Monde

Trump: 1 (an) - États-Unis: 0 (bonne surprise)

Au lendemain de l'investiture de Trump, en janvier 2017, ils ont imaginé comment sa présidence changerait l'Amérique –secteur par secteur, thème par thème. Un an plus tard, ils reviennent sur leurs prédictions.

Donald Trump à la Maison-Blanche, le 16 février 2018 | Saul Loeb / AFP
Donald Trump à la Maison-Blanche, le 16 février 2018 | Saul Loeb / AFP

Temps de lecture: 14 minutes

Malgré les nombreux éléments qui tendent à prouver que le temps est un cercle plat, les faits sont là: Donald Trump vient à peine d’achever la première année de son mandat.

Peu avant son inauguration, nous avions demandé à la rédaction de Slate.com et à d’autres experts de prédire l’influence qu’aurait sa présidence sur les États-Unis. Nous les avons à nouveau sollicités pour qu’ils réévaluent leurs estimations, de manière à mesurer l’impact –et l’imprévisibilité– de l’administration Trump au cours de l’année écoulée. Nous n’avons pas pu évaluer l’ensemble des prédictions d’origine, mais nous comptons les réexaminer tous les ans, tant que Donald Trump sera à la Maison-Blanche.

Environnement

Prédiction: ours polaires. L’administration Trump refuse d’accepter que les émissions liées à l’activité humaine ont un impact sur le changement climatique; cette posture va retarder l’élaboration de mesures véritablement efficaces. Les États-Unis se sont retirés de plusieurs plans d’action collectifs, dont les Accords de Paris sur le climat, ce qui va déstabiliser les efforts réalisés en termes de réduction d’émissions à travers le monde. L’ours polaire, dont la survie est directement menacée par le recul de la banquise, va donc s’éteindre.

Un an plus tard: trop tôt pour être catégorique. Trump a bel et bien fait sortir les États-Unis des Accords de Paris, mais il est difficile de déterminer à quel point son action a déstabilisé les initiatives internationales –étant donné les sentiments qu’inspirent l'Amérique au reste de la planète, ce retrait pourrait même faire office de motivation perverse et inciter les autres pays à agir. Pour l’heure, l’ours polaire résiste.

Susan Matthews, Slate.com (Sciences)

Prédiction: eau potable. Trump fait de grands discours sur l’amélioration des infrastructures, mais il a confié l’Agence américaine de protection de l’environnement à Scott Pruitt, un homme connu pour sa propension à traîner cette même Agence en justice et pour ses opinions singulières: il estime que chaque État américain devrait gérer la propreté de son eau de manière indépendante. La simple présence de Scott Pruitt à la tête de l’Agence laisse présager une ou plusieurs catastrophes sanitaires semblables aux événements tragiques qui ont frappé Flint (Michigan).

Un an plus tard: plutôt vrai. Scott Pruitt n’y est pour rien, mais l’inaction de l’administration a bel et bien créé une crise sanitaire: Trump s’est surtout illustré en jetant des paquets de serviettes en papier dans la foule et en s’en prenant à la maire de San Juan (Puerto Rico) –sans doute parce que cette dernière avait soutenu Hillary Clinton pendant les élections. Cette crise touche malheureusement encore plus d’Américains que la situation tragique de Flint.

Ben Mathis-Lilley, Slate.com (Blog actu) 

Argent

Prédiction: dépenses publiques. Trump est animé par le désir d’être aimé; il se comportera donc à la Maison-Blanche comme il s’est comporté dans le secteur privé. Il exploitera les recettes publiques et il reportera les coûts sur d’autres populations. Les Républicains n’auront pas les baisses d’impôts qu’ils réclament, et les Démocrates auront des dépenses tous azimuts. Trump va détruire l’avenir de ce pays. Le déficit et la dette vont exploser.

Un an plus tard: vrai sur presque tous les plans. J’avais raison à propos de la dette, mais je me suis trompé dans l’ordre des mesures. Il a commencé par les baisses d’impôts (à même de faire exploser le déficit). Cette année, il aura les élections de mi-mandat en tête; il va donc certainement passer aux dépenses liées aux infrastructures. De l’argent pour tout le monde!

