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La quête de vies extraterrestres est aussi répandue chez les milliardaires excentriques que chez les gouvernants. La NASA se tourne de plus en plus vers l’astrobiologie.
Pourtant une possibilité de vie extraterrestre, une des plus plausibles, a été assez généralement ignorée, et ce depuis des années: les virus de l’espace! Si certains sont tentés de négliger ces miasmes microscopiques, qui seraient moins excitants que les petits hommes verts, ils constitueraient pourtant une découverte de premier plan.
Bon, certes, toute cela peut paraître étrange –l’astrobiologie est après tout le genre de domaine scientifique dont on entend plutôt parler dans Star Trek– mais c’est pourtant bien dans cette direction que nous allons. Le Congrès a ordonné à la NASA de se lancer dans «la recherche des origines, de l’évolution, de la répartition et du futur de la vie dans l’univers».
L’importance des virus dans la vie sur Terre n’est pas forcément très répandue –chez les scientifiques comme dans le grand public. Ken Stedman, vice-président du groupe de travail de la NASA sur les virus, a l’intention de mieux les faire connaître et d’améliorer leur réputation –la semaine dernière, il a publié un article dans lequel, avec deux autres scientifiques, il expliquait comment, où et pourquoi nous devrions nous intéresser à ces formes de vie méconnues.
D'excellents indicateurs
C’est un article très convaincant. Déjà parce que les virus sont un excellent indicateur de la vie elle-même. Partout où il y a de la vie sur Terre, il y a des virus. Et la plupart du temps en bien plus grand nombre. Certains scientifiques pensent que c’est d’ailleurs le cas depuis le début. Si nous savons aujourd’hui que l’ARN, ce matériau génétique qui constitue certains virus, est apparu avant l’ADN, le fait que la plupart des virus modernes dépendent de cellules pour se reproduire ressemble à s’y méprendre à un scénario de l’œuf et de la poule.
Eugene V. Koonin de l’Agence Nationale de Santé américaine a passé des dizaines d’années à étudier l’évolution de la vie. Dans un article qui a fait date, publié en 2006, il a évoqué l’idée d’un «monde de virus». Une histoire des origines de la vie dans laquelle les virus auraient précédé l’existence des cellules, pour ne devenir des parasites intracellulaires (perdant ainsi la capacité à se reproduire de manière autonome) avec l’apparition des bactéries et d’autres proies possibles. Il est bien sûr difficile de dire que c’est exactement comme cela que les choses se sont passées –s’il est clair que des entités ressemblant à des virus sont apparues avant les cellules que nous connaissons, personne n’a pu établir avec certitude que les virus modernes en sont les descendants directs.
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Même si la nature et l’étendue de l’implication des virus dans les origines de la vie est toujours sujette à caution, leur rôle comme moteur de l’évolution actuelle est indiscutable. Comme un rapport récent de l’Académie américaine de Microbiologie l’expose, «sans les virus, la vie sur Terre serait très différente, et peut-être n’y aurait-il d’ailleurs pas de vie du tout».
Des virus... utiles
Cette dernière phrase nous dit quelque chose de très important: contrairement à certaines croyances populaires, certains virus peuvent être bénéfiques. Loin de nuire à tout ce qu’ils touchent, les gènes que les virus insèrent dans les organismes qu’ils colonisent peuvent parfois permettre à ces derniers de survivre dans des zones où ils ne le pourraient pas.
Exemple: une fois infectées, certaines cyanobactéries –des petites bébêtes qui vivent dans l’océan et ont besoin des rayons du soleil pour vivre– sont capables de faire de la photosynthèse et de vivre dans des environnements dans lesquels des bactéries non infectées ne pourraient pas survivre. Si des cellules non infectées peuvent subir de gros dégâts –voire mourir si le soleil est trop intense– ces bactériophages, en cherchant à se protéger, protègent également l’organisme qui les héberge.
Bonus, ces cellules infectées par des virus (et spécifiquement les gênes que lesdits virus fourbissent) contribuent à hauteur de 5% à l’émission globale d’oxygène sur Terre.
