Culture

N'oublions jamais Idrissa Ouedraogo

Le destin du cinéaste qui vient de disparaitre incarne l'extraordinaire difficulté de faire exister durablement une œuvre de cinéma en Afrique.

Le réalisateur burkinabé Idrissa Ouedraogo, mort le 18 février. |Bertrand Guay / AFP
Le réalisateur burkinabé Idrissa Ouedraogo, mort le 18 février. |Bertrand Guay / AFP

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Il est mort le 18 février d'une crise cardiaque. Il avait 64 ans.

Il était cinéaste. Il était africain. Il était burkinabé. Il refusait qu’on le définisse comme «cinéaste africain». Il disait: «Je suis cinéaste, c’est tout.» Dans une très ample mesure, ce fut son fardeau.

La lignée des plus grands

Il est certainement abusif d’affirmer qu’Idrissa Ouedraogo en est mort. Il n’est pas absurde de supposer que cela n’est pas étranger à ce qui aura été sa double disparition –il y a vingt-cinq ans de la scène mondiale du cinéma dont il fut une figure importante– puis ces jours-ci, de la vie sur Terre.

Physiquement, c’était un géant, et longtemps, ce fut un géant qui riait beaucoup. Un géant colérique aussi. Il faut dire que les raisons de se mettre en colère ne lui ont pas manqué.

Formé à l’école de cinéma de Ouagadougou à la fin des années 1970, il a ensuite étudié à à l’Institut soviétique du cinéma, le VGIK, par où sont passés tant des meilleurs réalisateurs d’Afrique et du monde arabe.

Yaaba (©Les Films de la Plaine)

Son premier long métrage, Le Choix (1986), lui vaut de nombreuses récompenses internationales. Présenté à Cannes à la Quinzaine des réalisateurs en 1989, le deuxième, Yaaba établit une certitude: l’Afrique noire compte un nouveau réalisateur de première grandeur. Cette formule, il la ressent très vite comme un piège. Il a raison.

C'est une tragédie que de pouvoir, aujourd’hui encore, nommer une «lignée» (Ousmane Sembène, Souleymane Cissé, Idrissa Ouedraogo, Mahamat Saleh Haroun, Abderrahmane Sissako, Alain Gomis) qui à elle seule synthétise l’excellence de soixante ans de cinéma dans un continent immense, immensément divers.

Il y a eu, et il y a d’autres grands artistes de la caméra en Afrique subsaharienne. Mais ils sont trop rares, ceux qui ont pu exister de manière un peu durable comme une référence –pas un modèle ni un leader, mais un point d'appui, une figure de proue qui permet l'émergence d'une quantité et d'une diversité.

Dans le cas d'Idrissa Ouedraogo, ce n'est pas faute d'avoir essayé (tout comme son compatriote Gaston Kaboré, inlassable pédagogue) de susciter un tel environnement. Ce ne sont ni les talents ni les engagements qui manquent, mais les conditions économiques et politiques pour faire vivre des communauté de création et de production.

Un sommet et une impasse

En 1990, Tilaï est une consécration, avec à la fois le Prix du jury à Cannes et l’Étalon de Yennenga, la récompense suprême du Fespaco, le plus grand festival d’Afrique, que renforce la réussite de Samba Traoré deux ans plus tard.

Dans les deux cas, Ouedraogo associe à des personnages et des environnements très ancrés dans la réalité de son pays des éléments exogènes: tragédie grecque dans le premier cas, western et film noir dans le second.

À ce moment, et après l'autre œuvre-phare qu'a été Yeelen de Souleyman Cissé en 1988, on peut croire à l'établissement durable d'une culture du cinéma, au moins en Afrique de l'Ouest francophone. À tort ou à raison, Ouedraogo pense que ce n'est pas suffisant.

Hanté par le sentiment d’avoir atteint une limite, sinon une impasse, il cherche à s’acclimater à un autre univers avec Le Cri du cœur, situé à Paris. Ce monde, qu’il connaît bien –il y habite et travaille une partie de l’année– sonne faux à l’écran, et toute l’énergie et l'empathie qui irradiaient ses autres films semblent évaporées.

Kini et Adams (©Les Films de la Plaine)

Cherchant alors de plus larges espaces, et voulant échapper à l’impératif de la coproduction avec l’ancienne puissance coloniale, il réalise le très vivant Kini et Adams en Afrique du Sud. Tourné en anglais, ce film d'aventures où se mêlent thriller et comédie est aussi un geste en faveur d’un développement interne au continent tentant de relier les zones francophones et anglophones.

Injustement mal accueilli, le film le convainc de se replier sur sa ville, Ouaga, et un public qui lui est acquis, les téléspectateurs burkinabés: la série Kadi jolie est un grand succès local. Mais Idrissa Ouedraogo, s’il réalisera d’autres programmes pour la télévision et trois longs métrages, ne retrouvera plus jamais ni l’inspiration ni les moyens pour faire exister son cinéma à l’échelle qu’il méritait.

Il consacrera en revanche, avec une générosité dont il n’a jamais manqué, beaucoup de temps à l’enseignement au sein de l’Institut supérieur de l’image et du son de Ouagadougou.

Au-delà du parcours individuel, son destin est tristement exemplaire d’une «malédiction» du cinéma en Afrique, où la faiblesse de l’environnement économique, l’incurie des pouvoirs publics, les problèmes de matériel et désormais de piratage fragilisent à l’extrême les possibilité pour les réalisateurs d’émerger, et surtout de durer avec une assise suffisante.

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