William Saletan, Slate.com (Correspondant national)

Prédiction: plans de sauvetage. Le Parti républicain va abroger la loi qui impose à chaque citoyen de souscrire à une assurance santé, tout en conservant les éléments populaires et plus onéreux d’Obamacare –la couverture santé pour les personnes souffrant d’une pathologie préexistante, par exemple. Tout cela va mener le secteur de l’assurance santé privée au bord de la ruine. Le gouvernement devra alors monter un plan de sauvetage deux fois plus important que celui du secteur automobile en 2008.

«L’augmentation des cotisations a déjà amené le gouvernement à verser des subventions plus importantes aux compagnies d’assurances [...].»

Un an plus tard: en cours. En un sens, le plan de sauvetage du gouvernement a déjà été lancé: l’obligation de souscrire une assurance n’a pas encore été abrogée, mais l’augmentation des cotisations a déjà amené le gouvernement à verser des subventions plus importantes aux compagnies d’assurances, afin de mettre les polices à la portée de la bourse des assurés. Cette augmentation de neuf à dix milliards de dollars est peu ou prou comparable au coût total du plan fédéral de sauvetage de l’industrie automobile, si l’on en croit l’ultime rapport gouvernemental –et il ne s’agit là que des dépenses de l’année écoulée. Un plan de sauvetage d’urgence sera-t-il nécessaire à terme? Cela dépendra du nombre de personnes qui feront le choix de ne plus s’assurer et de l’impact que ce phénomène aura sur les cotisations.

Jeremy Faust, urgentiste 

Prédiction: hospitalité. Sous Donald Trump, les très coûteuses restrictions d’entrées aux États-Unis et l’essor de la xénophobie vont provoquer une forte contraction du secteur de l’hospitalité, alors que les voyageurs étrangers dépensent plus d’argent aux États-Unis que dans n’importe quel autre pays.

Un an plus tard: en train de se réaliser. Le nombre de visiteurs venus de l’étranger s’est effondré cet été. En octobre, on a constaté que les États-Unis étaient en train de perdre des milliards. Le tourisme américain est à la peine; plusieurs pays le devancent désormais. En cause: l’effet Trump. Le nombre d’entrées sur le territoire a chuté brutalement après l’annonce des interdictions d’accès en janvier et en mars derniers. Je me vanterais bien volontiers d’avoir vu juste, mais la chose était pour le moins prévisible –au moins autant que le fait de croiser des Britanniques ivres dans le sud de l’Europe.

Cara Parks, rédactrice en chef de Roads and Kingdoms 

Prédiction: caritatif. Qu’elles s’inspirent de la vision de Donald Trump ou de Paul Ryan, les révisions apportées au code fiscal (abaissement du plafond pour les frais réels, abaissement du taux supérieur d’imposition) vont rendre les dons aux associations moins attractifs. Les associations caritatives à but non lucratif vont en pâtir.

«Seuls les plus riches seront encore incités à donner; la quantité et la nature des dons pourrait donc changer.»

Un an plus tard: bonne prédiction, mauvais moment? La première année du mandat de Donald Trump a été marquée par une frénésie de dons en tous genres liés à l’actualité: Marche des femmes, affaire du décret anti-immigration, violences de Charlottesville, catastrophes naturelles (Texas, Puerto Rico, Floride, Antilles). Planned Parenthood [le planning familial américain, ndlr] a constaté une forte augmentation des dons (532,7 millions de dollars pour l’année fiscale se terminant le 30 juin, contre 445,8 millions l’an passé). Les dons de l’Union américaine pour les libertés civiles (ACLU) ont presque triplé durant l’année s’achevant le 31 mars (274,1 millions contre 106,6 millions précédemment); l’affluence a même fait crasher son site internet lorsque l’elle a contribué aux efforts législatifs visant à faire bloquer le décret anti-immigration. «C’est l’effet Trump», a alors déclaré la directrice de l’association. Ceci étant dit, le projet fiscal signé en décembre dernier par le Parti républicain a bel et bien doublé le palier des déductions standards, ce qui va fortement réduire la tranche des contribuables pouvant économiser de l’argent en faisant des dons aux associations (5% des contribuables contre 30% précédemment). Seuls les plus riches seront encore incités à donner; la quantité et la nature des dons pourrait donc changer. Pendant ce temps, les propriétaires aisés vivant dans les États à majorité démocrate vont constater une baisse de leur revenu disponible, en raison du nouveau plafonnement des déductions fiscales locales (maximum de 10.000 dollars). Une étude publiée en mai par l’Université de l’Indiana prédit une baisse de 4,9 milliards de dollars dans les dons, pour une somme totale réduite à 13,1 milliards. Cela me semble tout à fait plausible –mais je me suis déjà trompé par le passé.

