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Le chianti, c'est pas de la piquette

Il est souvent meilleur que les vins chers.

Le chianti est le vin le plus réputé d'Italie et le caractère épique des querelles qui entourent sa fabrication est la meilleure preuve que c'est le plus italien des vins d'Italie. Dans les années 60 et 70, le chianti était un produit bas de gamme sans grande saveur. Les gargotes de la région, avec leurs nappes à carreaux et leurs juke-box, servaient leurs pizzas accompagnées de la célèbre bouteille ventrue ceinturée de raffia, (que les Italiens appellent très justement fiasco).

Ce cliché, bien que totalement dépassé aujourd'hui, subsiste dans l'esprit de nombreux amateurs. Au cours des trente dernières années, le chianti a en effet subi une profonde crise d'identité due aux nombreuses fluctuations de la législation en matière de vinification en Toscane. Heureusement, la situation actuelle est encourageante et on trouve de très bons chiantis sur le marché, dont certains offrent même un excellent rapport qualité-prix. En outre, ce vin a le mérite de s'accorder parfaitement avec une grande variété de mets, et notamment avec les saveurs hivernales.

Des hectolitres de tord-boyaux

Les disputes interminables autour du chianti ne sont que l'écho d'un débat plus large qui a lieu en Toscane à propos du sangiovese, le cépage le plus typique de la région. Le sangiovese, dont certains prétendent qu'il signifie « Sang de Jupiter », est originaire de Toscane. Les vignerons de la région l'ont longtemps considéré comme un cépage si grossier et si tannique que, pour en faire un vin buvable, il fallait absolument l'assembler à d'autres cépages. A partir des années 1800, on vinifiait le chianti en ajoutant au sangiovese une grande proportion de canaiolo ainsi que deux cépages blancs, le trebbiano et le malvasia.

En 1967, le gouvernement italien homologua cette recette, décrétant que la composition du chianti devait désormais obligatoirement intégrer ces quatre cépages et que les deux cépages de blanc devaient entrer à hauteur de 10 à 30 pour cent dans la composition finale. L'ennui, c'est qu'il n'y avait pas de véritable harmonie entre les cépages blancs et le sangiovese, et cette union malheureuse, combinée à une politique de rendements excessifs, à des vignes médiocres et une piètre vinification, produisit des hectolitres de tord-boyaux.

La rébellion des vignerons

A la fin des années 60 et au début des années 70, des vignerons rebelles décidèrent de passer outre la législation italienne. Ils introduisirent de nouveaux cépages, notamment le cabernet sauvignon, et remplacèrent les énormes tonneaux slovaques dans lesquels le chianti était traditionnellement vieilli par des fûts de chênes français plus petits. Ces vins, déclassés parce qu'ils enfreignaient la législation, perdirent le nom de chianti et reçurent le grade le plus bas de la classification italienne, vino da tavola (vin de table).

Toutefois, le Sassicaia, le Tignanello et l'Ornellaia, étaient largement supérieurs à la plupart des chiantis officiels et à partir des années 90, ces vins surnommés les « super toscans », devinrent les plus prisés du marché. La plupart contiennent du sangiovese en quantité variable, mais certains s'en passent totalement. C'est le cas du Sassicaia, le premier des super toscans (sa première cuvée date de 1968) et le plus recherché, mélange de cabernet sauvignon et de cabernet franc.

Revirement de la législation sur le chianti

Une poignée de viticulteurs de la région du Chianti Classico, terroir historique des meilleurs chiantis, inspirés par l'esprit révolutionnaire de leurs voisins, décidèrent de fabriquer des vins de qualité supérieure à partir d'un seul cépage. Paolo di Marchi sur son domaine Isole et Olena et Sergio Manetti à Montevertine se lancèrent dans la production d'un vin composé à 100 pour cent de sangiovese. Le nouveau vin de Di Marchi fut baptisé le Cepparello et celui de Manetti, le Pergole Torte. Ces deux vins, fabriqués avec la même rigueur (respect de la vigne et faible rendement) que le Sassicaia et le Tignanello, n'eurent pas droit non plus aux honneurs de l'appellation chianti parce qu'ils étaient vinifiés à partir d'un seul cépage. Ils furent relégués au grade de vino da tavola mais rejoignirent vite les rangs des super toscans.

Devant le nombre croissant de viticulteurs décidés à ignorer les règles d'appellation afin de fabriquer un vin meilleur et plus apprécié, les autorités italiennes finirent par comprendre qu'il était temps de changer ces règles. A partir de 1984, la législation sur le chianti autorisa l'introduction de cépages « internationaux » tels que le cabernet sauvignon, le merlot, et la syrah dans une proportion de 10 pour cent. Le pourcentage obligatoire de cépage blanc fut diminué.

En 1996, les autorités reconnurent le Chianti Classico comme un territoire autonome de la région du chianti. Les viticulteurs du Chianti Classico furent bientôt autorisés à fabriquer un vin exclusivement composé de sangiovese. L'obligation d'ajouter des cépages blancs cessa et l'assemblage fut même interdit après 2005. La quantité maximum de cépage international autorisée passa à 15 pour cent en 1996, puis à 20 pour cent quatre ans plus tard. Aujourd'hui, un Chianti Classico doit obligatoirement contenir au moins 80 pour cent de sangiovese et peut contenir jusqu'à 20 pour cent de cabernet, de merlot, de syrah ou de cépages italiens tels que le canaiolo ou le colorino.