«Les virus ont une mauvaise image, dit Stedlan. Malheureusement, quand les gens pensent à eux, ils pensent aux choses qui vous rendent malade, alors que ces virus-là ne représentent qu’une infime partie de ceux en circulation sur notre planète –et peut-être d’autres planètes...»
Un nombre colossal de virus sur Terre
En permettant à des organismes de s’adapter à de nouveaux environnements, les virus ont modelé (et continuent de modeler) d’innombrables écosystèmes. Et les virus ne jouent pas seulement un rôle énorme sur notre planète; ils sont également présent en très grand nombre.
«Je pense que la chose la plus importante à connaître à propos des virus c’est que leur nombre et proprement astronomique», poursuit Stedman.
On parle de 1031 virus selon la dernière estimation.
«C’est un chiffre totalement fou [10.000.000.000.000.000.000.000.000.000.000 de virus pour ceux qui ne sont pas super forts en maths]...»
Cela veut donc dire que les virus sont dix fois plus nombreux que tous les organismes cellulaires sur Terre –et qu’un seul millilitre d’eau de mer peut contenir jusqu’à dix millions de particules virales. Pas étonnant que Stedman s’intéresse de près à ce que les océans peuvent encore bien cacher.
Rares seraient les gens à affirmer que ce ne serait pas une preuve de vie extraterrestre
Certes, trouver des virus dans l’espace profond ne signifie pas la même chose que de trouver de la vie. Stedman et ses collègues les considèrent comme des preuves indirectes de l’existence de la vie et le débat sur ce qu’est un virus (considérant son besoin ou pas de s’adosser à une cellule pour se reproduire) continue. Mais les chercheurs pensent que «si un virion (une particule ayant les caractéristiques d’un virus) pouvait être détecté dans un échantillon extraterrestre, rares seraient les gens à affirmer que cela ne constitue pas une preuve de vie –quelle que soit la provenance de l’échantillon».
C’est assez logique: si ces virus hypothétiques, à l’inverse de ceux que nous avons déjà trouvé sur Terre, sont autosuffisants, ils remplissent les critères de forme de vie pour la NASA; et dans le cas contraire, ils signifient qu’un autre organisme vivant doit se trouver à proximité pour leur servir d’hôte.
Malheureusement, il risque de s’écouler un peu de temps avant que nous ne disposions de la technologie nécessaire pour chercher des virus dans l’espace –Stedman reconnaît que des microscopes électroniques en transmission ne feront pas avant longtemps partie des instruments embarqués à bord d’une capsule, et les microscopes à scanners électroniques, qui sont déjà disponibles, ne permettent pas toujours d’obtenir des images d’une résolution suffisante pour les repérer. Mais avec les bons instruments, Stedman pense qu’il serait possible de trouver des virus sur des planètes voisines des nôtres. Sa proposition consisterait à déployer un microscope sous la glace qui recouvre Europa (que la communauté scientifique dans sa grande majorité tient pour le lieu le plus probable d’existence d’une vie extraterrestre dans notre système solaire). Lorsqu’on lui parle de Dragonfly, une des deux missions envisagées par la NASA pour le milieu des années 2020, il déclare qu’il est «clairement possible» que cette expédition mette à jour l’existence de virus sur Titan –cela dépend juste du genre d’équipement que nous serons à même d’emporter.
«Si nous disposons de moyens pour les détecter –et c’est un très gros SI– nous y trouverons des virus, dit Stedman. Je pense que cela nous en dira beaucoup sur la vie elle-même.»
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Si nous trouvons de la vie dans l’espace associée à des virus, cela donnera encore plus de poids à cette hypothèse selon laquelle les virus sont essentiels à la vie –et nous comprendrons peut-être pourquoi. Et si nous découvrons au contraire une vie qui n’est pas associée à des virus, alors nous saurons avec certitude que cette forme de vie n’a rien à voir avec ce qui existe sur notre planète. Dans un cas comme dans l’autre, cela constitue d’excellentes raisons de s’y intéresser.