Henry Grabar, Slate.com 

Prédiction: Silicon valley. Trump va batailler publiquement avec Apple sur de nombreux fronts: impôts, droits LGBT et/ou surveillance et vie privée. La prise de bec va rendre leur côté «cool» aux produits Apple, même brièvement, et les ventes d’appareil vont s’envoler.

Un an plus tard: tout faux. Apple a même annoncé qu’il mettrait tout en œuvre pour ramener des emplois aux États-Unis. Trump a décroché son téléphone pour remercier Tim Cook et s’est empressé de déclarer que cette décision venait confirmer le bien-fondé de son programme politique.

Will Oremus, Slate.com (Technologie)

Prédiction: inégalités de revenu. Les Républicains vont fortement réduire les impôts des Américains à revenu élevé. Les «1%» vont se tailler une part encore plus importante du revenu national, et les plus riches se focaliseront sur l’accumulation de richesses. Lorsque les plus riches paient peu d’impôt sur le revenu, les dirigeants d’entreprise et les cadres insistent pour être payés davantage, parce qu’ils peuvent conserver une part plus importante de leur salaire –une théorie avancée par Thomas Piketty, entre autres chercheurs. Les salaires des PDG sont déjà pharaoniques, mais ils risquent de dépasser tous les records.  

Un an plus tard: le premier volet du processus est en place.

Jordan Weissmann, Slate.com (Entreprise)

Art

Prédiction: politique peoplisée. De nombreuses célébrités de gauche vont bientôt faire leur entrée dans l’arène politique. Les Démocrates sont très mal en point politiquement parlant –les Républicains les malmènent au Sénat– mais côté célébrités, ils dominent clairement la droite. La dernière élection l’a prouvé: rien n’empêche une vedette engagée de se lancer dans la course à la présidence. Bernie Sanders l’aurait peut-être emporté face à Trump, mais je pense qu’Oprah ou Tom Hanks l’auraient battu à plate couture. Ce serait là un phénomène néfaste pour l’Amérique, mais un phénomène moins néfaste que les événements de ces derniers mois.

«C’est sans doute l’un des aspects les plus déprimants de l’ère Trump: la farce devient réalité en moins de temps qu’il ne faut pour le dire [...].»

Un an plus tard: en plein dans le mille. Je dois avouer que ma prédiction de l’an dernier n’était pas entièrement sérieuse. Tout a basculé lorsqu’Oprah a prononcé son discours aux Golden Globes: dès le lendemain, des milliers d’articles inondaient les médias. J’aurais mieux fait de ne rien dire. C’est sans doute l’un des aspects les plus déprimants de l’ère Trump: la farce devient réalité en moins de temps qu’il ne faut pour le dire –et la réalité est aujourd’hui synonyme de tragédie. Je tiens à préciser qu’à mon sens, aucune célébrité ne devrait chercher à se faire élire, à l’exception du basketteur Baron Davis, petit-ami de Laura Dern et ancien joueur de la NBA: sa canditature serait plus qu’appropriée.

Jack Hamilton, Slate.com (Culture pop)

Prédiction: stéréotypes télévisuels. Les comportements anti-sociaux vont se faire de plus en plus courants au sommet de l’État, ce qui va provoquer un recul de la figure de l’anti-héros dans la culture populaire. Le spectacle de l’homme fort qui détourne les normes pour mieux servir son propre code moral va devenir de moins en moins attractif; la télévision et le cinéma vont se détourner des fictions machistes aux accents fascistes.

