Santé

Recherche sommeil désespérément

Simulateurs d’aube, exercices de respiration, filtres anti-lumière bleue… Alors qu'un Français sur trois déclare mal dormir, le sommeil est en passe de devenir la nouvelle obsession santé.

<a href="https://unsplash.com/photos/kqDEH7M2tGk">Réveil difficile</a> | Kinga Cichewicz via Unsplash <a href="https://unsplash.com/@all_who_wander">License by</a>
Réveil difficile | Kinga Cichewicz via Unsplash License by

Temps de lecture: 5 minutes

«Je suis encore sous le choc. Ici, il est cinq heures du matin, je suis avec ma femme, en pyjama.» On est le 2 octobre 2017. Surpris au saut du lit, le généticien américain Michael Roshbah vient d’apprendre qu’il était prix Nobel de médecine.

Avec ses confrères Jeffrey C. Hall et Michael W. Young, il a mené des travaux sur la protéine PER et son action sur l’activité rythmique des êtres vivants: «Ils ont découvert les rouages de notre horloge biologique», résume Claude Gronfier, chercheur à l’Inserm. Une horloge qui, lorsqu’elle se dérègle, est la cause de nos troubles du sommeil et du fameux jetlag.

Un enjeu de santé publique

Cette découverte devrait permettre de mieux traiter de nombreux problèmes, tels que l’insomnie chronique, l’apnée du sommeil, le syndrome des jambes sans repos ou encore le somnambulisme.

D’après Isabelle Arnulf, directrice de l’Unité des pathologies du sommeil de l’hôpital de la Pitié Salpêtrière, «depuis le siècle dernier, les Français ont perdu jusqu’à une à deux heures de sommeil». La tendance s’est accélérée au cours des vingt dernières années, avec l’apparition des smartphones et l’explosion du stress au travail. Les adolescents et les personnes âgées sont globalement les plus touchées, même si les actifs ne sont pas épargnés.

Selon Isabelle Arnulf, «notre société moderne est en dette de sommeil». Un déficit qui se paie au prix fort: troubles de l’attention, diabète, augmentation du risque d’obésité ou d’AVC. Le manque de sommeil joue également un rôle dans le déclenchement des cancers hormonodépendants (cancers du sein et de la prostate) et sur l’aggravation des troubles d’Alzheimer.

Pire: malgré la croyance populaire, une courte ou mauvaise nuit ne se «rattrape» pas et si, arrivé le week-end, vous ressentez le besoin de dormir jusqu’à midi, c’est que vous êtes probablement en carence de sommeil. Un problème souvent chronique à ne surtout pas prendre à la légère, d’autant qu’il n’est pas toujours facile de poser un diagnostic. Pour ceux qui dorment seuls, il arrive que certains troubles restent longtemps inaperçus –c’est fréquemment le cas avec les somnambules.

Le bon côté des choses? Longtemps dédaignée, la médecine du sommeil connaît aujourd’hui des avancées majeures: «On découvre une maladie du sommeil tous les cinq ans», confiait Isabelle Arnulf au micro de France Culture, en janvier dernier.

Tout ça vous semble bien loin de vos préoccupations, vous qui pouvez veillez jusqu’à pas d’heure et vous levez aux aurores le lendemain? C’est que comme 1% de la population française, vous faites partis des «vrais courts dormeurs», se contentant facilement de quatre ou cinq heures de sommeil par nuit.

Balzac était dans ce cas: il travaillait la nuit et dormait le jour, se gardant éveillé à grands renforts de café –jusqu’à cinquante tasses par jour tout de même–, dont certains affirment qu’il le tua (l’auteur de la Comédie humaine est mort d’une crise cardiaque à 51 ans…).

Rythmes déréglés et courtes nuits sont aussi le lot de nos hommes politiques. Lorsqu’il était ministre de l’Économie, il n’était pas rare qu’Emmanuel Macron close une conversation SMS à deux heures du matin pour la reprendre à cinq heures. Dormir seulement trois ou quatre heures en moyenne par nuit est une singularité que notre président partage avec Napoléon Bonaparte, Victor Hugo, Winston Churchill, ou encore… Donald Trump.

«Qu’avons-nous fait de notre crépuscule?»

Les bouleversements de notre horloge biologique ont des causes multiples. En tête, l’invasion des écrans perturbant l’émission de mélatonine, l’hormone du sommeil.

Le chercheur américain Charles Czeisler est l’un des tout premiers à avoir alerté sur les dangers de cette lumière artificielle. Se désolant de la présence excessive des écrans dans nos vies, il se demande «ce que nous avons fait de notre crépuscule» et conseille, venue l’heure du coucher, de «troquer le portable contre un bon livre». 

