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Ce que pensent les Russes de leur voisin nord-coréen

L'exposition «Made in North Korea» proposait récemment aux Moscovites un aperçu de la vie quotidienne dans le Juche.

Collection de timbres de l'exposition «Made in North Korea», à Moscou | Maxence Peniguet
Collection de timbres de l'exposition «Made in North Korea», à Moscou | Maxence Peniguet

Temps de lecture: 4 minutes

À MOSCOU (Russie)

«Made in North Korea». C’est le nom de l’exposition qui avait lieu du 20 janvier au 1er février au Musée d’art ultra-moderne (UMAM) de Moscou. Le but affiché: ouvrir au monde l’État le plus fermé de la planète. Objectif ambitieux pour ce petit espace culturel situé dans l’est de la ville, dans un quartier tout entier réservé au design intérieur, où l’on ne s’attend pas forcément à trouver les néons rouges indiquant l’entrée de l’UMAM.

Abstraction faite de l’ambiance d'usine désaffectée propre à ce genre d’endroit, la musique douce et la déco vous projettent ailleurs: vous n’êtes plus vraiment en Russie, mais en Corée du Nord.

Le contenu d'une valise pour monter l'exposition

L’exposition commence par expliquer que la loi nord-coréenne prévoit des sanctions sur trois générations. Lorsqu'une personne commet un crime, elle n’est pas toujours la seule à payer: ses enfants et ses petits-enfants peuvent également en faire les frais –parfois en étant condamnés à passer leur vie dans les camps.

Maxence Peniguet

On apprend ensuite que la première chose que les nourrissons reçoivent après leur naissance est l’un des cinq statuts du songbun, le système de castes en vigueur en Corée du Nord. Au menu –mais sans pouvoir choisir–, des étiquettes allant d’enfant «spécial» à «hostile».

La visite continue; les posters anti-américains sont partout, une table est recouverte de timbres, des portraits de citoyens du régime sont affichés. Non loin, des livres de propagande en langues étrangères sont proposés. En français, nous avons le droit au Rapport d’activité du comité central au VIIe congrès du parti du travail de Corée, année 2016.

Maxence Peniguet

Après le Monument à la fondation du Parti, quelques photos très officielles apparaissent enfin: Kim II-sung, le président éternel de la République, à côté de son fils Kim Jong-il, Vladimir Poutine et Kim Jong-un. Juste à côté, on peut profiter d’une projection nord-coréenne –un film ou une sitcom locale, nous n’en saurons pas plus, au ton très fleur bleue.

Vient ensuite la nourriture coréenne avec son lot de bonbons, snacks et boissons, accompagnés d’une note sur la malnutrition. D’autres informations de santé publique suivent, telles que «La marijuana n’est pas interdite et est disponible librement. Elle est même recommandée en tant que remplacement plus sain au tabac».

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«Made in North Korea» constitue une exposition somme toute assez simple et instructive pour les novices et amateurs. Simple, car le matériel présenté rentrait à l’origine dans une valise. «En 2017, le propriétaire du musée est allé en Corée du Nord, et j’ai dû organiser cette exposition, raconte Dasha Dovbenko, manager de l’UMAM. C’était difficile de faire quelque chose de très intéressant, puisque tout ce que j’avais sous la main tenait dans une valise.»

Le 19 janvier, veille de l’ouverture, Dasha Dovbenko a invité l’ambassade nord-coréenne à Moscou à découvrir le résultat. «Ils sont venus avec des livres, des photos», explique-t-elle. Ils ont aussi «demandé à changer certaines choses et à en enlever d'autres», ce que le musée a refusé de faire, s’en tenant à quelques modifications opportunes.

Comme l'URSS sous Staline, mais en Asie de l’Est

Interrogée sur l'impact de l'exposition auprès des visiteurs, la conservatrice –qui officie parfois en tant que guide– répond: «Il y a peu de gens qui comprennent ce qui se passe là-bas. La plupart pensent que tout va bien.»

Pour Oleg*, diplômé d'un Master en relations internationales spécialisé sur l’Asie de l’Est, la perception qu’ont les Russes sur la Corée du Nord dépend du lieu de vie:

 «Mes amis de l'Extrême-Orient russe ont une image complètement différente. Mais pour la plupart des gens en Russie centrale, moi y compris avant que je ne commence à apprendre le coréen, c’est un pays très exotique, presque entièrement inconnu.»

Et celui qui a passé deux mois de l'autre côté de la frontière en 2012 d'ajouter:

«L’image de la République populaire démocratique de Corée en Russie est principalement basée sur la supposition qu’il s’agit d’un pays staliniste. Les gens pensent que c’est comme l’URSS sous Staline, mais en Asie de l’Est. Le reste dépend de leur attitude envers le communisme.»

Une opinion positive de cette idéologie et de l’époque soviétique aiderait à développer un sentiment similaire envers le Juche, et vice versa.

Une alliance Moscou-Pyongyang envisagée par un tiers des Russes 

Selon une enquête menée par le centre FOM auprès de 1.500 citoyens russes et publiée en septembre 2017, 63% des répondants croient à la possibilité d’une guerre entre la Corée du Nord et d’autres pays. Pour 34% d'entre eux, Moscou pourrait s’allier avec Pyongyang en cas de conflit; 14% pensent même que ce serait une bonne chose à faire. En revanche, 72% de l’échantillon souhaiterait que leur gouvernement intervienne pour empêcher une telle guerre.

Près d'un quart (23%) des personnes interrogées considère que l'armement nucléaire nord-coréen ne constitue pas un danger pour les autres pays. Chez ceux qui estiment le contraire (67%), 39% penchent pour dire qu'il menace la sécurité de la Russie.

La question du nucléaire et d’une guerre entre Pyongyang et Washington a fait l’objet de quelques interrogations dans la presse. Comment réagirait la Russie en cas de conflit armé? «Nous sommes catégoriquement contre la guerre sur la péninsule coréenne et nous ferons tout notre possible pour l’empêcher, analyse Alexander Vorontsov, de l’Institut des études orientales de l’Académie des sciences russe, sur Ura.ru. [...] Mais si la guerre commence [...], nous ferons de notre mieux pour l’arrêter, tout en condamnant certainement l’agresseur.»

Quoi qu’il en soit, de l’autre côté de la frontière, on essaye d’amadouer les Russes. Une agence de voyages nord-coréenne a ouvert ses portes à Moscou l’année dernière, l’ambassade du Juche précisant au passage que «la République populaire démocratique de Corée est l'un des pays les plus sûrs au monde et garantit la sécurité des touristes qui respectent la loi et l’ordre du pays». Les armes nucléaires permettraient «pleinement la sécurité et la paix sur la péninsule coréenne».

Les Russes les plus vieux rechignent toutefois à s’offrir le voyage; d’après l’enquête FOM, l’envie de Corée du Nord s’estompe en effet avec l’âge: si 40% des 18-30 ans déclarent vouloir la visiter en tant que touristes, ils ne sont que 17% chez les plus de 60 ans.

* Le prénom a été modifié.

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