Un cépage des plus sensuels

Quels assemblages font les meilleurs Chianti Classico ? Tout dépend de votre goût pour le sangiovese. Personnellement, j'en suis très amateur. Ses arômes de cerise, de violette, de terre, de tabac et d'herbes en font un cépage des plus sensuels. Il exhale un parfum caractéristique de ce terroir. Pour moi, il exprime la saveur authentique de la Toscane. A ce titre, il occupe en Italie une place centrale dans le monde du vin et il est l'objet de nombreux débats et même de scandales. Il me suffit de le humer et, comme Kevin Kline dans Un Poisson nommé Wanda, je me mets à baragouiner l'italien avec faconde. (Malheureusement, cela n'a absolument pas le même effet sur ma femme que sur Jamie Lee Curtis.) Toutefois, sachez que l'adjonction d'un cépage aussi puissant que le cabernet et l'utilisation inconsidérée des fûts de chêne neufs peuvent avoir des effets très négatifs, et risquent notamment d'écraser le sangiovese.

Pour vous initier aux délices du sangiovese, j'ai sélectionné quelques Chiantis Classico. J'ai préféré la catégorie normale à la catégorie riserva. Les riserva vieillissent plusieurs années avant la mise en bouteille, ils coûtent plus chers et sont considérés comme des vins plus prestigieux, mais ils sont conservés dans des fûts de chêne neufs et leur mode de vinification est plus moderne, c'est-à-dire plus anonyme. Vous aurez le plaisir, une fois n'est pas coutume, de payer moins cher des vins qui seront très souvent de meilleure qualité.

Petite sélection des meilleurs chiantis

Le meilleur chianti disponible sur le marché ne porte pas le nom de chianti. (En effet, au début des années 80, déçu par la mauvaise qualité des chiantis et lassé par les disputes sans fin sur la réglementation, Sergio Manetti, le propriétaire du domaine Montevertine, a renoncé à l'appellation). Depuis, il a créé le Pergole Torte, fait entièrement avec du sangiovese. C'est également lui qui vinifie le Montevertine 2004 (40$), un assemblage de 90 pour cent de sangiovese, de 5 pour cent de canaiolo et de 5 pour cent de colorino. Ce vin très bien fait a un bouquet agréable de cerise, de cèdre, de violette et de terre. Sa bouche est soyeuse et il a la finesse d'un très bon vin de Bourgogne. Le Montevertine, qui fait vraiment ressortir toutes les qualités du sangiovese, sera encore meilleur si vous le carafez une demi-heure avant de le servir. Et Sergio Manetti a un troisième atout dans sa manche.

Le Pian del Ciampolo 2007 (25$), est également fait entièrement de sangiovese. S'il a moins de longueur en bouche que le Montevertine, son bouquet d'arômes très agréable en fait un vin délicieux. Le Montesecondo Chianti Classico 2006 (24$) a un nez classique évoquant la cerise, la terre, le cuir, la réglisse et les herbes, et ses arômes restent en bouche. Les tanins sont très présents mais ils se déposent au bout d'un moment. C'est un chianti fabuleux à un prix défiant toute concurrence.

Un vin pour pizzas ?

Le Castello dei Rampolla Chianti Classico 2006 (28$), vinifié dans un des domaines les plus renommés du chianti, est tout aussi étonnant. Ses notes riches de cerise noire et d'herbe grillée peuvent parfois donner la sensation d'un vin presque trop mûr, mais c'est un chianti puissant, bien équilibré et très élégant. Le Isole e Olena Chianti Classico 2006 (20$) est également un vin d'une grande maturité mais il a assez de structure et de minéralité pour faire ressortir le fruit, et il a aussi une note de tabac très plaisante. (Si vous avez les moyens, offrez-vous le Cepparello du domaine Isole e Olena, un super toscan fait uniquement à partir de sangiovese. On trouve encore la cuvée 2005 à 65$ la bouteille, c'est un vin remarquable.)

Le Coltibuono Chianti Classico RS Selection 2007 (11$), vendu à un prix défiant toute concurrence, a un nez typiquement italien de cerise, d'herbe sèche et de cèdre. Riche en notes épicées, il a une acidité vive et des tannins rustiques mais agréables. Parmi les autres chiantis qui méritent le détour, il y a le Fontodi, le Felsina, le Castello di Ama, le Villa Ritina et le Querciabella. On considère souvent le chianti comme un vin idéal pour les pizzas, ce qui montre qu'on ne le prend pas encore très au sérieux. S'il est vrai que le chianti se marie bien avec la charcuterie, il s'accorde aussi avec les pâtes et les rôtis, surtout accompagnés de champignons, qui font ressortir son goût terreux. Dernier avantage, s'ils ne sont pas les vins les plus charpentés qui existent, les chiantis ont une vertu non négligeable si vous vous trouvez dans l'hémisphère Nord en ce moment, ils vous réchauffent la couenne. Mike Steinberger

Traduit par Sylvestre Meininger