Les décisions de la Cour constitutionnelle palestinienne devenaient définitives et obligatoires pour toutes les décisions du gouvernement, pour les résolutions du Parlement et ne pouvaient pas faire l'objet d'un recours.

En fait il s’agissait d’une mesure détournée pour remplacer le Conseil législatif palestinien (le Parlement), présidé par le Hamas et paralysé depuis la prise du pouvoir par les islamistes à Gaza. Plusieurs membres de ce Conseil, affiliés au Hamas, ont d’ailleurs été emprisonnés par Israël, limitant ainsi ses capacités de décision. La Loi fondamentale stipule que si le poste de président palestinien devenait vacant, le chef du Conseil, en l’occurrence Abdel Aziz Dweik, membre du Hamas, serait déclaré président par intérim, avec les pouvoirs et les fonctions du président, jusqu’à ce qu’un nouveau président soit directement élu par le peuple et prenne ses fonctions.

Saëb Erakat en 2017 | KIRILL KUDRYAVTSEV / AFP

Mahmoud Abbas a donc créé la Cour constitutionnelle pour donner à Saëb Erakat le droit de remplacer le président en cas de vacance du pouvoir. Mais les problèmes médicaux d’Erakat ont compliqué la situation tandis que la liste des candidats au remplacement de Mahmoud Abbas se rétrécissait au fur et à mesure des conflits intérieurs. Les meilleurs ont été écartés. On reparle de Marwan Barghouti qui purge une peine à vie dans les prisons israéliennes mais il est peu probable qu’Israël rende la chose possible, préférant favoriser la candidature de Mohamed Dahlan que le Fatah a totalement rejetée. Mais, malgré les pressions exercées par le quartet arabe (Égypte, Jordanie, Émirats arabes unis et Arabie Saoudite), Mahmoud Abbas refuse une réconciliation interne au Fatah qui aurait permis le retour de ceux qui ont été renvoyés du mouvement, pour avoir émis des réserves sur le pouvoir absolu du président.

On voit mal un membre du Hamas occuper le poste de président et aucune personnalité charismatique n’est en mesure de remplacer Erakat comme chef des négociateurs de paix. Certains Palestiniens citent le nom du chef des renseignements, le général Majid Faraj, qui est toujours présent aux côtés d’Abbas dans toutes les réunions à l’étranger. Abbas estime que son collaborateur dispose de sérieuses références sachant qu’il est né dans le camp de réfugiés de Dheisheh près de Bethléem et qu’il a passé des années dans des prisons israéliennes. Mais son manque d’expérience politique reste un handicap car il ne fait pas partie du comité central de l’Organisation de libération de la Palestine (OLP). En fait, aucune solution ne pourra être trouvée s’il n’y a pas consensus entre le Fatah et le Hamas pour de nouvelles élections.

L’hypothèse Mohamed Dahlan

Cela explique ainsi le rapprochement inédit entre Mohamed Dahlan et le Hamas. Mohamed Dahlan a été le bras droit de Yasser Arafat en tant que responsable de la sécurité et homme fort de Gaza jusqu’à la prise du pouvoir du Hamas en 2007. Il lorgnait sur le poste de Mahmoud Abbas ce qui lui valut d’être destitué par le président et condamné à l’exil aux Émirats sur d’obscures accusations de détournement de fonds. Mais il est resté toujours membre du Conseil législatif palestinien. Emprisonné par les Israéliens, il a appris leur langue et s’est lié d’amitié avec eux au point d’être accusé de faire partie du Mossad. La même accusation d’être l’homme de la CIA le poursuit depuis de longues années.

Effectivement la CIA a financé la création d’une milice dévouée à Dahlan, installée d’abord en Cisjordanie puis transférée en Jordanie. Dahlan n’attendait que le feu vert américain et israélien pour déloger par la force le Hamas à Gaza, avec la bénédiction de l’Égypte qui voyait un moyen de neutraliser les terroristes au Sinaï nord.

Mohamed Dahlan (droite) en 2005 | AVI OHAYON / GPO / AFP

Il avait aussi obtenu le soutien de plusieurs pays arabes, dont l’Égypte, pour défier le président de l'Autorité palestinienne, Mahmoud Abbas. L’impasse des négociations ont poussé l'Égypte et les Émirats arabes unis à l’encourager à former un nouveau parti palestinien pour remplacer le Fatah. Ainsi, sous l’égide du président égyptien Al-Sissi, une rencontre a été organisée le 28 février au Caire entre des proches de Dahlan et des délégués du Hamas pour cogérer la bande de Gaza car le processus de réconciliation Fatah-Hamas est moribond. Dahlan se fait fort de régler la crise humanitaire en quelques mois.

Mahmoud Zahar, membre du bureau politique du Hamas, a appelé à la formation d’un gouvernement de salut national en n’excluant pas Dahlan qui, paradoxalement, est un adversaire politique du Hamas tout en faisant partie du Fatah. Khalil al-Hayya, membre du bureau politique du Hamas, a déclaré au quotidien égyptien Al-Shorouk lors de sa visite au Caire le 19 février que le Hamas voit Dahlan «comme l'une des personnalités les plus éminentes capable de servir les Palestiniens». Cela s’explique car Dahlan est le pourvoyeur de fonds émiratis pour une aide financière à Gaza.

Ce n’est pas la première fois que Dahlan tente la création d’un nouveau parti. Il s’était rapproché de l'ancien Premier ministre Salam Fayyed, de l’ancien secrétaire du Comité exécutif de l'OLP Yasser Abed Rabbo, et d’autres membres du Comité central du Fatah Tawfiq Tirawi et Sultan Abu al-Eigen, en rupture avec leur président. Mais tant que Mahmoud Abbas détient le pouvoir, aucune de ces personnalités n’accepte de faire défection.

Israël craint que la disparition du leader ou son incapacité soit l’occasion d’une lutte de pouvoir sanglante à l’instar de celle des années 2006/2007 qui a entraîné plus de 600 morts. Mais un élément nouveau est intervenu depuis. Le mouvement du Jihad islamique, qui partage le pouvoir à Gaza et dont les milices sont financées et armées par l’Iran, pourrait trouver l’occasion de rallumer le feu en Cisjordanie pour créer un désordre favorable à ses intérêts. C’est toute la région qui risque de s’enflammer. La bataille entre les différentes milices lourdement armées risque de conduire à la «libanisation» de la Cisjordanie. C’est pourquoi les Occidentaux et plusieurs pays arabes misent sur Mohamed Dahlan pour garantir un transfert de pouvoir pacifique. Israël a le doigt sur la gâchette pour contrer toute manifestation de violence à l’occasion d’un changement de président.

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