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À Seattle, on installe des arceaux à vélos contre les sans-abri

Le mobilier urbain anti-SDF a proliféré dans les grandes villes, sans solution de secours viable pour les personnes délogées.

<a href="http://www.seattle.gov/transportation/projects-and-programs/programs/bike-program/bike-racks">Les nouveaux parkings pour vélos de Seattle</a> | Capture d'écran via Seattle.gov<a href="http://www.seattle.gov/transportation/projects-and-programs/programs/bike-program/bike-racks"></a>
Les nouveaux parkings pour vélos de Seattle | Capture d'écran via Seattle.gov

Temps de lecture: 3 minutes - Repéré sur The Guardian

Discrète et insidieuse mais pourtant bien sensible, «l'architecture hostile» –plus connue en France sous le nom de «mobilier urbain anti-SDF»– est devenue tellement fréquente dans les villes qu'on en vient souvent à ne plus l'identifier comme telle, remarquant au mieux que certaines installations sont rudement inconfortables ou incongrues.

Le plus souvent présentées comme une affaire de design biscornu ou d'intérêt supposément public, elles visent en réalité à empêcher les personnes sans-abri de se mettre à couvert ou de rester sur les bancs publics et autres surfaces planes pour y dormir.

Des barres de fer contre les tentes

Lorsque Jeff Few a quitté son appartement du quartier de Belltown à Seattle, il y avait un campement de sans-abri sur un tronçon de chaussée, juste en-dessous de l'autoroute 99. Quand il est revenu, «les tentes et les hommes, les femmes et les enfants cherchant là-bas un abri étaient partis et dix-huit nouveaux râteliers à vélos étaient installés à leur place», raconte le Guardian.

Après quelques mails envoyés aux employés du Seattle Department of Transportation, on lui confirma que l'installation de ces racks avait été coordonnée avec l'intervention de la police, afin qu'ils soient prêts dès que les sans-abri auraient été délogés.

«Ce ne sont pas des râteliers à vélo, ce sont des pics anti-SDF sous des airs de râteliers à vélo. En tant que personne qui a été un grand militant pour l'expansion des parkings à vélo dans la ville, il est dérangeant de voir ces arceaux difficilement acquis être utilisés d'une telle manière», écrivait Tom Fucoloro sur le blog Seattle Bike.

Les exemples les plus courants de ce type d'installations destinées à chasser de l'espace urbain un certain type de population sont les bancs avec accoudoirs ou inclinés et les pics ou clous métalliques —du même genre que ceux utilisés pour les pigeons, mais à taille humaine.

On trouve également d'autres mesures plus inventives, telles que les lumières bleues dans les toilettes publiques, destinées à empêcher les toxicomanes de s'y faire des injections —les veines sont plus difficilement repérables éclairées ainsi—, ou la peinture hydrophobe qui recouvre les murs des stations ferroviaires de Cologne et qui fait rejaillir sur les personnes se soulageant en public leur propre urine.

«Les grandes villes riches sont assurément plus enclines à utiliser des “designs désagréables”, car il est difficile de gérer un grand nombre de personnes. Les designs désagréables éliminent le besoin de surveillance et d'intervention humaines», explique Selena Savić, co-éditrice du livre Unpleasant Design.

Des réponses qui nient la dimension humaine du problème

Seattle, comme tant d'autres villes à travers le monde, est devenue spécialiste de ce type de mobilier urbain.

Récemment, l'un de ses habitants publiait sur Twitter un petit thread relevant le nombre d'éléments hostiles aux sans-abri qu'il croisait sur le court chemin entre son arrêt de bus et son bureau: pas moins de quatre exemples en l'espace de trois rues et six supplémentaires en poussant plus avant dans les avenues alentour.

Parfois, ce mobilier est retiré, comme en 2014 à Londres, lorsqu'un supermarché Tesco avait fini par retirer des pics à la suite d'une vague de protestations venant d'activistes et de clients scandalisés. La plupart du temps, il demeure, au prétexte de prévenir les «comportements antisociaux» ou «dangereux».

«Cela revient essentiellement à traiter la réalité désastreuse du sans-abrisme de masse et de la pauvreté comme un problème technique plutôt que comme un problème d'êtres humains qui ne peuvent pas subvenir à leurs besoins», déplore Alison Eisinger, la directrice du Seattle/King County Coalition on Homelessness.

Lors du dernier recensement réalisé par l'association, on estimait le nombre de personnes sans domicile dans la zone métropolitaine de Seattle à 11.643, dont 5.485 sans-abri.

Alors que la ville mène une politique d'évacuation des campements non autorisés sans pour autant augmenter le nombre de places dans les refuges d'urgence –un nouveau plan de «refuges améliorés» avec rangements a conduit à une suppression de 300 lits–, le problème ne fait qu'être repoussé, de même que les sans-abri vers l'extérieur de la ville, dans des conditions toujours plus précaires.

«Il est facile de s'indigner contre l'architecture hostile, mais la question, c'est: “comment ces choses-là arrivent?”, affirme Eisinger. En ce qui me concerne, je trouve que c'est une occasion parfaite pour le nouveau maire de Seattle de dire non seulement que c'était une décision inacceptable, mais aussi que la chaîne de commandement qui a permis à différentes personnes de faire et d'approuver cette utilisation des ressources publiques va changer.»

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