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On a goûté la cuisine des chefs nouvellement étoilés du Guide Michelin 2018

Deux chefs exceptionnels justement honorés d'une troisième étoile, et cinq autres avec un macaron dans chaque oeil. Après les distinctions, place aux assiettes. Bon appétit!

Cérémonie du Michelin 2018. |Jacques Demarthon / AFP
Cérémonie du Michelin 2018. |Jacques Demarthon / AFP

Temps de lecture: 5 minutes

La nouvelle édition du guide rouge créé en 1900 distingue 621 chefs étoilés, avec cinquante-sept nouveaux, dont deux trois étoiles: Marc Veyrat à la Maison des Bois à Manigod, son village de Haute-Savoie, et le corse Christophe Bacquié à l’Hôtel du Castellet en Provence, un vétéran et un quadra plein d’avenir.

Marc Veyrat

Perdre sa troisème étoile...

Le pays de Rabelais et de Brillat-Savarin, auteur de la Physiologie du goût (1825), détient le record du monde des tables triplement étoilées: vingt-six. Le guide rouge peine à retirer une étoile à ces adresses de rêve qui «valent le voyage» (dixit le Michelin), craignant l’effet boomerang de la sanction.

En 2005, quand Jacques Lameloise a perdu la troisième étoile dans le restaurant familial de Chagny, à quelques kilomètres de Beaune, la chute de la fréquentation a obligé le grand chef à ouvrir le lundi soir afin d’équilibrer son budget.

De même, Jean-Michel Lorain, ex-trois étoiles à la Côte Saint Jacques à Joigny, a ressenti le choc de la sanction: par chance, il a d’autres activités de restauration et d’hôtellerie dans sa ville et à Bangkok.

Récupérer la troisième étoile envolée reste un challenge ardu. Lameloise y est parvenu en 2007, mais le Grand Véfour de Guy Martin et le Taillevent du chef Alain Solivérès à Paris n’ont pas retrouvé le trophée, ce qui n’a pas gêné la progression régulière du chiffre d’affaires. L’effet Michelin s’est-il estompé avec le temps?

La deuxième étoile, dernière marche avant le paradis

Dans le palmarès 2018, le guide rouge a promu cinq bons restaurants à deux étoiles (quatre-vingt-cinq en tout). C’est le vivier d’excellents toqués dont les plus talentueux pourront accéder à la sacro-sainte troisième, «le rêve de tout cuisinier digne de ce nom», «le plus beau jour de ma vie» avait lancé le bayonnais orphelin René Lasserre quand son restaurant légendaire du bas des Champs-Élysées avait obtenu la troisième étoile en 1962.

La seconde étoile est la dernière marche avant le paradis –la troisième, si convoitée. C’est le passage obligé car la méthode du Michelin est réglée comme du papier à musique, il faut une progression régulière dûment constatée par les inspecteurs du guide rouge pour avancer dans le classement. Les vrais foodistes savent que l’excellence culinaire se lit à l’avant-dernière marche, dans la plupart des tables à deux étoiles, comme chez Michel Rostang à Paris XVIIe, maintenu: le restaurant est bien fréquenté, l’un des meilleurs de Paris. «Cuisine superbement classique», écrit le guide 2018.

Voici les cinq nouveaux deux étoiles de cette année:

L’Hostellerie Jérôme à La Turbie, au-dessus de Monaco, récupère la seconde étoile. Le chef Bruno Cirino, italien pur Parme, l’avait perdue en 2014 sans raison valable. Il fut le bras droit d’Alain Ducasse au Louis XV, un singulier connaisseur des produits et des ressources du pays niçois et des collines pentues, chercheur de citrons, de jasmin, de ricotta –une récompense amplement méritée. 20 rue du Comte de Cessole. Tél. : 04 92 41 51 51. Menus à 78 et 138 euros. Aussi un bistrot familial sur la place du village.

Au 14 Février à Saint-Amour-Bellevue, un bled de 552 habitants perdu en Saône-et-Loire, où le chef japonais Masafumi Hamano panache le meilleur de la tradition française et la rigueur nippone, ce qu’apprécient les inspecteurs du guide formés au métissage des cultures culinaires. Le Michelin recommande la poêlée de foie gras de canard, le homard breton rôti et le dôme au chocolat blanc –une vraie découverte. Lieu-dit le Plâtre-Durand. Tél. : 03 85 37 11 45. Menus à 52 et 92 euros.

L’Auberge du Père Bise d’illustre mémoire sur le lac d’Annecy a été retapée et modernisée par le chef Jean Sulpice et sa femme Magali, venus des sommets alpins. À Talloires, c’est une résurrection, et la terrasse sur les eaux un enchantement. Il faut y aller. 303 route du Crêt. Tél. : 04 50 60 72 01. Menus à 98 et 210 euros.