Un an plus tard: plutôt vrai. Comme l’a écrit Todd VanDerWerff, journaliste à Vox.com, dans son best of de fin d’année, «il est troublant de constater que l’essor de Trump a été préfiguré par la grande mode des antihéros télévisuels», et la mode a changé. Mais les vieilles habitudes ont la vie dure: j’en veux pour preuve The Punisher, série Netflix particulièrement gore mettant en scène un justicier hors-la-loi. Pendant ce temps, les services de streaming annulent un grand nombre de comédies expérimentales mettant en scène des protagonistes féminines. On note toutefois que les séries les plus applaudies de l’année (The Handmaid’s Tale, GLOW, The Deuce) n’ont plus rien de commun avec les habituels portraits psychologiques d’hommes violents n’en faisant qu’à leur tête.

Rebecca Onion, Slate.com

Prédiction: musique. Après l’élection de Trump, certains se sont dit: «Au moins, la musique sera bonne». Mais on ne peut pas établir de lien direct entre la musique «politique» et la bonne musique. Ce n’est pas la révolte politique pure et simple qui a donné un souffle si particulier à la fin de l’ère Obama, mais un sentiment radical de possibilités nouvelles –comme dans les années 1960–, depuis le Broadway d’Hamilton jusqu’au L.A. de Kendrick Lamar et au Nashville de Maren Morris. Peut-être aurons-nous droit à la vitalité du punk de l’époque anti-Thatcher/Reagan, peut-être faudra-t-il endurer la tiédeur maussade des années Nixon –souvenez-vous de l’esthétique anémique du concert de la cérémonie d’inauguration de Trump. Les artistes ne sont pas là pour prendre la tête d’un mouvement: ils reflètent notre énergie et nous la retourne, transformée; ils nous permettent de mieux la ressentir. Si nous ne nous retroussons pas les manches pour produire des cultures de soutien et de résistance, les rythmes rageurs d’aujourd’hui pourraient vite être noyés par les douces berceuses du désir d’évasion.

Un an plus tard: bonne prédiction. L’année 2017 s’est avérée extraordinaire sur le plan musical, mais la révolte et l’évasion hédoniste n’ont pas figuré en tête de liste des sources d’inspiration. Les morceaux étaient avant tout colorés par des émotions croisées: un sentiment de défi mêlé de tristesse, une irrévérence teintée d’introspection. De jeunes artistes comme SZA, Kesha, Kendrick Lamar et Cardi B (à sa manière) –de même que de nombreux artistes chevronnés– ont incarné l’esprit de la résistance par leur intégrité et par la singularité de leur expression créative. Ces artistes nous montrent à quel point les expériences intimes peuvent influencer la vie publique –une leçon politique remontant aux racines du féminisme moderne– et nous apprennent à nous défendre contre tous les bâtards qui cherchent à nous rabaisser.

Carl Wilson, Slate.com (critique musical)

Santé

Prédiction: handicap. Il sera de plus en plus difficile de faire respecter l’Americans With Disabilities Act (ACA), en raison d’une charge législative menée par les Républicains avec les projets de loi «ADA Notifications». De plus en plus de personnes en situation de handicap vont être placées dans des structures institutionnelles (prisons, hôpitaux psychiatriques, maisons de retraite). Si le Parti républicain abroge l’ACA, de plus en plus d’Américains en situation de handicap vont mourir ou tomber en dessous du seuil de pauvreté.

«Les tentatives de démantèlement de Medicaid, l'assurance santé des plus pauvres, ont été stoppées de justesse par les efforts héroïques de plusieurs acteurs sociaux [...].»

