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Poutine, au nom du communisme et du christianisme

Pour s'assurer d'une victoire éclatante à la présidentielle du 18 mars, Vladimir Poutine n'hésite pas à jouer la carte du rapprochement avec l'Église.

Vladimir Poutine plonge dans les eaux glacées du lac Seliger pour célébrer l'Épiphanie orthodoxe, le 19 janvier 2018. | Alexey Druzhinin / Sputnik / AFP
Vladimir Poutine plonge dans les eaux glacées du lac Seliger pour célébrer l'Épiphanie orthodoxe, le 19 janvier 2018. | Alexey Druzhinin / Sputnik / AFP

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Même si le résultat final ne fait de doute pour personne, Vladimir Poutine, candidat à sa réélection lors de la présidentielle du 18 mars, mène campagne pour obtenir le meilleur résultat possible, avec la mobilisation optimale.

Pour atteindre la martingale souhaitée, 70/70 –70% des voix avec 70% de participation–, rien ne vaut la réconciliation de deux traditions de la société russe: l’orthodoxie et le communisme.

Une idéologie communiste «très similaire au christianisme»

Intervenant dans un documentaire pour la télévision Russie 1 consacré au célèbre monastère de Valaam, sur une île du lac Ladoga en Carélie, Poutine a déclaré que «l’idéologie communiste était très similaire au christianisme: liberté, égalité, fraternité et justice, tout ça est dans les Écritures». «Le code moral du citoyen soviétique était fondé sur un principe tiré directement de la Bible», a-t-il ajouté, avant de comparer le mausolée de Lénine aux saintes reliques de l’Église orthodoxe.

Une manière de clore le débat réapparu l’année dernière, à l’occasion du centenaire de la Révolution d’Octobre, sur le sort qui devrait être réservé au cadavre du chef bolchévique: le garder sur la place Rouge à Moscou ou l’enterrer aux côtés de Staline et de ses épigones?

La comparaison entre Lénine et les saints de l’Église n’a pas été du goût de tout le monde. Si le patriarche Kirill, chef des orthodoxes russes, n’a rien trouvé à redire et appelle à voter pour Vladimir Poutine à l’élection présidentielle, un évêque de Sibérie a vu rouge. Eutyches Kourochine, de la région d’Ishim, a qualifié le parallèle de «totalement blasphématoire» et a demandé à ses ouailles de ne pas voter pour un président «voué aux ténèbres». 

Le Parti communiste russe, qui présente comme candidat contre Poutine un millionnaire directeur de kolkhozes, s’est quant à lui félicité des remarques présidentielles: «Elles tempèrent de manière raisonnable la controverse sur le mausolée de Lénine». Mais surtout, elles vont dans le sens d’un œcuménisme dont se réclame le PC: «Les communistes et autres patriotes de gauche, lit-on dans la déclaration du parti, savent que le communisme est proche du christianisme, comme le christianisme est éloigné des formes de capitalisme dominantes dans notre pays et notre économie aujourd’hui.»

Les relations ambivalentes entre le patriarche Kirill et le pouvoir politique

Les livres comparant la doctrine communiste avec l’enseignement du Christ et les partis communistes –en particulier l’ancien PC soviétique– avec l’Église (orthodoxe mais aussi catholique) occupent des rayons entiers des bibliothèques. Au-delà de l’idéologie, c’est l’organisation qui les rapproche, avec sa hiérarchie, sa pompe, ses livres sacrés, ses saints chez l’une et ses dirigeants «suprêmes» chez l’autre, l’excommunication-exclusion des déviants qui finissent en enfer ou dans les poubelles de l’histoire. Le communisme comme l’Église a connu son aggiornamento, avec des succès inégaux.

Le patriarche Kirill est l'un de ceux qui ont tenté une modernisation de l’orthodoxie. Au sein de l’Église russe, il passait pour un «zapadnik», un Occidental. Polyglotte, il a dans les années 1980 accompli plusieurs missions à l’Ouest, ce qui a fait peser sur lui des soupçons de liens avec le KGB. À l’époque, il était difficile de voyager de l’autre côté du rideau de fer sans l’aval des «organes».

Qu’il soit fils et petit-fils de popes morts au Goulag ou qu’il ait été en 1984 banni de Leningrad et envoyé dans la provinciale Smolensk pour avoir critiqué l’intervention russe en Afghanistan ne change rien à l’affaire, mais illustre simplement l'ambivalence des rapports entre l’Église et le pouvoir politique au temps de l’Union soviétique. 

Une Église tantôt utilisée, tantôt méprisée par les soviétiques

Partisans d’un État officiellement athée, les bolchéviques avaient anéanti le patriarcat dès 1917 et mené une répression féroce contre les prêtres.  Dix ans plus tard, le patriarche Serge (non reconnu par les autorités) reconnaissait la «légitimité» du pouvoir des Soviets, provoquant la colère d’une partie du clergé.

L’attitude de Staline, ancien séminariste défroqué, vis-à-vis de l’Église orthodoxe changea radicalement au moment de la Seconde Guerre mondiale. Annonçant début juillet 1941 l’attaque de son ancien allié allemand contre l’URSS, le Petit Père des peuples s’adresse à ses compatriotes en les appelant «frères et sœurs» et non plus «camarades». En 1943, pour fortifier l’union nationale contre le nazisme, il ressuscite le patriarcat, en prenant soin de le truffer d’agents du NKVD (l’ancêtre du KGB).

Soumise à des vagues de campagnes antireligieuses après la guerre, l’Église orthodoxe russe a vécu dans cette ambiguïté jusque dans les années 1990. Certains prêtres et hiérarques pactisaient avec le régime communiste par conviction, par peur ou simplement pour avoir la paix. Les responsables de l’Église ne manifestaient aucune sympathie pour les prêtres, qui protestaient contre les atteintes à la liberté religieuse et se rapprochaient des mouvements dissidents –comme le Comité Helsinki pour la défense des droits de l’homme. Le pouvoir, de son côté, tolérait l’exercice des cultes à condition de les contrôler pour les réserver aux personnes âgées –le plus souvent des femmes. 

L'Église et Poutine unis contre l'Occident «décadent»

Avec Vladimir Poutine, qui arbore une croix autour du cou et se flatte d’avoir été baptisé clandestinement à l’instigation de sa grand-mère, la symbiose entre l’Église orthodoxe et le pouvoir politique est presque parfaite. Critique de la guerre en Afghanistan, le patriarche Kirill –qui a succédé en 2009 à Alexeï II– approuve la guerre en Syrie et l’annexion de la Crimée.

Dans la défense des valeurs traditionnelles contre l’Occident «décadent», l’Église apporte sa caution idéologique: elle laisse derrière elle les persécutions de l’époque communiste –tout juste condamne-t-elle les «mauvais gestes» de Staline à son égard– pour louer les mérites d’un homme qui a transformé la Russie; elle béatifie les prêtres martyrs, mais célèbre la glorieuse histoire soviétique en chœur avec Poutine.

L’Église orthodoxe a retrouvé son rang d’Église officielle. Kirill vient d’inaugurer une église au sein de l’Académie du FSB, successeur du KGB, pour l’édification des agents et les dévotions des habitants du voisinage. Il s'agit de l'une des deux cents églises nouvelles que les orthodoxes sont en train de construire à Moscou.

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