Économie

La retraite, c’est pas que pour les vieux

Et si arrêter de bosser right now était le meilleur moyen de rester actif?

Comptez vos trimestres | Marco Scozzaro
Comptez vos trimestres | Marco Scozzaro

Temps de lecture: 6 minutes

  Cet article est publié en partenariat   avec l'hebdomadaire Stylist, distribué gratuitement à Paris et dans une dizaine de grandes villes de France. Pour accéder à l'intégralité du numéro en ligne, c'est par ici.

Si vous êtes rentrée K.O. de vos vacances de Noël après avoir enchaîné une grippe, deux tempêtes et des dizaines de Old Fashioned pour faire passer les atrocités échangées à la table familiale (à peine mieux modérées que Twitter), ne tentez surtout pas de reproduire chez vous l’expérience qui va suivre. Encore moins si vous avez passé de merveilleuses vacances loin de tout à croquer la vie à pleines dents et que vous vous demandez vraiment à quoi bon retourner huit heures par jour dans un open space crasseux alors que vous avez tellement de projets persos enrichissants sur le feu (#Netflix #Hulu #Amazon).

Pourtant c’est juste une expérience en quatre clics: lassuranceretraite.fr clic, mon espace perso clic, mes services clic, mon relevé de carrière clic… Et parce qu’on s’est dit qu’il était exclu de devenir le genre de personne qui dit «comme un lundi» quand on lui demande comment il va et que dix ans de vie professionnelle nous ont donné un aperçu satisfaisant de ce que le monde du travail avait à offrir, c’est ce que nous avons fait. Bref, on a considéré qu’on était prêt pour la retraite. Ce qui est manifestement une vue de l’esprit (troublé de Old Fashioned) puisqu’à l’issue de nos quatre clics, nous avons découvert qu’il nous restait 124 trimestres à valider pour une retraite à taux plein à l’horizon 2040. Dans très longtemps. Pour info, en février 2040, un astéroïde de 140 mètres de diamètre est censé frapper la Terre de plein fouet. Mais ça, vous ne le verrez que s’il reste un peu de banquise pour faire la clim. Du coup, on s’est demandé s’il n’était pas possible d’anticiper un peu les choses.

Early Retirement

Le point commun entre Adele, Justin Bieber, Shamir et Jack Gleeson alias King Joffrey dans GOT? Ils ont tous annoncé à un moment ou à un autre de leur carrière qu’ils se rangeaient des guitares pour une retraite ultra-anticipée et ils ont tous moins de 30 ans (oui, même Adele). Un fantasme que partagent tout un tas de gens qui n’ont pas vendu des millions d’albums ou sadisé la moitié du royaume de Westeros. Le web pullule de recettes pour réussir son «early retirement». Sur les journaux qui aiment parler d’argent («7 stratégies simples pour une retraite anticipée» sur Forbes, «Les nouvelles règles de la retraite anticipée» sur le Time, «How to become financially independent in 5 years», CNN Money), mais surtout sur les blogs, où raconter son épopée pour dire adieu au monde du travail est devenu un genre à part entière. Avec ses stars, comme Mr Money Mustache, Frugal Woods et The Mad Fientist. Tous mixent à peu près les mêmes ingrédients: d’abord gagner un max, économiser beaucoup, ne pas s’endetter, investir avec talent, puis vivre avec peu. Le pionnier, Money Mustache ne dépense que 24.000 dollars par an avec sa femme et son fils, alors que son seul blog, ouvert en 2011, lui rapporte environ 40.000 dollars par mois. Pour en arriver là, il a travaillé quelques années en investissant plus de 50% de ses revenus pendant que ses camarades s’endettaient.

«Chaque billet de dix dollars est une brique essentielle pour construire le château de votre early retirement. Si vous économisez 796 $ par semaine pendant dix ans et que vous les placez avec un taux d’intérêt à 7%, vous aurez 600.000 $ pour profiter de la vie. Si vous êtes en couple, ça ne fait que 398 $ à économiser par semaine chacun. Comme il y a 112 heures par semaine, il suffit de faire 40 bonnes décisions à 10 $ par semaine.»

C’est avec cette éthique de la frugalité pour millionnaire, exposée sur son blog, qu’il possède aujourd’hui plusieurs maisons et un capital confortable. De quoi faire rêver les milliers d’aspirants retraités avides de conseils qui animent les conversations sur les forums de Money Mustache (un million de posts).

«Effectivement, ce sont des marchands de rêve, souligne Cyril Jarnias, expert en gestion de patrimoine et lui-même blogueur. Surtout que la France, ce n’est pas les États-Unis. En ce qui concerne les investissements immobiliers en France, entre les 17,2% sur les prélèvements sociaux, les 2% d’impact fiscal, le taux marginal d’impôt sur le revenu de 30%, ça fait 50% de fiscalité auxquels il faut ajouter le crédit à rembourser et les charges, voire l’ISF… Et pour l’épargne, il faut au moins deux décennies pour constituer un patrimoine avec des taux raisonnables.»

Sans compter que cette économie de la frugalité demande une discipline de fer et une pingrerie à toute épreuve.