Un an plus tard: faux. Malgré leur mainmise sur le Congrès, les Républicains n’ont heureusement pas été en mesure d’adopter leurs projets de loi les plus destructeurs. Les Républicains de la Chambre des représentants ont toutefois adopté le texte HR 620 la semaine dernière; si ce dernier était promulgué, il rendrait l’ADA facultatif –nous verrons ce qui ressortira de son passage au Sénat. Les tentatives de démantèlement de Medicaid, l'assurance santé des plus pauvres, ont été stoppées de justesse par les efforts héroïques de plusieurs acteurs sociaux, dont l’association ADAPT. Paul Ryan a toutefois annoncé qu’au vu du déficit budgétaire –qui est exacerbé par son plan fiscal–, il projette d’assortir Medicaid d’une obligation de travailler et de limiter dans le temps le droit d’accès à cette assurance santé, ce qui ferait basculer dans la pauvreté beaucoup de personnes en situation de handicap.

David M. Perry, Pacific Standard (Handicap, histoire)

Prédiction: anxiété. Propos politiques alarmistes, dissolution imminente de nombreux socles de notre société: l’actualité injecte une forte dose d’anxiété dans la vie des citoyens américains. Nous assisterons à une hausse des prescriptions d’antidépresseurs et d’anxiolytiques. Je crains également que les patients ne commencent à faire des stocks de traitements de ce type, pour se préparer au rationnement à venir.

Un an plus tard: bonne prédiction. Les données relatives aux prescriptions de 2017 ne sont pas encore disponibles, mais j’ai remarqué une nette augmentation de l’anxiété chez mes propres patients. Certains d’entre eux sont des immigrés; ils sont particulièrement affectés par les expulsions et s’inquiètent constamment pour leur famille, leurs amis et eux-mêmes. La majorité de mes patients appartiennent à l’une ou à plusieurs des communautés que Trump a diabolisées et menacées. J’entends beaucoup plus parler de politique dans mon cabinet que par le passé. La perte de l’assurance santé est un sujet qui inquiète fortement mes patients et mes collègues.

Danielle Ofri, médecin et rédactrice médicale

Justice

Prédiction: droit de vote. Sous l’impulsion de Jeff Sessions, nouveau procureur général des États-Unis, le département de la Justice va changer son fusil d’épaule et annuler les procédures visant à remettre en cause la légalité de la loi sur les cartes d’identité des électeurs au Texas et celle de la loi visant à compliquer l’inscription sur les listes électorales et le vote en Caroline du Nord. De plus en plus d’États républicains vont alors adopter des lois restrictives de ce type, avant même que la Cour suprême ne puisse se pencher sur la question.

Un an plus tard: prédiction presque entièrement réalisée. Comme prévu, le département de la Justice a changé d'avis sur le Texas, où il a appuyé la stricte loi encadrant l’identification des électeurs, et sur l'Ohio, où il a soutenu l’État dans sa volonté de faciliter le retrait d’électeurs des listes électorales (la Cour suprême a refusé de se pencher sur l’annulation de la loi discriminante, invoquant des raisons techniques que j’espère avoir en partie inspirées). Les États Républicains cherchent encore à faire voter de nouvelles lois compliquant l’inscription sur les listes et le vote, et nous attendons que la Cour suprême se prononce sur la validité de l’action républicaine au Texas, dans l’Ohio et ailleurs.

Richard L. Hasen, professeur de droit et de science politique (University of California-Irvine School of Law)

Prédiction: avortement. Un infâme mélange de lois et de mesures anti-femmes concocté par les forces anti-IVG, voilà ce que l’avenir nous réserve: Planned Parenthood mis sur liste noire, contraceptifs non remboursés, fin du planning familial, services d’avortement stigmatisés et visés par de nouvelles restrictions... Tout cela va faire augmenter le nombre des grossesses non désirées et des avortements. Ces derniers auront lieu plus tard dans la grossesse, en dehors de l’État de résidence et sans supervision médicale. Certaines femmes souffriront plus que d’autres, en fonction de leur État et de leur niveau de vie. Mais le peuple américain résistera par le biais de groupes de pression, de procédures judiciaires, d’actions politiques et de manifestations. La mobilisation sera massive –la plus importante depuis l’époque Reagan–, mais les victoires concrètes seront rares avant les élections de 2018, qui verront le Congrès et les États revenir vers des positions pro-femmes, pro-IVG et donc vers le Parti démocrate.

«Les politiques de Trump ont dépassé toutes mes craintes. Elles ont insulté et blessé les femmes de la pire des manières [...].»

