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En Allemagne, le mot «Heimat» tente d'échapper à son passé nazi (et à son présent populiste)

Alors que le gouvernement envisage de renommer son ministère de l'Intérieur, l'intégration à son titre du terme «Heimat» fait débat.

<a href="https://de.wikipedia.org/wiki/Datei:Heimat-Wetzgau.jpg">Les lettres du mot «Heimat», plantées à Wetzgau, en Allemagne</a> | Wikimedia Commons <a href="https://de.wikipedia.org/wiki/Datei:Heimat-Wetzgau.jpg">License by</a>
Les lettres du mot «Heimat», plantées à Wetzgau, en Allemagne | Wikimedia Commons License by

Temps de lecture: 2 minutes - Repéré sur Quartz

Le réalisateur Edgar Reitz a mis près de trente ans à réaliser sa grande fresque de l'Allemagne des XIXe et XXe siècles, dont l'objet était, à travers l'histoire d'une famille de paysans de Rhénanie, de dépeindre celle du pays. Il fallait bien un titre suffisamment puissant et ramassé pour saisir le destin d'une telle nation: Heimat.

«Heimat» l'intraduisible, qui désigne d'un même souffle la patrie, la terre natale, celle des ancêtres, la région où l'on a grandi... En somme, le «chez soi» où l'on se sent bien, aussi vague que familier.

«Heimat», c'est aussi bien la mémoire heureuse d'une unité allemande et de ses traditions, que celle plus tragique et douloureuse du Troisième Reich, qui en avait brandi le symbole dans son idéologie nazie Blut und Boden, «le sang et le sol».

Un Heimatministerium

Aussi est-ce sans grande surprise que l'annonce faite le 7 février –par un contrat de coalition– du projet d'ajouter dans l'intitulé du ministère fédéral de l'Intérieur allemand le terme «Heimat» a provoqué des remous.

L'éventuel «ministère de l'Intérieur, du Heimat et de la Construction» a ravivé les termes d'un débat idéologique qui réapparaît de façon récurrente sur la scène politique allemande, notamment depuis que le parti d’extrême droite Alternative pour l’Allemagne (AfD), fondé en 2013, avait pris pour slogan la formule «Unser Land, unsere Heimat» («Notre pays, notre patrie»), forte d'un arrière-plan xénophobe.

Horst Seehofer, le président conservateur de l'Union chrétienne-sociale en Bavière (CSU, le «parti-frère» de la CDU présidée par Angela Merkel), connu pour son opposition à la politique d'accueil des migrants et qui devrait prendre la tête de ce ministère, a déclaré que ce ne serait pas une affaire «de dirndls et de lederhosen» [les vêtements traditionnels bavarois, ndlr] mais de mise en œuvre du «succès de la Bavière dans toute l'Allemagne», rapporte Quartz.

Seehofer a souligné que la Bavière, où un ministère du «Heimat» a déjà été établi en 2014, était le Länder le plus sûr du pays en matière de nombre de crimes commis. En 2017, la CDU avait également créé un «ministère du Heimat, des affaires communales, de la construction et de l’égalité» en Rhénanie-du-Nord-Westphalie, rappelait Thomas Wieder dans Le Monde.

Selon le contrat de coalition conclu entre CDU, CSU et SPD, l'objectif de ce nouveau ministère fédéral serait de «créer un niveau de vie égal dans les communes des zones rurales et urbaines».

Réappropriation politique

Depuis quelques temps, différents partis tentent de se réapproprier le terme de «Heimat» afin de ne le pas céder aux extrémistes et populistes, mais cette tentative de réhabilitation est loin de faire l'unanimité.

Dans une interview publiée par l'Evangelischer Pressedienst, Paul Nolte, professeur d'histoire à l'université libre de Berlin, déclarait que «dans ce cas, “Heimat” est un euphémisme pour “contrôle des frontières et politique d'immigration”», rapprochant par son nom le ministère allemand du Département de la Sécurité intérieure des États-Unis (United States Department of Homeland Security):

«Le ministère américain n'est pas principalement occupé par des programmes tels que “nos villages devraient être plus jolis”, il s'agit du contrôle des frontières et de l'immigration.»

Cette réhabilitation sémantique a également des visées électorales. Lors des élections législatives de 2017, la victoire d'Angela Merkel, avec 33% des voix, avait été ternie par le score historique de l'AfD (12,6%). Alors que les chrétiens démocrates réalisaient leur plus mauvais score depuis 1949, il s'agit pour eux de remobiliser des électeurs.

«Essayer de s'approprier le concept de patrie pourrait peut-être offrir aux électeurs quelque chose de plus émotionnel, surtout pour ceux qui ont été exclus du boom économique du pays», suggère Quartz.

La plasticité du terme de «Heimat» permet d'ici-là toute réinterprétation –ou torsion–politique.

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