La fin du salariat

Si vous n’êtes pas prêts à lâcher votre smartphone pour un vieux Nokia des familles, ne tentez pas l’impossible, la frugalité n’est pas pour vous. Les 600.000 $ en cash non plus. Mais ce n’est pas une raison pour remettre votre retraite à quand vous serez trop vieux pour en profiter. Le designer Stefan Sagmeister est connu pour ses créations pop, mais surtout pour une conférence TED donnée en 2009 dans laquelle il expliquait prendre une année de retraite tous les sept ans. Son calcul est simple: on passe environ vingt-cinq ans à se former, quarante à travailler et quinze à la retraite. Lui préfère réaménager la séquence et saupoudrer quelques années de retraite tout au long de sa carrière.

 

 

De quoi relancer sa créativité et celle de ses collaborateurs qui sont invités à faire de même. Depuis 2011, il a décidé de passer à la vitesse supérieure et de prendre trois mois de retraite tous les ans. Là, si comme nous vous avez été biberonné au burn-out, vous êtes en train de baver d’envie. Et vous n’êtes pas seule. Comme l’explique Dominique Méda dans son ouvrage Réinventer le travail: «Les Français, à la différence de leurs concitoyens européens, ont un rapport ambigu avec le travail: tout en étant les plus nombreux à considérer le travail comme très important, ils sont également les plus nombreux à souhaiter que celui-ci prenne moins de place dans leur vie.» Ambigu? Pas forcément, selon Denis Pennel, directeur général de World Employment Confederation et auteur de Travailler, la soif de liberté:

«Le problème ce n’est pas le travail, mais la manière de travailler. Il y a une grosse fatigue du salariat. Dans une société de plus en plus démocratique, égalitaire et participative, le salariat et sa relation de subordination n’est plus adapté.»

D’autant plus que les carrières ascensionnelles se font de plus en plus rares dans des entreprises dont l’espérance de vie a drastiquement chuté, passant de 75 ans en 1930 à 30 ans aujourd’hui (avant de disparaître ou d’être rachetées). «Le salariat n’est qu’une parenthèse dans l’histoire du travail, ouverte avec la Révolution industrielle, d’autres modèles sont à inventer», explique Denis Pennel.

L’entreprise libérée (mais pas délivrée)

Pour s’adapter à l’époque et museler l’appétit de liberté de leurs salariés, certaines entreprises ont en effet décidé d’assouplir un peu les règles. En 2004, Netflix a lancé le concept de vacances illimitées. Aujourd’hui près de 3% des entreprises (General Electric et Evernote…) ont opté pour ce système dans un pays assez avare en congés payés. Et quelques-unes en France, comme le site d’emploi Indeed, le groupe immobilier Avinim ou le site de livraison PopChef, accompagné chez ces derniers d’une liberté totale sur les horaires.

Un lâcher-prise théorisé dès 2009 par les auteurs de Liberté et Cie, à l’origine du concept d’entreprise libérée. Moins de hiérarchie, plus de liberté et d’autonomie un temps de travail adapté… et s’il n’était pas nécessaire d’infantiliser ses collaborateurs pour obtenir le meilleur d’eux-mêmes? De quoi vous faire abandonner votre craving de retraite. C’est ce qu’on se dit en visitant le site de Station F, le plus grand campus de start-up au monde, financé par Xavier Niel, qui a ouvert ses portes l’été dernier à Paris. 34.000m2 de territoire qu’on croirait arraché à la Silicon Valley avec des zones Chill, Share et Create ouvertes 24 heures sur 24.

Les meeting rooms de Station F (Patrick Tourneboeuf)

Sauf que notre fantasme de start-up nation s’est vite crashé dans le Uber du retour. «Avec l’ubérisation de la société se développent des emplois dans les zones grises du travail salarié et indépendant, en dehors des protections du salariat: ces emplois donnent l’illusion de la liberté et de l’autonomie, mais débouchent souvent sur une sorte d’auto-exploitation», expliquait Dominique Méda dans une interview au Monde en 2016.

«Il faut se méfier du décor parfait des start-up», prévient Mathilde Ramadier, auteure de BD qui a raconté l’année dernière son expérience dans des start-up berlinoises dans Bienvenue dans le nouveau monde, comment j’ai survécu à la coolitude des start-up:

«En ce qui me concerne, horaires flexibles, ça voulait surtout dire heures sup non payées et le home office te permettait surtout de travailler quand tu étais malade. Ça ne serait venu à l’idée de personne de poser un congé maladie… L’un des CEO en revanche passait sa vie à faire des selfies de lui en vacances. Le rêve de l’entreprise du futur est valable pour une poignée de gens dont on parle beaucoup, pas pour ceux qui bossent dans la précarité et dont on ne parle jamais.»

Car si votre patron vous demande d’être disruptif, c’est toujours pour s’enrichir un peu plus. Comme le rappelait Jean-Baptiste Soufron, ancien secrétaire général du Conseil national du numérique, dans la revue Esprit: «Si le numérique était vraiment disruptif, Amazon appartiendrait à ses clients et ses partenaires, Uber à ses chauffeurs et Facebook à ses usagers.» Et ça, ça nous aiderait à tenir jusqu’à la retraite.

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