Un an plus tard: ce n’est que trop vrai. Les politiques de Trump ont dépassé toutes mes craintes. Elles ont insulté et blessé les femmes de la pire des manières: en visant les plus vulnérables d’entre elles (mineures sans papiers, victimes de viol, femmes pauvres), aux États-Unis et dans le reste du monde, afin d’interférer avec leurs propres décisions de santé sexuelle –du jamais vu depuis Roe v. Wade, il y a quarante-cinq ans. Mais les femmes ne se laissent plus faire, et elles n’attendent les élections de 2018 pour agir. J’en veux pour preuve les millions de femmes dans les rues, les dizaines de milliers de candidates politiques et #MeToo. Le mois de novembre 2018 fera date.

Dawn Johnsen, professeur de droit (Indiana University Maurer School of Law)

Prédiction: syndicats. Un juge conservateur sera nommé à la Cour suprême et les conservateurs vont lancer une nouvelle bataille judiciaire pour miner les syndicats de la fonction publique. Les adhésions syndicales se feront beaucoup moins nombreuses.

Un an plus tard: et voilà. Neil Gorsuch est à la Cour Suprême, l’action judiciaire est lancée et la Cour Suprême entendra les parties le 26 février.

Jim Newell, Slate.com 

Prédiction: cybersécurité. L’administration Trump a beau parler du «cyber» à tort et à travers, les cyberattaques réussies continueront de miner entreprises et organismes gouvernementaux.

Un an plus tard: ce n’est que trop vrai. Tout y est passé, des «mégafailles» d’envergure impressionnante –comme celle d’Equifax– jusqu'à la multiplication d'attaques d’un nouveau genre –comme les ransomwares. Mais il y a plus inquiétant: la Russie a monté la plus grande campagne de cyberattaque de l’histoire pour viser les États-Unis et plusieurs démocraties alliées, et l’administration s’est enfermée dans l’inaction. Le gouvernement russe et tous les assaillants potentiels ont bien reçu le message, qui est l’opposé de la dissuasion cybernétique: «Servez-vous, vous ne risquerez rien».

Peter W. Singer, expert en sécurité, senior fellow (New America)  

Normes

Prédiction: histoire. Les adeptes de l’autoritarisme aiment croire qu’ils vont marquer l’histoire et n’hésite pas à la réécrire lorsqu’ils y voient un avantage politique. L’administration Trump manipulera certainement le passé de notre nation sans prendre de gants. Si j’en crois le programme raciste de sa campagne, nous constaterons certainement un effort concerté visant à délégitimer l’histoire des luttes pour les droits civiques. Trump s’en est pris au représentant John Lewis le week-end du Martin Luther King Day; ce n’est pas une coïncidence. Dans le même temps, son administration cherchera à normaliser les répressions racistes qui ont marqué notre histoire –l'internement des Américains d’origine japonaise pendant la Seconde Guerre mondiale, par exemple. Elle brandira ces précédents pour légitimer toute action entreprise contre les musulmans, les immigrés ou toute autre population pouvant être prise pour cible. «Make America Great Again»: «rendre à l’Amérique sa grandeur», en effaçant de son histoire toutes traces des non-blancs.

«[Trump] est en train de créer une classe d’indésirables au sein-même de l’État –une stratégie directement héritée de l’autoritarisme.»

Un an plus tard: c’est en cours. La manière dont Trump a traité l’affaire de la manifestation néo-nazie de Charlottesville en août dernier, le blanc-seing qu’il a donné à la police de l’immigration –la déportation des non criminels a doublé en un an–, ses commentaires racistes –contre les joueurs de la NFL qui manifestent leur indignation, ou contre les pays «merdiques»–: tout prouve qu’il est bien décidé à nier le caractère pluriel de l’histoire américaine. En véhiculant le mythe d’une Amérique blanche, chrétienne et d’origine européenne, il est en train de créer une classe d’indésirables au sein-même de l’État –une stratégie directement héritée de l’autoritarisme.

Ruth Ben-Ghiat, professeure d’histoire (New York University)

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