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Le tennis a bien du mal à susciter des vocations chez les jeunes filles

Le tennis français a changé sa politique en direction des filles et des adolescentes, mais le poids de certaines habitudes persiste.

<a href="https://pixabay.com/fr/barbie-poup%C3%A9e-tennis-jouer-1724904/">Même Barbie n'arrive sans doute pas à convaincre les petites filles de s'accrocher au tennis.</a> | ErikaWittlieb via Pixabay CC0 <a href="https://pixabay.com/fr/users/ErikaWittlieb-427626/">License by</a>
Même Barbie n'arrive sans doute pas à convaincre les petites filles de s'accrocher au tennis. | ErikaWittlieb via Pixabay CC0 License by

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À l’heure des concurrences multiples, il n’est pas facile pour la Fédération française de tennis (FFT), deuxième fédération du pays derrière celle du football, de garder le niveau de ses licenciés au-dessus du million. Le défi vaut aussi bien pour les adultes que pour les plus jeunes.

En 2017, sur les 1.018.721 licenciés recensés, 51,5% (524.568)  avaient 18 ans et moins: 70% (368.136 ) étaient des garçons et 30% (156.432 ) des filles –la même répartition hommes-femmes est constatée sur l’ensemble des licenciés.

Il est toutefois à noter que le nombre de filles de 18 ans et moins a progressé de 2,28% par rapport à 2016, quand celui des garçons de la même classe d’âge a accusé un fléchissement de 2,95%. Dix ans plus tôt, en 2007, sur les 563.812 licenciés de 18 ans et moins, les filles étaient cependant sensiblement mieux représentées, avec un taux de 33% (188.752 licences).

Sous l’éteignoir médiatique de son homologue masculin

L’éclaircie de 2017 au sujet des jeunes filles est une bonne nouvelle; ce segment reste l'un des plus difficiles à conquérir pour la FFT. Selon d’autres statistiques, les écoles de tennis perdraient en effet chaque année près de 40% de leurs jeunes filles, contre «seulement» 30% de leurs jeunes garçons. Une fuite compensée en partie par l’afflux de nouveaux licenciés, mais les chiffres ne sont évidemment pas satisfaisants.

Le tennis est pourtant un sport éminemment mixte sur les terrains comme sur le plan médiatique. Il rayonne avec des championnes de l’envergure de Serena Williams et Maria Sharapova –sportives les mieux payées de la planète–, alors pourquoi n’attire-t-il pas plus de jeunes filles? Pourquoi la parité des effectifs n’est-elle pas plus respectée?

Partons déjà du constat que le tennis féminin demeure sous l’éteignoir médiatique de son homologue masculin. Au cours des deux semaines écoulées, l’Open d’Australie a été, comme souvent, nettement à l’avantage des hommes. Il n’a presque pas été question des femmes dans les commentaires.

Pères tyranniques et entraîneurs déviants

Ajoutons qu’au-delà de la lumière souvent flatteuse portée sur les meilleures mondiales, le tennis de haut niveau peut aussi être impitoyable. Pour Kristina Mladenovic, battue pour la 15e fois de suite en simple sur le circuit du WTA Tour à l’occasion de l’Open d’Australie, il a même pris la forme d’une série noire. Guettée à chaque faux-pas, la joueuse française est devenue un personnage dont il est facile de se moquer sur les réseaux sociaux –qui la rudoient aujourd’hui mais la flatteront demain quand elle aura retrouvé la voie du succès.

Quel regard peuvent poser une petite fille, qui aimerait faire du tennis de compétition, ou ses parents à la vue de la galère de la joueuse française et de ses conséquences? Quelle envie pourrait être la leur en lisant les propos de Marion Bartoli, championne de Wimbledon en 2013, qui se prépare depuis quelques semaines à son retour sur les courts après pratiquement cinq années de retraite, en étalant certains détails perturbants de sa vie privée? Le tennis vaudrait-il tous ces sacrifices et toutes ces frustrations?

Dans un livre émouvant, N’oublie pas de gagner (2015), Dominique Bonnot, ancienne reporter de L’Équipe, avait justement raconté les destins écorchés de joueuses qui, plus que d’autres, avaient souffert pour accéder à l’élite. Certaines avaient fini par s’abîmer davantage au contact de pères tyranniques ou d’entraîneurs déviants.

Sur son propre cas, la journaliste, un temps espoir du tennis français, avait même joliment écrit: «Papa a dit après ma défaite au championnat de France: Tu finiras caissière à Félix Potin”. Ce soir-là, j’ai pleuré à gros sanglots. Je ne sais pas trop en quoi consiste le métier de caissière, mais dans la bouche de mon père, cela sonne comme une malédiction. Le genre de métier que l’on ne souhaite à personne

Le tennis au féminin est un miroir aux reflets multiples, parfois très sombres, où les géniteurs accaparent trop de lumière; cette image lui colle à la peau et aux chaussures, à tort ou à raison.

