France / Parents & enfants

Arrêtez de nous saouler avec le ski

Le zonage des vacances scolaires a été influencé par les professionnels du tourisme hivernal pour arranger leurs affaires. Or les vacances à la neige sont chères, et donc profondément inégalitaires.

<a href="https://unsplash.com/photos/oG894_zQCZE">Tout le monde n'a pas la chance de sortir du tunnel.</a> | Thomas Kelley via Unsplash <a href="https://unsplash.com/@thkelley">License by</a>
Tout le monde n'a pas la chance de sortir du tunnel. | Thomas Kelley via Unsplash License by

Temps de lecture: 5 minutes

Quand j’étais au collège, collège bourgeois d’une ville bourgeoise, le retour des vacances de février était toujours difficile.

De nombreux copains arboraient ces marques de bronzage caractéristiques du masque qu’on porte au ski. Les joues hâlées, ils se racontaient plein d’anecdotes de télésiège, de poudreuse, de schuss, de bosses. Moi qui n’avais fait qu’une fois du ski alpin en classe de neige, j'en crevais de jalousie.

«J’ai pris conscience très jeune du fait que les vacances étaient un truc hyper marqué socialement»

En général, en février, je n’avais pas grand-chose à raconter. Je ne sais plus les fois où nous sommes partis/pas partis avec ma famille mais faire du ski de piste ne disait rien à mes parents et surtout c’était beaucoup trop cher. Eux, leur truc, c’était les vacances en camping-car et le combi et c’est moyennement hiver compatible, d’ailleurs dans mon collège personne ne semblait avoir jamais fait de camping. Plus jeune, dans mon école élémentaire (Zep, logement social, etc.), personne ne partait en février et peu de monde parlait des vacances en général.

Dans mon collège c’était l’hiver à la neige, l’été à la mer et des tas de bonnes-mamans qui faisaient des gâteaux dans leur grande maison à la campagne. J’ai donc pris conscience très jeune du fait que les vacances étaient un truc hyper marqué socialement; pas besoin d’avoir lu Bourdieu pour m’apercevoir que les vacances était aussi un énorme «levier de distinction.» Et plus encore les si chers sports d’hiver. 

Less statistiques sur le sujet sont implacables –le ski est rare. Ainsi le Crédoc donnait des chiffres très précis l’année passée, les voici tels que repris par l’Observatoire des inégalités:

«40% des cadres partent en vacances l’hiver au moins une fois tous les deux ans, contre 9% des ouvriers. Seuls 8 % des Français partent au ski au moins un an sur deux.»

Des vacances calées pour arranger les affaires des professionels du tourisme

C’est peut-être heureux pour la montagne qui souffre déjà suffisamment de ce tourisme saisonnier. Mais ce qui semble fou c’est le nombre de sujets dans la presse, à la radio et à la télévision sur les «vacances à la neige». Les JT documentent très régulièrement l’enneigement en station. Et bientôt on pourra voir de mignons enfants dévaler maladroitement les pistes.  Je me souviens assez précisément de ce que je ressentais, gamine, en voyant ces reportages à la télé: le sentiment que je passais des vacances pourries. Des vacances à voir la pub «la montagne ça vous gagne» en m’imaginant combien ça serait cool d’en être.

Et encore à l’époque, ces vacances de février ne duraient souvent qu’une semaine! Maintenant les petites vacances durent toujours deux semaines selon le dogme du six semaines d’école/deux semaines de vacances. Cette théorie ne repose sur rien de solide d’après la spécialiste en chronobiologie Claire Leconte. D’ailleurs, elle n’est même pas respectée dans l’organisation des vacances. Et pour cause! Les vacances de février sont taillées sur mesure pour l’économie des sports d’hiver. Ce sont elles qui expliquent la séparation de la France en trois zones. La troisième zone date de 1972, après la création de la zone 2 l’année des Jeux olympiques d’hiver, comme l’explique l’historien Claude Lelièvre

«Dès 1968, le zonage géographique des congés de la mi-février est mis en place: deux zones décalées d’une semaine, chaque congé n’ayant qu’une durée de 9 jours. On passe à trois zones en 1972, à la suite des demandes insistantes des professionnels du tourisme d'hiver, ce qui accentue le déséquilibre de la périodisation du temps scolaire.»

