Santé

Pourquoi notre système de santé est en si piteux état

Pour mieux appréhender le grand chantier annoncé, il est important de rappeler les défis majeurs auxquels notre système de santé est confronté.

<a href="https://unsplash.com/photos/XNRHhomhRU4">Autant le dire: le diagnostic n'est pas bon.</a> | Rawpixel.com via Unsplash <a href="https://unsplash.com/@rawpixel">License by</a>
Autant le dire: le diagnostic n'est pas bon. | Rawpixel.com via Unsplash License by

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Le 13 février 2018, dans un hôpital général, le Premier ministre Édouard Philippe et la ministre de la Santé Agnès Buzyn ont annoncé qu’ils ouvraient le chantier des réformes du système de santé et, pour ce faire, créaient cinq groupes de travail.

Pour beaucoup, cette étape a paru dilatoire; je ne crois pas qu’elle le fut, même si, par essence, elle recule de plusieurs mois le moment difficile: celui des choix. S’ils sont à la mesure des problèmes, ils seront douloureux.

Ordres de grandeur méconnus

La généreuse croissance des mécanismes de solidarité asphyxie la France et il n’existe plus de manière facile d’en sortir, la source des impôts et des cotisations sociales semblant tarie. Le réveil sera d’autant plus douloureux que la gravité de la situation n’est pas perçue par la grande majorité de la population et que les idées qui flottent sont naïves et corporatistes. 

À l’exception de François Fillon, par tactique ou par méconnaissance, les candidats à l’élection présidentielle ont évité d’évoquer le problème, malgré son importance sociale et financière –de l’ordre de 200 milliards d’euros, alors que le chômage ne représente «que» quarante milliards d’euros.

Si l’opinion perçoit la tension dans les hôpitaux et les Ehpad (établissements d’hébergement pour personnes âgées dépendantes), elle attend la totale gratuité des lunettes, des soins dentaires et des appareils auditifs.

Si quelques éléments de la crise sont ici ou là évoqués, les ordres de grandeur sont méconnus. Rappelons, par exemple, que cent millions d’euros ne représentent que 0,05% des dépenses d’Assurance maladie, soit quatre heures et vingt-trois minutes des dépenses d’une année. Pas grand-chose, et même moins que la marge d’erreur du calcul des dépenses annuelles!

Il va donc falloir expliquer la nature de la crise, que ce diagnostic soit compris, que les mesures préconisées soient acceptées, que le gouvernement ait le temps de les mettre en œuvre et que les professionnels de santé aient la patience d’attendre encore.

Enjeu démographique

La première dimension de la crise est démographique; rien de plus prévisible, rien de moins anticipé. La génération du baby boom (1947-1973) vieillit, les éclaireurs de cette cohorte dépassent les 70 ans, qui est aussi l’âge moyen des personnes hospitalisées. Ils atteindront 83 ans en 2030, âge où le taux de dépendance augmente très significativement. 

Autre problème: à 26 ans, la moitié des Français ne travaillent pas et à 60 ans, la moitié des Français ne travaillent plus, or c’est cette classe d’âge qui finance l’essentiel des impôts et des mécanismes de solidarité –notamment le système de retraite, avec des cohortes de plus en plus nombreuses. Rappelons que les Français jouissent de la plus longue période entre leur départ à la retraite et leur mort. Le seul effet démographique fait croître chaque année les dépenses de santé de 1% à 1,5%.

L'enjeu démographique se conjugue avec la croissance du coût des innovations médicales et de leur efficacité. En permettant de vivre plus longtemps, les soins efficaces un jour entraînent plus tard d’autres soins –et ainsi de suite jusqu’à la mort.

En étudiant l’évolution des hospitalisations dans le monde jusqu’en en 2040, j’ai pu constater que si, en pourcentage, les hospitalisations classiques baissaient et l’hospitalisation en ambulatoire augmentait fortement, le nombre d’hospitalisations traditionnelles restait quasiment stable: il faut bien mourir un jour de quelque chose, même si les progrès de la médecine retardent cette issue fatale! Quant au coût –parfois injustifié– de certaines innovations, il serait possible de peser sur les entreprises concernées tout en leur laissant de belles marges si les États-Unis étaient de la partie –ce qui semble peu probable à court terme.

La combinaison de ces deux effets est de l’ordre de 4,5% de dépenses en plus par an, ce qui n’est guère compatible avec une croissance d’environ 2%.