Pour ceux qui ne seraient pas prêts à faire cette concession, des alternatives existent, comme les verres de lunettes spéciaux ou les filtres pour écrans atténuant la lumière bleue. 

Mais nous ne sommes pas seuls responsables. Encore méconnues, les nuisances causées par la pollution lumineuse des villes ont des répercussions sur notre santé. On considère aujourd’hui que 80% des habitants de la planète vivent sous des cieux pollués, inondés par la lumière artificielle de l’éclairage urbain.

Si ses effets sont bien étudiés sur la faune, de récentes études pointent aussi les dangers qu’elle causerait sur l’homme, en aggravant notamment les risques de dépressions saisonnières.

«Sleep tech» et nouveaux marchands de sable

Pour lutter contre le manque de sommeil, tous les moyens sont bons: boire des infusions de tilleul ou de camomille, faire de sa chambre un sanctuaire sans écran, dîner léger ou encore aménager son environnement selon les règles du feng shui…

Et lorsque les traitements légers ne suffisent plus, les Français n’hésitent pas à recourir à des remèdes thérapeutiques plus lourds: la France est, derrière l'Espagne, le deuxième plus gros consommateur en Europe de benzodiazépines (anxiolitiques et hypnotiques), utilisés pour traiter l’insomnie.

Pour autant, à côté des remèdes de grand-mère et de la chimie dure, d’autres alternatives sont en train d’émerger. Aussi paradoxal que cela puisse paraître, la solution au manque de sommeil pourrait bien venir de nos portables.

Il existe déjà une armada d’applications en tous genres: exercices de méditations, applis prétendant décortiquer vos cycles de sommeil, mode «night shift» qui adapte la luminosité de l’écran à la lumière du jour ou encore playlist «spécial endormissement», qui fait entendre la pluie qui tombe ou le ressac des vagues sur une plage.  

Le marché est lucratif, à en croire la profusion de gadgets high-tech de plus en plus sophistiqués sur le marché. En France, la compagnie Dreem commercialise un bandeau connecté à porter au moment du coucher; plusieurs options visant à faciliter l’endormissement sont disponibles –comme cette voix de femme qui égrène une liste de mots favorisant la détente.

Le bandeau analyse également vos fréquences cardiaques et respiratoires ainsi que votre activité cérébrale, pour vous garantir un suivi prolongé et adapté.

La «Sleep revolution» en marche

La «Sleep revolution» est en marche, et il n’aura pas fallu attendre longtemps pour que le monde de l’entreprise flaire le bon filon.

Chez Renault, Adidas ou encore Casper, une marque de literie haut de gamme, la direction a mis à la disposition de ses employés des salles de siestes, baptisées «calm space» ou «zen space».

Au siège social américain de Casper, les employés n’ont pas seulement la possibilité de piquer un roupillon, ils y sont fortement encouragés! Chaque heure de sommeil peut en effet leur rapporter de l’argent; il leur suffit de rentrer leurs données quotidiennes sur l’application IcentFit: une nuit complète équivaut à un peu plus d’1,50 euro.

Il est également possible de suivre ses activités physiques, rémunérées plus de 2,50 euros pour chaque kilomètre parcouru au pas de course et jusqu’à seize euros la séance de fitness. Plafonnée à 150 euros mensuels, cette rémunération incitative, fondée sur le mieux-être, rencontre un vif succès.

Dans un pays obsédé par la productivité, le manque de sommeil fait planer sur l’économie nationale une menace qui se chiffre en millions. D’après Arianna Huffington, puissante femme d’affaire américaine et fondatrice du Huffington Post, les Américains se tuent à la tâche, la faute à une culture de l’épuisement où le «manque de sommeil est devenu un symbole de virilité».

Depuis qu’elle s’est fracturée l’os de la pommette en tombant de fatigue sur son bureau en 2007, cette «workaholic» repentie a fait du manque de sommeil son nouveau cheval de bataille. Cela fait bientôt dix ans qu’elle écume les plateaux des TED Talks, où elle distille ses conseils.

Dans un livre paru en 2016, La Révolution du sommeil: Transformez votre vie, nuit après nuit, elle recommande d’aborder le coucher selon un vrai rituel: bain au sel d’Epsom, pyjama de soie ou bougies parfumées.

Dans sa chambre, Arianna Huffington a banni toute lumière artificielle. D’ailleurs, lors de ses déplacements professionnels, elle emmène toujours avec elle son rouleau de ruban adhésif opaque, afin de masquer la lueur des réveils ou des voyants lumineux. Elle l’assure, «bien dormir est la clef du succès».

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