Restaurant Takao Takano. À Lyon, Paul Bocuse et ses chefs Meilleurs Ouvriers de France n’ont cessé de conseiller la cuisine exquise de Takao Takano, un chef nippon expert en préparations françaises nettes et goûteuses: les langoustines bretonnes saisies, le cochon du Cantal aux cèpes, le chocolat noir cru et cuit. Tout cela a séduit les mangeurs salariés par le guide rouge. À Lyon, on mange de tout! 33 rue Malesherbes. Tél. : 04 82 31 43 39. Menus à 35, 65 et 100 euros.

Le restaurant Flaveur à Nice, où les deux frères toqués Gaël et Mickaël Tourteaux ont tracé une route de cuisine créative pleine de fraîcheur, et locale: le rouget de Méditerranée au fenouil, la pêche niçoise du jour aux amandes fraîches et bouillon, l’ananas à la vanille. Tout cela change des ritournelles nissardes, en bien. 25 rue Gubernatis. Tél. : 04 93 62 53 95. Menus à 62, 85, 99 et 145 euros.

Le «savoir manger»

«L’année 2017 a été un bon cru pour nous, pour le guide, indique Michael Ellis, patron du Michelin et des guides internationaux (Japon, Suisse, New York, Allemagne... une vingtaine de pays). Que recherchons-nous? La question nous est posée par nombre de restaurateurs, d’hôteliers, d’aubergistes, de patrons de Bibs (tables à 32 euros) avides d’en savoir plus. Nous sommes en quête de talent, d’innovation, de produits locaux et de plats qui peuvent nous séduire. Dans la culture du guide, nous sommes attentifs à l’engagement des chefs, à l’éblouissement de certaines trouvailles, au bon rapport qualité-prix. Nous parcourons la France (et d’autres pays) pour nos lecteurs avides de bonnes adresses proches de la perfection, du service civilisé à l’assaisonnement des assiettes et aux justes cuissons. Cela s’appelle le savoir manger.»

La Maison des Bois à Manigod / Marc Veyrat

Les inspecteurs du guide rouge ont de la mémoire. Ils n’ont pas oublié le montagnard Marc Veyrat découvert à Annecy-le-Vieux dans les années 1980. Le gaillard au chapeau noir était «le cuisinier des prés et des champs», un arpenteur de sentiers à la recherche d’herbes, de plantes, de fleurs qui magnifiaient la nature locale par le génie du geste et de la composition savoureuse. Il y a un seul Marc Veyrat, et vingt-cinq maîtres de la bonne chère qui ne lui ressemblent pas. Il a marqué son temps.

Salle du restaurant de Marc Veyrat © La maison des Bois

Dans la Maison des Bois à Manigod, deux étoiles en 2017, en lisière des massifs alpins, c’est un dépaysement attendu et vécu auprès du cuisinier hors normes, skieur blessé plusieurs fois, conteur prolifique et lyrique, auteur d’une cuisine pastorale inédite: l’œuf au foin et à l’oxalis, la truite du Léman aux saveurs d’épicéa sauce façon beurre blanc et le chariot de desserts... à damner un saint. Col de la Croix-Fry Haute-Savoie par Annecy. Tél. : 04 50 60 00 00. Prix cinglants. Menus à 295 et 395 euros. Trois chambres à partir de 750 euros, deux suites à 1.200 euros.

Truite à l'écorce de sapin © GP

Le longiligne Christophe Bacquié, chef corse (MOF 2004) a manqué de peu la troisième étoile à la Villa à Calvi. Le guide aurait dû le couronner, il y aurait aujourd’hui une table très étoilée sur l’Île de Beauté.

Christophe Bacquié devant l'Hôtel du Castellet

Il est revenu en 2009 sur le continent à l’Hôtel du Castellet (4.000 habitants), en lisière du circuit Paul Ricard. Là, il a eu tout loisir d’affirmer sa manière: première étoile en 2002, la seconde en 2007, et la consécration cette année. La Provence de Giono, de Pagnol, de Picasso est enfin reconnue comme terre de créations ensorcelantes. «Des assiettes époustouflante » dit le guide, citant l’aïoli parfait aux légumes d’ici et le poulpe de Méditerranée, le pigeonneau au sang cuit en pâte salée, jus à la myrte sauvage, le soufflé aux fruits d’été. Comme dit le Michelin, «l’adresse vaut le voyage». Allez-y!
3001 route des Hauts du Camp. Tél. : 04 94 98 37 77. Menus à partir de 165 euros. Autre table: le San Felice, menus à partir de 45 euros. Chambres à partir de 240 euros.

Christophe Bacquié © Anne-Emmanuelle Thion

Le guide Michelin 2018, 2.112 pages avec des cartes géographiques remarquables de précision. 24,90 euros.

 

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