Évolution de la pratique de la médecine

Plus méconnues encore du public sont les conséquences de l’évolution des savoirs et des techniques médicales. Chaque spécialité médicale ou chirurgicale se subdivise en un nombre croissant de sous-spécialités, onze par exemple pour la seule cardiologie.

Les facultés de médecine ne forment plus d’orthopédistes, mais des spécialistes de la main, du genou, du pied, du rachis… Autrement dit, quand un orthopédiste part à la retraite, il est remplacé par trois ou quatre de ses confrères. Pour travailler, ceux-ci doivent recruter leurs patients sur une population plus étendue. Cette évolution mondiale signe la fermeture des petits hôpitaux: ils ne pourront plus recruter de spécialistes médicaux et chirurgicaux.

Ce grand éclatement pose deux autres problèmes: la coordination de la prise en charge des patients ballottés entre plusieurs spécialistes et le bien-fondé du paiement à l’acte, qui ne rémunère qu’une étape d’un long processus –d’où l’idée du paiement au «parcours de soins». Sans évoquer ici les sérieux problèmes techniques que cela pose, la question politique que soulève ce mode de rémunération est simple à comprendre: qui sera sous la coupe de qui? Qui va gérer le parcours? Qui sera payé pour cela? Si c’est l’hôpital, la médecine de ville en dépendra; si c’est l’inverse, qui représentera la médecine de ville? Si c’est un tiers, un «réseau de soins» par exemple, comment seront-ils acceptés par les patients et les soignants? 

Soulignons enfin que la jeune génération de médecins souhaite concilier vie familiale et professionnelle, qu'elle recherche plutôt le salariat et qu'elle préfère travailler en équipe. À cet égard, la France ne se distingue pas de l’étranger. Aux États-Unis, les médecins qui travaillent seuls et sont payés à l’acte ne représentent plus que 1% des professionnels!

Contrôle de la qualité des soins

Notre système n’est guère préparé à ces évolutions. Nous avons beaucoup d’hôpitaux, nous hospitalisons beaucoup et nous choisissons toujours le plus cher: l’hôpital plutôt que la ville, les spécialistes plutôt que les généralistes, les médecins plutôt que les infirmières et nous prescrivons beaucoup de médicaments et d’examens complémentaires.

Plus grave que ces coûts souvent injustifiés est le fait qu’il existe de fortes inégalités, non pas tant dans l’accès aux soins que dans les soins eux-mêmes. Pauvre, on peut être très bien soigné à un endroit; plus aisé, on peut être mal soigné à un autre. La raison est connue: en France, les prescriptions de médicaments, d’hospitalisations, d’actes ne sont jamais contrôlées a posteriori.

Par ailleurs, la nature des produits remboursés comme le calcul des tarifs se font sans transparence et parfois sans logique. Selon l’acte, la rémunération implicite de la minute de chirurgien varie en France de un à … vingt-cinq! 

Réformer la tarification est une nécessité. Le paiement au parcours de soins est une bonne idée, mais elle sera limitée, longue à mettre en œuvre et également inflationniste si l’on ne contrôle pas le bienfondé du dit «parcours». Les mécanismes économiques, aussi élaborés soient-ils, ne peuvent pas se substituer au contrôle de la qualité des soins.

Jusqu’à présent, la corporation médicale a été suffisamment puissante pour éviter ce moment de vérité. Son arme la plus ancienne, et la plus efficace, a été la protection du secret médical. Pour contrôler, il faut des informations et aujourd’hui de l’informatique. Comment faire sans dossier informatisé, sans accès facile à des données codifiées?

Bien entendu, je suis très sensible à la protection des données personnelles et très partisan de lourdes peines pour celui qui en divulguerait, mais la défense du secret médical a été l’arme première de la défense de la corporation médicale et va continuer à l’être.

Il faut certes que les médecins conservent leur liberté de prescription au moment des soins, mais cela ne veut pas dire qu'ils ne doivent plus rendre de compte ultérieurement. 

Depuis vingt ans, je suggère de créer dans chaque région un conseil médical composé de médecins-conseils de l’Assurance maladie et de professionnels chevronnés, qui aurait pour rôle d’examiner les pratiques inutiles, dangereuses ou déviantes et d’en parler à leurs confrères. Ils les connaissent!

Jusqu’où le gouvernement d’Édouard Philippe et la ministre de la Santé Agnès Buzyn ouvriront-il la boîte de Pandore? La seule certitude est que le projet de loi de financement de la sécurité sociale de 2019 ne pourra pas être, comme celui des dix années passées, une copie conforme de celui de l’année précédente.

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