France

Le grand écart de la haute couture

La saison des défilés printemps-été 2018 s'ouvre ce 22 janvier. Désireuse de protéger ses savoir-faire tout en réinventant les codes de la mode, la haute couture demeure une singulière exception culturelle.

Défilé Yuima Nakazato automne-hiver 2017-2018 | Via Yuima Nakazato
Défilé Yuima Nakazato automne-hiver 2017-2018 | Via Yuima Nakazato

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Unique et singulière, la haute couture demeure une spécificité française. Exception culturelle au calendrier diminué, elle n’occupe plus, depuis quelques décennies, le haut du pavé.

Entre le maintien de traditions au savoir-faire artisanal manuel et un saut vers le futur avec une technologie qui repousse les frontières de la création, elle demeure dynamique, malgré ce très grand écart entre hier et demain.

Hégémonique jusque dans les années 1960

Née à la fin du XIXe siècle, la haute couture a joué un rôle proéminent dans l’aventure de la mode. Jusque dans les années 1960, elle a «fait» la mode, a imposé le style, les longueurs, les formes.

Avec elle sont apparus les premiers noms de couturiers (à partir de Worth), qui ont donné naissance à des marques. Mais nombre d’entre elles ont périclité ou ont disparu (Poiret, Patou, Lelong, Vionnet, Grès...). Quelques-unes, au contraire, ont traversé le temps et sont devenues des empires, dont les trois pépites que sont Chanel, Dior et Yves Saint Laurent (pour ce dernier, la couture s’est arrêtée en 2002).

À partir des années 1960, l’hégémonie de la couture disparaît –même si cette décennie est marquée par la vision futuriste de Pierre Cardin, Paco Rabanne et Courrèges. La rue va s’inviter dans la danse; progressivement, les créateurs du nouveau prêt-à-porter vont devenir les prescripteurs de tendances.

Vaille que vaille, la haute couture se maintient en gardienne du temple des savoir-faire, œuvrant à ce que perdurent des métiers inéluctablement en voie de disparition.

Au fil des ans, nombre de maisons optent pour la cessation de l’activité couture, trop onéreuse et confrontée à une raréfaction de la clientèle. Aujourd'hui, Patou, Carven, Ungaro, Torrente, Rochas, Lanvin ou Balenciaga ne figurent plus dans le calendrier de la couture.

Quinze marques titulaires de l'appellation

Pour que ce calendrier spécifique et unique à Paris perdure, des membres correspondants sont venus apporter une dimension internationale: Valentino, Versace, Armani, Alaïa, Elie Saab et Viktor & Rolf.

Dans la liste des nouveaux noms apparus ces dernières années aux côtés des derniers historiques, on peut citer Jean Paul Gaultier, Frank Sorbier, Stéphane Rolland, Adeline André, Maurizio Galante ou Alexandre Vauthier. Parmi les derniers impétrants, Julien Fournié et Schiaparelli ont été adoubés en 2016.

Défilé Schiaparelli automne-hiver 2017-2018 | Via Schiaparelli

Chaque année, l’appellation est octroyée sur proposition et avec le soutien des membres –un système de parrainage– par le ministère de l’Industrie. Belle endormie, la maison Schiaparelli a été relancée après six décennies de parenthèse. Son directeur artistique, Bertrand Guyon, œuvre à garder le souvenir d’une maison ultra-créative et fantaisiste, tout en s’inscrivant dans le XXIe siècle.

Chaque saison, le calendrier des défilés se compose d’une partie des membres (12 pour les collections printemps-été 2018), de quelques correspondants et d’invités officiels. D’autres créateurs se greffent sur ce calendrier –moins encombré que celui du prêt-à-porter– et présentent en «off».

Préservation des métiers d'art

Le rôle de conservation des savoir-faire demeure capital pour les tenues d’exception produites en haute couture, dont la création suppose un nombre imposant d’heures de travail –qui peuvent se compter par centaines.

Si le nombre de maisons de broderie, plumasserie, boutons, chapeaux, plissés n'a cessé de diminuer, quelques-unes continuent, sous l’ombrelle de Chanel. Regroupées dans l'entreprise Paraffection, elles maintiennent toutefois leur identité propre, avec la possibilité de travailler pour d’autres maisons.

Avec Lesage et Montex pour la broderie, Lemarié pour les plumes, Michel pour les chapeaux, Lognon pour les plissés, Desrues pour la parure (notamment les boutons), les métiers d’art sont ainsi encore un peu préservés.

Clientèle réduite

La réalité commerciale de la haute couture n’est pas une priorité: elle sert surtout de vitrine. La clientèle encore présente ne dépasse pas quelques centaines de personnes.

Nombre de ces robes couture ont changé de destination. Oubliées les princesses, les robes du soir se retrouvent sur tapis rouge, dans un monde où les bals et grandes réceptions ne sont plus monnaie courante.

À partir de cette image financièrement inaccessible, l’impulsion est aussi donnée pour le prêt-à-porter et se dessine surtout un impact d’image sur les dérivés, accessoires et parfums.

Innovations technologiques

Mais là où la haute couture joue un nouveau rôle crucial, c’est dans l’accueil de membres invités qui n’hésitent pas à innover et imaginent le futur.

S’ils ne remplissent pas forcément toutes les conditions requises pour décrocher l'appellation–notamment concernant les petites mains–, les invités réalisent un véritable travail de création, à l'image d'Iris Van Herpen, Yuima Nakazato, Serkan Cura ou On aura tout vu.

Défilé Iris Van Herpen automne-hiver 2017-2018 | Via Iris Van Herpen

Matières atypiques, nouvelles technologies –avec évidemment coupe au laser, impression 3D, « couture » sans fil, vêtement connecté–, la haute couture est devenue un laboratoire où le champ d’expérimentation semble infini, tout en conservant la notion primordiale de vêtement.

Paradoxalement, la haute couture autorise plus d’audace, tandis que le prêt-à-porter, soumis à des obligations commerciales de plus en plus pesantes, met un peu en veilleuse la création.

Pour Iris Van Herpen, la technologie réside dans ses coupes, ses matières et ses défilés. Elle tient toutefois à précise: «Je regarde autant vers le futur que vers le passé, qui est aussi inspirant... L’artisanat continuera à jouer un rôle».

Elle aimerait que la création aille vers l’amélioration du système de production, afin de réduire la pollution environnementale. Sa technologie la plus fascinante est sans doute la «robotic 3D printing», utilisée pour le printemps été 2016 et sublimée par l'actrice Gwendoline Christie.

A Model Muse: Gwendoline Christie - NOWNESS from NOWNESS on Vimeo.

Yuima Nakazato prépare quant à lui ses modèles sur ordinateur et réussit des fabrications sans fil et sans aiguille. Son défilé du printemps été 2018 rendait hommage à des classiques de la mode qu’il revisitait, comme le tailleur bar de Christian Dior.

La haute couture a changé, mais elle demeure une singulière exception culturelle. Elle a posé les bases du système de la mode. Aujourd’hui hors du temps, voire anachronique, elle continue à véhiculer une précieuse part du rêve qu’il est important de conserver, tant que (savoir-)faire se pourra.

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