Temps de lecture: 2 minutes
Les personnes extraverties me fatiguent.
Elles parlent fort, elles ont un avis sur tout et tiennent à vous le faire savoir, elles causent et causent encore –on a l'impression que le silence leur apparaît comme la pire des offenses– elles s'agitent dans tous les sens et ne connaissent pas le repos, elles pensent à haute voix en un débit saccadé qui jamais ne s'interrompt, elles distribuent les bons comme les mauvais points dans un déluge de commentaires assourdissants et quand on les supplie d'arrêter avec leur diarrhée verbale elles se vexent avant de repartir de plus belle.
Parfois on aimerait les gifler mais on n'ose pas; on a des pudeurs.
Moi qui peut rester des journées entières sans voir quiconque, quand j'en aperçois une au loin qui s'avance à ma rencontre, avec dans le regard cette exaltation de l'âme qui trahit sa fébrilité intérieure, je fuis, je disparais, je rebrousse chemin et jamais ne me retourne.
Je sais trop que si d'aventure j'engageais la conversation avec elle, j'en ressortirais essoré, vidé, épuisé, comme si je venais de passer un long moment dans le tambour d'une machine à laver rendue folle par un dysfonctionnement interne: ce serait comme de manger un couscous à la table d'un séfarade qui, entre deux bouchées bien huileuses, avec force détails et moult gestes, vous raconteraient ses dernières vacances à Deauville ou à Juan-les-Pins.
Courage fuyons.
Tais-toi quand tu parles
Non moi j'aime le doux calme de l'introverti, de celui ou celle qui peut rester des heures assise sur une chaise sans prononcer la moindre parole, calme et tranquille, réservée et un brin timide, si douce et paisible que les heures glissent sur elle comme des perles d'eau sur la robe d'un cygne (!!!), dans ce chuchotement du temps qui jamais ne n'affole mais confie aux aiguilles de l'horloge le soin de le transporter un peu plus loin.
Ni coup d'éclat ni saute d'humeur ni déclamations intempestives mais la placidité et la tranquillité d'une âme qui sait de toute éternité que c'est dans le silence que s'accomplissent les grandes choses, dans le repli de l'esprit, parmi des pensées vagabondes qui n'ont pas besoin d'être récitées pour exister, loin, très loin de cet affreux vacarme où la plupart des gens se complaisent, se disent et se racontent dans cette exaltation de la parole, cette volubilité du discours qui serait comme une maladie dont ils ne voudraient jamais guérir de peur de dépérir d'ennui.
Tu peux pas la fermer un peu, non?
Quand la parole se fait rare, quand le verbe s'économise, quand les lèvres se taisent remplacées par cette exigence de la quiétude, du retour sur soi, de cet effacement du langage qui sait la valeur des choses, la vanité de l'existence, le ridicule des hommes, la complexité de toute vie, la beauté du deuil et la magnificence de la nature.
Le goût de la solitude, la tentation de la fuite loin de ce monde et de ces clameurs, dans le confinement d'une vie qui prendrait le temps de s'écrire, page après page, chapitre par chapitre, sans secousse ni brusquerie mais au fil de l'eau, parmi cette confiscation de la parole dont on réserve l'usage à la seule nécessité de tisser lien avec l'autre avant de s'en retourner hanter l'intimité de son être, là où palpite cette intelligence du sentiment dont le silence serait comme le confident.
À LIRE AUSSI Comment se sortir d'une conversation chiante?
Nul artifice, nulle prétention à être celui que l'on n'est pas, nulle ambition de verser dans le paraître et d'exister par le verbe, de revendiquer sa place dans ce monde si confus, si bruyant, si violent, mais plutôt cette volonté de demeurer dans la vérité des choses, au plus proche de soi, quand le soir s'éteint et que ne demeure dans le ciel reposé que le souvenir d'une journée où aura passé l'ombre du temps.
Tais-toi quand tu parles.
C'est tout.