Un impératif de conquête qui imprègne certains discours

Patrice Hagelauer, ancien Directeur technique national (DTN) et entraîneur historique de Yannick Noah, note d’ailleurs que lorsqu’elles sont interrogées sur leurs idoles, «les petites filles citent très majoritairement des noms de champions plutôt que des noms de championnes».

Mélanie Maillard, psychologue, qui a régulièrement travaillé auprès de la FFT sur les sujets liés à l’approche mentale des jeunes joueurs, pense que «de manière générale et de toute façon, l’image de la sportive, en France, n’est pas perçue comme un exemple à suivre». Elle ajoute:

«Au-delà des deux cas cités de Marion et de Kristina, qui sont extrêmes et ne reflètent pas un véritable bien-être, l’exemple de Caroline Garcia, peut-être plus discrète, serait à mettre davantage en avant. Elle a une démarche cohérente, qui trace une voie véritablement personnelle pour être l’héroïne de sa propre histoire

Le tennis, sport aussi récréatif que compétitif, pourrait simplement se résumer au plaisir de parties en toute amitié, de balles échangées pour le seul bonheur de se dépenser physiquement, sans l’enjeu de la victoire ou de la défaite. Faire des balles, comme on dit, avec le même objectif qu’aller au cinéma pour s’offrir la parenthèse d’un loisir.

Mais dans la société actuelle, plus dure, l’impératif de conquête domine et imprègne certains discours. «Agir et gagner», tel est d’ailleurs le nouveau mantra de la FFT qui sous-entend donc, par la voix de son président Bernard Giudicelli –adepte de ce slogan–, que la victoire est une finalité. C’est évidemment le cas quand il s’agit d’améliorer son classement et de viser le haut niveau, mais c’est aussi un message qui peut être réducteur ou ambigu. «De toute façon, le mot “compétition” fait très peur», résume Patrice Hagelauer.

Un enseignement spécifique

Dans cette perspective, l’enseignement du tennis aux petites filles a ses spécificités, selon des documents officiels de la FFT. Elles auraient, selon la Fédération, besoin d’être «en relation avec» en étant «souvent autant attachées aux aspects relationnels qu’à l’activité elle-même», «en préférant spontanément le jeu en coopération», en réclamant «une relation de qualité avec l’enseignant (il est important pour elles de recueillir son approbation)», sachant que l’adulte aurait beaucoup d’emprise sur elles, ce qui les rendrait «parfois passives, voire dociles».

La FFT a beaucoup réfléchi, il est vrai, à ces problèmes avec de fréquentes remises en cause. Aujourd’hui, elle propose des accompagnements très différents, par exemple en laissant les jeunes filles qui auraient choisi la voie du haut niveau plus longuement au sein de leurs familles et en associant ces dernières au projet, par le biais de bourses qu’elles gèrent elles-mêmes.

Au niveau de l’apprentissage, un programme appelé Galaxie a instauré il y a plusieurs années des systèmes de couleurs pour passer d’un niveau à un autre, avec des matches aux formats raccourcis et sans véritable sanction de la défaite, en ayant le souci de privilégier la notion de plaisir plutôt que le résultat. Une certaine importance est donnée au double, pour renforcer l’esprit de camaraderie.

«Une jeune fille n’a évidemment pas le même vécu intérieur qu’un garçon qui est plus tourné vers la compétition, analyse la psychologue Mélanie Maillard. Par exemple, une fille sera plus embêtée qu’un garçon de battre une copine dans ce face-à-face si particulier que représente un match de simple au tennis. Ce sont des choses qui ne changeront pas avec le temps, mais qui méritaient d’être mieux appréhendées.» 

Face à tous ces enjeux, la FFT a donc tenté de redonner du sens au «ludique», au «jeu sans enjeu», dans la phase préparatoire menant à la compétition au féminin.

«Plus que la victoire, l’estime de soi est primordiale, juge Patrice Hagelauer. Les jeunes filles ont besoin d’explications, eh bien, il faut les leur donner, en les encourageant, en les valorisant. Les écoles de tennis et les enseignants n’en tiennent pas encore suffisamment compte, comme s’il y avait une difficulté à se mettre à niveau sur ces sujets. Hélas, la force de l’habitude pèse encore beaucoup trop en France.»

Tandis que le tennis masculin français attend, depuis 1983, de trouver un successeur à Yannick Noah –dernier vainqueur tricolore dans le Grand Chelem–, Mary Pierce, certes élevée aux États-Unis, Amélie Mauresmo et Marion Bartoli ont totalisé à elles trois cinq titres majeurs entre 1995 et 2013. Seulement, leur exemple n’a pas suscité –il faut le déplorer–, le moindre élan significatif au niveau des licenciées.

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