Ainsi l’année passée, la zone C (les académies franciliennes et Toulouse) a commencé ces vacances d’hiver un mois après la rentrée de janvier. Cela fait des années que les spécialistes de la chronobiologie mais aussi bien des enseignants le disent, les petites vacances mieux réparties dans l’année empêcheraient que le troisième trimestre soit trop long.. Pour la zone qui part le plus tôt en vacances, il y plus de deux mois entre la fin des vacances de Pâques et le début des vacances d’été... La répartition, le rythme, la durée des petites vacances n’a aucun sens du point de vue des rythmes de l’enfant. Ce qui est amusant c’est que nos vacances de février de deux semaines n’ont absolument pas d’équivalent dans les pays voisins: elle sont beaucoup plus réduites (Allemagne, Pays Bas, Grande Bretagne), ou inexistantes (Italie, Espagne – quelques jours seulement pour le carnaval).

L'alternative? Centre de loisirs, centre commercial...

Récemment ma collègue Nadia Daam se demandait pour rigoler pourquoi il n’y a pas de tubes de l’hiver alors qu’il y a des tubes de l’été? J’ai la réponse: personne ne part en vacances! Sur cinq semaines de congés payés, beaucoup de gens préfèrent faire une croix sur février et tout miser sur l'été. L’absence de chansons populaires connues de tous en cette saison pourrait être la preuve s’il en est que les vacances d’hiver sont beaucoup, beaucoup moins démocratiques que les vacances d'été. Et pas de vacances, pas de chanson. 

Chronique de Nadia Daam sur Europe 1. Via YouTube.

Alors que faire pendant nos looooooongues vacances de février taillées pour des vacances qu’on ne peut pas se payer? Où sont les enfants qui ne vont pas au ski et dont personne ne parle? Voici ce que dit Véronique Decker, directrice d’école qui travaille à Bobigny depuis trente ans: 

Aujourd’hui il y a Gulli et c’est 24h sur 24h idem pour les tablettes et les téléphones. Je sais qu’une journée à la maison revient à faire la police des écrans et à essayer de remettre la main sur mon téléphone sur lequel défilent des vidéos de Norman et Squeezie. Le seul moyen d’y échapper, que je travaille ou non, c’est le centre de loisirs.

Mais dès que les enfants sont plus grands et que cette possibilité n’existe plus, le centre dans lequel de nombreux gamins vont se rendre pendant les congés c’est le centre commercial. C’est à Créteil Soleil, Italie 2, Plan de Campagne ou Rivetoile qu’il faudrait aller tourner des reportages pour montrer des adolescents en vacances.

On pourrait aussi parler des collèges qui restent ouverts pour accueillir des collégiens, des bibliothèques municipales et des stages organisés dans les centres d’animation. Et du coté des enfants plus jeunes, raconter les centres de loisirs qui rendent cet immense service aux familles de garder les enfants et de leur proposer des activités. Ou aller voir les enfants qui ne font tout simplement rien… En fait, si on parle davantage du camping l’été depuis quelques années, le traitement journalistique des vacances souffre d’un énorme impensé bourgeois. Et ce sont des millions d’enfants qui sont ainsi invisibilisés – bien sûr, on reparlera d’eux pour évoquer les mauvaises «performances» de notre système éducatif.

La reproduction des inégalités

En attendant, les vacances reposantes, aérées, proches de la nature, considérées comme normales, entretiennent une fausse représentation de ce qu’est le temps libre des enfants et adolescents. Le sujet est loin d’être si innocent car ces nombreuses semaines loin de l’école sont aussi un temps pendant lequel les inégalités se creusent, entre ceux dont les parents auront le temps, l’argent et l’énergie d’organiser des congés de carte postale, et ceux qui ne peuvent pas leur offrir ce bol d'air. Or vous savez quel est le problème numéro un de l’école française? La reproduction des inégalités. Le lobby des sports d’hiver doit il nous interdire de réfléchir au poids des vacances dans ces inégalités? Toujours est-il que les ministres successifs parlent d’aménagement du temps scolaires et réorganisent les semaines (4 jours/4 jours et demi et un retour de fait à quatre jours dans de nombreuses communes l’année dernière) mais ne touchent pas au lobby du tourisme blanc… 

Et je n’irai pas au ski cette année, même si mes années de frustration ont rendu les sports d’hiver hautement désirables à mes yeux: trop d’enfants, toujours beaucoup trop cher –j’ai abandonné l’idée. Ce qui, paradoxalement, me console, c’est que mes enfants n’aiment pas trop le ski. Ils préfèrent de loin regarder la télé et aller passer leurs vacances dans l’appart' de mes parents, en banlieue. Reste à trouver ce qu’on va bien pouvoir faire pendant ces satanées vacances de février…

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